« Et la dernière œuvre dont vous n’avez pas encore parlé, c’est vous », me dit-elle dans la cuisine après qu’on a traversé l’expo ensemble. Je ne sais pas si elle est ironique. Elle n’a pas l’air du genre à se moquer. Alors je réponds ça — parce qu’il me semble qu’elle a un peu raison, et ça ne me paraît pas prétentieux de le dire (une œuvre n’est pas forcément un chef-d’œuvre) : « Je crois que c’est vrai, je fais partie de l’exposition en quelque sorte, mais je ne sais pas si je suis une œuvre ou plutôt l’un des artistes, ou autre chose encore. » Un visiteur permanent. Un habitant, en somme. Une expo sans aucun humain, il y manquerait un truc. L’œuvre a besoin du regard. Ici, c’est un lieu domestique et un espace de rencontre : notre échange fait partie du dispositif. Il faut être plusieurs pour une conversation. Cette femme toute seule, ça ne marcherait pas. Je suis celui qui donne la réplique. Celui à qui les gens demandent : « Ça aussi c’est une œuvre ? » — en désignant le livre sur la commode (qui résonne avec la peinture accrochée au-dessus) ou la plante verte (entre le bouquet de Benny et les fleurs en céramique de Juliette). Je n’ai pas très envie de répondre ; de délimiter ce qui est une œuvre et ce qui n’en est pas. On se laisse imprégner. C’est poreux. La limite est franchissable. Floue. Invisible, même, car je suis placé exactement dessus. Elle passe sous moi, vous dis-je. Ne regardez pas sous mes semelles, c’est impoli. Des gens sont venus parce qu’ils connaissaient le travail d’Henri ou de l’un des artistes. D’autres m’ont dit : « Je suis un ami à lui. » Vous êtes amis ou vous travaillez ensemble ? Des gens sont venus parce qu’ils sont mes amis. Certains d’entre eux connaissaient Henri parce que je les ai présentés. Quelqu’un est venu quatre fois parce qu’il connaît un peu Henri, et me connaît aussi, par l’entremise de W. qui connaît bien Henri. Quelqu’une est venue parce qu’elle a déjà croisé Henri dans son travail et que nous travaillons ensemble sur l’expo de Villetaneuse ; une autre est venue parce que nous travaillons ensemble à Villetaneuse, mais elle ne sait pas qui est Henri. Les deux expositions se répondent en écho : à la médiathèque de Villetaneuse, on a réuni des œuvres du Fonds départemental d’art contemporain autour du titre Présent·es ! — tandis que chez Henri ça s’intitule Absent de Paris. Ces jours-ci, quand je suis absent de Paris, c’est souvent à Villetaneuse qu’on me trouve pour mes ateliers. Je n’ai jamais fréquenté d’art aussi assidûment : une poignée d’œuvres observées longtemps, en compagnie d’inconnu·es qui parlent avec moi.
