Est-ce qu’on peut travailler sérieusement ?

« Je cale mon emploi du temps sur celui de J.-E. : quand il part travailler le matin, je viens ici. J’ai des horaires de bureau, presque.
— Mais J.-E., il met une demi-heure pour aller au boulot, et toi tu es à cinq minutes. Alors ça veut dire que tu travailles plus que lui.
— C’est difficile de compter mon temps de travail ! Quand je dis que je travaille, en réalité, je passe de longs moments à lire. Par exemple. Et je lis aussi le soir, parce que j’aime ça.
— Oui, mais ça fait partie de ton travail. Quand tu lis, ça peut te donner des idées pour écrire des livres. »

J’aime parler avec R. : il comprend tout, sans que je lui explique. Avec d’autres gens, quelquefois, je me sens obligé de me défendre. Avec lui c’est facile. Cet après-midi, je lui montre la mansarde où je passe mes journées. Nous devions nous voir la semaine dernière, mais il avait dû décommander : « Tu comprends, je suis invité à l’anniversaire d’un copain. C’est important. C’est un ami d’enfance. » Oui, je comprends. C’est important, les amis d’enfance. Surtout quand on est un enfant (R. a dix ans).

Il est assis à mon bureau. Il regarde le ciel par le velux. Plus loin dans la rue du Chemin-Vert, on voit deux mecs sur le toit : ils bricolent une cheminée. Nous, on avance (doucement) le récit qu’on a débuté cet été. On est distraits par le Marsupilami assis sur ma bibliothèque et par le cavalier Lego. J’avoue : il y a ça aussi dans mon bureau. Est-ce qu’on peut travailler sérieusement dans un soi-disant bureau, alors qu’il est composé de : une fenêtre ouverte sur le ciel, un lit, des jouets et des livres ? R. pense que oui : « On a le droit de faire une pause, quand même. »

Les mecs sur le toit sont partis.

« Mais ils reviendront, dis-je.
— Comment tu sais ?
— Ils ont laissé la trappe ouverte : regarde. »

Il regarde. Cet immeuble ressemble au mien. Ils sont tous pareils. J’ouvre la porte de ma chambre et je montre à R., dans le plafond du couloir, une trappe identique. « À travers, on voit le ciel : c’est par là qu’on peut sortir. » Il y a une échelle à l’autre extrémité du palier. « Mais elle est attachée par un cadenas », dit R. un peu déçu. Il y a une autre trappe, aussi.

« Celle-là, elle va où ?
— Une sorte de grenier. Un mètre de haut, à peine. Toi, tu pourrais l’explorer plus facilement que moi. Je suis sûr que personne n’y a été depuis longtemps. »

On retourne travailler. Je me refais un café, il se ressert un verre de jus multifruits. Ce serait bien qu’on termine ce chapitre. On sait déjà comment le deuxième doit commencer, alors on ne doit pas se louper sur la fin du premier. Il faut ménager un suspense. Un truc qui donne envie de tourner la page. Et puis, entre les deux chapitres, on fera ce qui s’appelle : une ellipse.

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