Je prends un petit morceau et je le mâche longtemps

Chiara dit : « Ça me rend heureuse. » C’est un mot que j’utilise avec précaution, parcimonie, méfiance. Longtemps j’ai craint qu’il ne soit synonyme de « bien-être », dans le sens de « absence de souffrance » : une sorte d’anesthésie. Le coma artificiel où nous plonge le médecin avant d’ouvrir notre corps au bistouri. Cette apathie serait donc un avenir désirable ? …

Le cœur a bon dos

« T’inquiète, je te dirai si ça ne va pas. » Il sait que je ne fais pas semblant. On peut tout se dire. On n’hésite pas, ni lui ni moi. Alors il est attentionné, prévenant, mais pas inquiet. Il conduit avec souplesse et je supporte le roulis. Mon estomac tient la route. Pourquoi dit-on « mal au …

Pas mal en général

Je leur ai fait le coup d’Aurélien et Bérénice : l’un de mes tours préférées. Ils se sont engouffrés dans la brèche, ils ont puisé dans le précieux, ils ont écrit avec cœur. J’avais pourtant élargi le terrain de jeu jusqu’aux relations de voisinage, aux camaraderies de surface, à toute sorte de relation scolaire ou quasi-mondaine …

Voir ces choses qu’ils ont vues

Un jeune homme, plus jeune que moi, vingt-neuf ans dans un mois ou deux, c’est l’été 83, il apparaît dans un fondu bleu, peut-être un filtre, plus probablement la lumière du matin, un bleu pâle sur les murs, sur le canapé qui devrait être blanc, et sa peau aussi, il est presque nu, il est …

Il n’y a pas de temps perdu

Pour aller au lycée de P. l’autre jour, j’ai pris de l’autre côté depuis la même gare. Un quart d’heure à pied. Là, pour le collège, ce sera vingt minutes dans la direction opposée. La gare s’appelle Épinay-Villetaneuse : logique. Il y a donc le côté de chez Jacques-Feyder (le lycée d’Épinay) et le côté de …

Je suis son hôte et leur hôte

La première personne à qui j’ouvre la porte, alors que l’exposition n’a pas commencé, c’est un homme au large sourire qui porte des fleurs étonnantes : des iris roses qui l’émerveillent lui-même. Ils ne sont pas pour moi. Il est venu les offrir à Henri, bien qu’il sache qu’Henri n’est pas là. Il reviendra chaque semaine …

Devant l’image d’une image

Depuis la table d’à côté, le gars me dit : « C’est beau d’assister à cette scène : toi qui parles avec la serveuse. » Il me dit ça en italien. Je le remercie et proteste pour la forme : « È molto facile ordinare un caffè! » Oui, mais il trouve que nos échanges étaient fluides, du tac …

« Il y a un côté absurde », disent-ils

J’écris en roue libre depuis plusieurs semaines, sans relire ce que j’ai fait dans les jours précédents, ni me référer aux chapitres écrits l’année dernière. Avant de m’engouffrer dans n’importe quoi, ce serait bien d’y jeter un œil à nouveau ; avant d’aller trop loin dans le bizarre-pas-bizarre — cette bifurcation qui m’excite : ouvrir une brèche …

Je traque les fantômes

La rue de Steinkerque, c’est cette rue épouvantable entre le métro Anvers et le Sacré-Cœur garnie de boutiques de souvenirs, qu’aucun Parisien n’aurait l’idée d’emprunter. Avant, c’était différent : des gens y habitaient, y travaillaient, y jouaient, y faisaient leurs courses, s’y baladaient sans faire de photo. La preuve — paradoxale — c’est cette photo : car …

Un roman de plus sur la terre

J’attendais plus de ce livre. À tout moment, j’espérais que ça décolle ou que ça bifurque, je croyais que l’écriture fluide, agréable, m’emmènerait dans une direction insoupçonnée, qu’elle ne se suffirait pas en soi. Je suis déçu, car je n’étais pas le lecteur naïf : j’étais comme aux prises avec un outil de travail. Je comparais …