Il y pousse des herbes plus grandes que nous — nous, à la première personne du pluriel, car les plus jeunes sont presque aussi grands que les plus vieux : quatre collégien et collégiennes, le prof et moi. Nous sommes au CDI, un lieu silencieux par vocation, aujourd’hui plein de nos agitations invisibles : dans les têtes, ça cogite dur ; et la main (la gauche ou la droite, selon) tient ferme le stylo offert à la première séance, gris anthracite et antidérapant, marqué du nom et de l’adresse du collège Elsa-Triolet. Dehors il fait beau, alors nous avons ouvert la porte : elle donne accès à une étrange zone, séparée de la rue Paul-Éluard par un mur de briques. On pourrait croire cette dalle inculte, mais c’est le contraire : des herbes touffues y croissent en liberté, ainsi que des ligneux sauvages, peut-être un Buddleia Davidii, ces trucs-là prolifèrent n’importe où. J’entends des pieds qui s’ennuient, une chaise qui se balance : écrire trois heures d’affilée, c’est trop ; alors, pour reposer les cervelles, je propose de prendre l’air. L’architecture est belle : le CDI est coiffé d’une coupole, charpente d’une modeste cathédrale, envie de lumière zénithale ; mais celle-ci ne viendra pas par le toit. À défaut, il se peut qu’on s’évade en passant par la porte. Je dis aux élèves : « Vous n’auriez pas envie d’en faire votre jardin ? » Nous sortons un instant, le soleil chauffe nos peaux, les neurones se soulagent. L’une dit : « Il faudrait défricher. » Certes, ils prennent du plaisir à écrire : mais il est bon de s’interrompre pour laisser reposer le texte. Parler d’autre chose, cinq minutes.
