Je n’écoute pas de musique, je n’y connais rien, et je suis presque incapable de reconnaître un morceau entendu la veille. C’est comme ça.
Au téléphone avec A., pour préparer ma résidence à Montauban qui approche : elle me propose de faire connaissance, dès la première rencontre avec le public, avec M., qui est designer sonore et pourrait accompagner ma lecture. Je lui dis que j’adore cette idée, parce que c’est une chose que je serais incapable d’inventer moi-même : choisir des sons, produire des sons. Ce n’est pas mon langage. Alors, nous serons différents et complémentaires, et ce sera riche.
J’ai montré Les bandits à E. et à G. parce que j’avais l’album sous la main. Je n’ai même pas pensé que les souvenirs de mon enfance contenu dans ce livre pourraient résonner si fort avec des morceaux de leur histoire, à l’un, à l’autre. C’était innocent. Leurs réactions m’ont beaucoup ému. Ça a résonné, oui.
Le soir, J.-E. me dit : « Les bandits, c’est tout à fait dans le thème de ta résidence : la mémoire, le souvenir. Comment le temps modifie la perception des choses passées. » Il me dit ça, au bar des Trois Baudets. Nous sommes déjà venus ici deux ou trois fois. Pourtant, je n’écoute pas de musique, je ne vais pas aux concerts : pourquoi donc sommes-nous déjà venus aux Trois Baudets ? Peut-être parce que les artistes qui se produisent ici chantent : il y a des mots et il y a une voix, alors, « ça me parle », littéralement. Mais ce soir, si on est là, c’est parce que j’avais lu « concert littéraire » sur le programme, et vu la tête de Gilles Marchand à côté, et que je l’aime bien. La soirée est très intense, parce que les trois artistes (Gilles, Chloé Delaume et Véronique Ovaldé) sont auteur et autrices, mais aussi de vrais performeurs, différents et complémentaires, et leurs lectures sont des spectacles, et la musique les accompagne : liée étroitement aux mots, tout du long, ou bien en alternance, en dialogue. On aimerait que les lectures soient, plus souvent, aussi belles et puissantes. Moi, je ne saurais pas faire ça. Mais, cette question d’être accompagné par du son, par de la musique, fait écho aux questions que je me pose depuis hier. Une question qui n’existait pas encore quand j’ai réservé les places pour ce spectacle. Alors, c’est une coïncidence.
Ce matin, je relis Les bandits. Il y a cet épisode où les enfants et le père, qui ont pris un train (toujours un train), partent à la recherche des maisons où s’accrochent les souvenirs d’enfance du père.
Puis, je lis des messages que S. m’a envoyés hier : un texte qu’il a écrit et dont le titre est celui d’une pièce de musique – il me précise que, idéalement, il faudrait lire son texte « avec la musique ». Ah oui ? Avec la musique ? Lui aussi, alors ! Ce n’est plus une coïncidence, c’est un complot. Plus tard, il m’a envoyé aussi un lien vers une chanson qui n’a rien à voir avec ce texte-là, mais fait écho à une autre partie de notre conversation. Françoise Hardy chante :
Oui je prendrai un jour le premier train du souvenir
Le temps a passé et me revoilà
Cherchant en vain la maison que j’aimais
Où sont les pierres et où sont les roses
Toutes ces choses auxquelles je tenais ?
D’elles et de mes amis plus une trace
D’autres gens, d’autres maisons ont volé leurs places
Là où vivaient des arbres maintenant la ville est là
Et la maison, où est-elle, la maison où j’ai grandi ?
Je ne sais pas où est ma maison
La maison où j’ai grandi
Elle dit, avec d’autres mots, la même chose que moi. Elle prend un train. Elle veut revoir une maison. Et elle ne sait pas où se trouve cette maison. Parce que le temps a passé et que la ville est là (« la faute à l’urbanisme », disent mes Bandits).
Ça commence à faire beaucoup, ces coïncidences. « Ils » sont ligués contre moi. Quand je dis à S. que « c’est un complot », il me répond le mot : « synchronicité ». On aurait pu dire : « magie ».
Ou bien : ça veut seulement dire que c’est le bon moment. Le bon moment pour quoi ?
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