Il y a un cadre. S’il n’y avait pas de cadre, il n’y aurait rien dans le cadre. Logique. Ici, le cadre est matérialisé par les contours de la salle de classe (l’espace) et les cinquante-cinq minutes du cours (le temps). Devant les élèves, P. dit qu’il n’aime pas les horaires, la routine, les programmes trop précis. « Savoir aujourd’hui que je serai exactement dans cette même salle le lundi 3 juin 2024 à la même heure, ça me déprime. » Il y a des gens que ça rassure. Un collègue de P. par exemple, au déjeuner, dit qu’il aime bien ça. Les profs ne se ressemblent pas tous. « Moi, je ne suis pas prof », dis-je à une élève qui demande : « Pourquoi il y a deux profs ? » J’explique au groupe entier : « Je suis écrivain », etc. Refrain connu. Le principe de cet atelier avec P. : « En lisant en écrivant. » On parle beaucoup. En roue libre. On parle trop, je crois. C’est aussi ce qu’ont senti plusieurs élèves, qui osent l’écrire sur la feuille que je leur tends. « Vous parlez trop, mais vous êtes sympas. » Ouf. « Vous parlez trop, on voudrait pratiquer. » Formidable ! Allons-y. C’est la partie que je préfère moi aussi : écrire. Cependant, avant d’écrire, il faut poser le cadre. Le cadre est solide. On connaît le lieu et l’heure, et les personnes réunies dans ce périmètre. On sait quelles règles seront posées à la première, à la deuxième, à la troisième séance. Au-delà, on ne sait rien. Une fois que le cadre est posé, il faut que les choses adviennent. Lesquelles ? Oh, on a bien quelques désirs. On en a plusieurs : on ne pourra pas tout faire. Plusieurs, oui, mais vagues. Ne demandent qu’à se préciser. Ne demandent qu’à se contredire. Voulez-vous ceci ou cela ? Je veux tout. Quoi qu’il arrive, je serai content, pourvu qu’il se passe quelque chose. L’échec, ce serait : rien. L’ennui. Tout le reste m’intéresse. Je leur dis : « J’ai commencé à écrire parce que je m’ennuyais à mourir. » Écrire une vie plus intéressante que la vie (s’évader par l’imaginaire) : pourquoi pas. Mais moi, c’était l’inverse : écrire la vie telle que vécue, pour doubler son épaisseur. Et la vie devient importante, soudain. Et une vie importante, on ne peut pas la gâcher à s’ennuyer : ça m’a forcé à vivre des trucs en vrai pour trouver quoi écrire. C’est un peu tordu, j’avoue. Mais si c’est ma façon d’aller bien ? « Vous êtes sincère », écrit une élève. Ouf. Elle a compris que je ne faisais pas mon numéro. « Tout est vrai », comme dit l’un de mes écrivains préférés, l’ami qui a plus d’imagination que moi.
