Nous sommes l’horizon désirable

Je m’inquiète pour J.-E. qui doit rester sans moi ce soir et les jours suivants. Non pas qu’il soit incapable de vivre sans moi (nous savons nous séparer quelques nuits, voire une semaine, afin de varier les manières de s’aimer, à distance ou tout proches, depuis dix-huit ans), mais il s’agit d’une soirée spéciale. Nous …

Avec les ailes que donne la foi

Il s’installe face à moi, au café, aussi beau que ce matin. Son sourire dit son plaisir. Timide quand même. Grand corps solide, ses épaules nues. Par facilité, je pourrais dire « un ange », mais non : il n’est pas « apparu » hier soir, il s’est approché et je l’ai accueilli. Il n’est pas blond. Ses boucles emmêlées, …

Ça ne sent pas bon

Dans la première salle, une brochette de chevaux fantômes, les yeux rouges, me font penser à la fougueuse cavale de notre chambre : les hommes sans visage montés sur des animaux plus beaux qu’eux, détourés d’un halo mystique, une ligne tracée par le père de J.-E. de son pinceau blanc ; pourtant leurs yeux sont noirs sur …

Posée là comme venue d’ailleurs

« Si Paris est un village, alors Le Havre, c’est quoi ? » Je pose cette question à S. au matin, après que j’ai rencontré, la nuit, une relation à lui : un gars du Havre à qui j’ai demandé bêtement : « Tu connais S. ? » Il a répondu oui et m’a donné les prénoms de ses amis : « Là-bas, tout le …

Cette proximité désirée

Il pourrait m’emmener n’importe où. D’ailleurs c’est ce qu’il fait : et nous voici dans ce club. Moi, dans un club ? Nous venons de boire une pinte, ailleurs, pour nous donner du courage. À l’intérieur c’est sombre et doré à la fois. Un or qui ne brille pas. Une grotte revêtue de petits cubes réfléchissants, mais …

Le langage est mon langage

Je m’étonne, non, je m’émerveille, encore, toujours, de vivre cette vie. Dois-je remercier ma chance ? Dans le salon où l’on cause, dimanche, lorsqu’on m’interroge sur mon travail, je dis combien je suis comblé par « ce qui m’arrive en ce moment », à propos de mes livres à paraître, de la résidence, de tout — puis je …

Le mystère de l’escamotage

Il est comme Jérôme (et c’est Jérôme qui me l’a envoyé, car les amis de mes amis, etc.) : plutôt que de se faire discret, d’effacer toute trace de son passage, il les accumule, il les met en scène. Sur mon bureau, un « presque carré de cadeaux presque involontaires » : les choses qu’il me laisse en témoignage. …

Je pense à tout de suite

J’attends un coup de fil. À l’autre bout, quelqu’une m’annoncera une bonne nouvelle. Me fera une proposition concrète. Je l’espère. J’attends. Je n’utilise pas souvent le téléphone. Hier, c’était S. qui m’appelait. Il me racontait où il en était dans ses aventures éditoriales. Il savait qu’il recevrait un coup de fil quelques heures plus tard, …

Comment démolit-on un trou ?

Tout est en vrac. Il y a une semaine, c’était un garage. Ce matin la pelleteuse déblaie le monceau de béton, hop, hop, même mouvement que vous avec la balayette après que vous avez cassé un verre, une assiette. Il ne reste rien d’autre qu’un trou. Le sous-sol du garage. La cave. La cachette était …

Une connexion devient limpide, une autre demeure obscure

Une phrase toute faite. Quiconque s’est trouvé face à des élèves l’a prononcée. Mais normalement, elle n’est suivie d’aucun effet. À travers le remous (bavardages, chaises déplacées), je dis calmement : « Si ça ne vous intéresse pas, vous n’êtes pas obligés d’être ici. » J’insiste : « Je fais ce travail parce que j’aime ça, mais, si c’est une …