Je prends un petit morceau et je le mâche longtemps

Chiara dit : « Ça me rend heureuse. » C’est un mot que j’utilise avec précaution, parcimonie, méfiance. Longtemps j’ai craint qu’il ne soit synonyme de « bien-être », dans le sens de « absence de souffrance » : une sorte d’anesthésie. Le coma artificiel où nous plonge le médecin avant d’ouvrir notre corps au bistouri. Cette apathie serait donc un avenir désirable ? …

Une connexion devient limpide, une autre demeure obscure

Une phrase toute faite. Quiconque s’est trouvé face à des élèves l’a prononcée. Mais normalement, elle n’est suivie d’aucun effet. À travers le remous (bavardages, chaises déplacées), je dis calmement : « Si ça ne vous intéresse pas, vous n’êtes pas obligés d’être ici. » J’insiste : « Je fais ce travail parce que j’aime ça, mais, si c’est une …

On s’amuse : c’est-à-dire qu’on apprend

Dès que je trouve la formule, j’en suis tellement content que je la répète à trois personnes pendant la soirée ; elles ne sauront jamais que je ne l’ai pas improvisée pour elles. D’habitude, je m’efforce d’être inédit, comme lorsque j’achète des cartes postales : je prends soin de les choisir différentes, bien que leurs destinataires ne …

Une infinité de films potentiels

Je découvrirai la vidéo en même temps que tout le monde. Il faut faire confiance. Le tournage a duré plusieurs heures (deux au moins) pour combien de rushes ? Une demi-heure. Sans doute davantage. Le clip final durera trois, quatre minutes maximum. Au montage, une infinité de films potentiels : garder une image, en virer une autre… …

Que désirez-vous ?

Bien sûr, deux cowboys qui s’aiment d’amour au début du XXᵉ siècle, ça ne va pas être facile, on s’en doute. Alors, en montrant la vérité, rien que la vérité, toute la vérité, on espère quoi ? On apprend quoi ? Et à qui ? Comme tout le monde (je veux dire : comme tous les garçons comme moi), …

Voir ces choses qu’ils ont vues

Un jeune homme, plus jeune que moi, vingt-neuf ans dans un mois ou deux, c’est l’été 83, il apparaît dans un fondu bleu, peut-être un filtre, plus probablement la lumière du matin, un bleu pâle sur les murs, sur le canapé qui devrait être blanc, et sa peau aussi, il est presque nu, il est …

Je me souviens de mes difficultés

Je traîne ma tristesse et J.-E. me traîne comme un boulet. Il me dit que non, je ne suis pas un boulet. Je réponds : « Je n’insiste pas, n’en parlons pas longtemps, je te signale juste que j’ai conscience d’être chiant, ne crois pas que je ne le sais pas. » Il pourrait m’abandonner à mon sort, …

La fin de la honte et de la haine de soi

Je comprends facilement les deux premières phrases : « Część ! Jak się masz ? » Il s’adresse à la jument. Mais les mots qu’il prononce après, je suis déjà largué. Il ne reste pas grand-chose de mon polonais — d’autant que je n’ai jamais possédé de cette langue que des bribes : une heure hebdomadaire durant, quoi ? douze semaines ? Le seul …

Je suis pris à mon propre (et doux) piège

À la radio, un vieux critique de cinéma, qui l’avait vu à sa sortie il y a cinquante ans, dit que le Paris qu’on voit dans ce film1 n’existe plus : l’hôpital Laennec où travaille Veronika a été vendu au milliardaire Pinault et, surtout, il est impossible d’imaginer aujourd’hui que des jeunes gens pauvres passent leurs …

Intérieur jour, plan serré sur le marin

Ça commence comme un film. Mieux : c’est un film. Je le regarde sur un écran fixé au mur — je précise ce détail parce que ce n’est pas banal, pour moi, de regarder la télé — dans une grande salle où plusieurs personnes sont assises sur des chaises, en mode « salon de télévision » comme dans …