Une promenade : la Seine est grise, mais pas le ciel. Sur le quai : C. et L. qui vont dans le sens opposé au nôtre. Un hasard. On leur tombe dessus, on se fait la bise. « Paris est un village », leur dit-on pour rire, car ils sont de province, de passage – et nous avons dîné ensemble la veille.
Dans La beauté des choses, ces scènes où les deux hommes fraternisent : le mari et le jeune garçon. Le premier pourrait détester ou mépriser ce gosse de dix-sept ans qui couche avec sa femme, mais il ne le fait pas : il a décidé de se placer en retrait de sa vie, et d’observer ce qui arrive. Alors, pour ne pas mourir de tristesse ou d’ennui, il trouve son plaisir dans le rapport esthétique aux choses. En ce garçon, il voit plutôt : un gentil gars touché par la grâce, qui vit de grandes émotions. Le garçon est vraiment beau, cela dit, bien que très blond, très lisse. Mais tout ce qui est pur dans cette histoire est brusquement sali, si ce n’est une petite part d’enfance restée intacte, et le désir de grandes choses (les livres volés dans la dernière image ?)
Une conversation qui me rend nerveux : je ne sais même pas pourquoi, puisque l’objet en était joyeux. N’arrive pas à passer à autre chose : un truc lourd reste coincé derrière mon front jusqu’au coucher : mal nulle part, mais envie de pleurer. Enfin non, pas envie, mais je me comprends.
Pas
envie de lire ce
livre très beau, ni
cet autre
très intéressant.
Envie plutôt d’un
roman avec une histoire, où il se passe des choses – pour une
fois. Je commence La vérité sur Bébé Donge:
Simenon montre tout, dès le premier chapitre :
l’empoisonnement,
et la coupable qui avoue. Je n’ai aucune idée de ce qu’il va
trouver à raconter
ensuite pour que ça continue
de tenir
la route. Quoi qu’il se passe dans ce livre, j’essaierai de
comprendre pourquoi ça tient.
D’un point de vue mécanique, j’entends.
Encore des gens pour participer à notre campagne de souscription. C’est inattendu et ça me fait plaisir – plaisir d’être attendu, justement.
On
emmène R. manger une pizza. Il nous dit
qu’il a un copain de classe
qui s’appelle Léon, et que ça fait Noël dans le désordre, et
que c’est une anagramme. Nous, on lui explique les palindromes :
non ; radar ;
Léon Noël. Je
m’aperçois, après qu’on s’est quittés, que j’ai oublié de
lui dire que la date d’aujourd’hui était un palindrome. La
prochaine fois, ce sera dans un an. Je
serai vigilant.
On
veut prendre un raccourci en coupant par le bois : R. est censé
nous guider et on se perd un peu. Tant mieux. Arrivés à Charenton,
il dit : « J’espère qu’on va passer sur le pont
au-dessus des trains, parce que j’aime bien passer là. » Moi
aussi, j’aime bien. Sur la passerelle, il saute à pieds joints
pour la faire résonner, vibrer, tanguer. Un train passe dans un
sens, un deuxième dans l’autre sens.
Un dimanche après-midi à Charenton (à lire sur le ton de : la même chose à Coutances). Il pleut. On entre au palais de la Porte Dorée, parce que c’est le jour où c’est gratuit. Un monde fou. À vue de nez, deux tiers vont visiter l’Aquarium, l’autre tiers va au même endroit que nous. Ce musée de l’immigration me fait penser au petit musée de Montauban, parce qu’il n’y a que des objets très pauvres dans les vitrines : des trésors dérisoires, des papiers de famille, qui racontent des parcours de gens connus ou inconnus, tous aussi importants les uns que les autres parce qu’ils sont les pièces d’un puzzle plus grand qu’eux, plus grand que nous.
Pluie encore. On marche jusqu’à ce café, du côté de la Nation. On attend la séance de cinéma. Le petit blondinet qui joue Jojo Rabbit nous fait penser à R., mais le visage plus rond. Quand il a ce sourire charmeur, quand il sait qu’il va faire mouche. Et puis, sa maladresse. À la fin du film, J.-E. dit qu’il a été a été ému par la dernière scène. Assis devant nous : deux garçons, dont l’un est beau. Ils se font un bisou. « Nous aussi on est beaux », me fait remarquer J.-E., et il a raison.