Dimanche 30 mai 2004

Pas mal de trucs à raconter à propos de ce weekend.

Jeudi, Flore me dit qu’elle organise une petite soirée chez elle, parce que la fin des cours approche et ses parents ne sont pas là. Elle invite toute la classe, sauf quelques uns. Moi, je suis invité, mais j’hésite, je ne suis pas sûr d’avoir envie de venir. Je n’ai jamais été à une soirée, je ne sais pas comment ça va se passer. Je n’ai pas envie de danser. Si c’est juste pour boire et fumer, non merci (mais je ne m’inquiète pas trop pour ça, avec elle). J’ai peur de m’ennuyer. Je demande à S* si elle vient : elle hésite aussi. Finalement, je la convainc. On décide d’y aller ensemble. Il y aura aussi B*, M*, ceux que j’aime bien. Je me prépare donc au fait de sortir le samedi soir… Or, le samedi (hier), j’appelle S* une heure avant, pour qu’on s’accorde sur les horaires. Et savoir si son père nous ramène, ou si maman s’en charge. Et là, bing ! Elle me dit qu’il n’y a plus de soirée. C’est annulé. Les parents de Flore n’étaient pas au courant, il l’ont appris au dernier moment, et ont emmené Flore en vacances avec eux. Alors, plus de fête. Quelle déception ! Pour une fois que j’étais décidé… J’avais même préparé un cake, pour la soirée.

Tant pis. Ma soirée n’était pas tout à fait perdue. C* et N* étaient à la maison, arrivés de Marseille vendredi soir. D’ailleurs, leur présence m’avait fait hésiter à dire oui à la fête, pour une fois qu’on avait du monde à la maison. On a fait pas mal de trucs ensemble, du coup. On a été, tous les cinq, dans un resto de couscous qu’on ne connaissait pas, qui est pourtant tout près de la maison (au rond-point du Pecq). Puis au cinoche, mais sans Juline qui devait passer la soirée et la nuit chez une copine. On a vu La vie est un miracle d’Emir Kusturica en VO (en serbe !) : ce film est extraordinaire, on en sort plus heureux, alors que c’est un film sur la guerre. La façon de filmer est très lyrique, pleine de poésie et d’énergie. Je n’en dis pas plus, car je suis nul pour faire l’éloge d’un film, et pour les compliments en général.


Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no1 (« Journal, 14 août 2003 – 15 juillet 2004 »), j’ai quinze et seize ans.

Mardi 25 mai 2004

Au festival de Cannes, qui s’est terminé samedi, la Palme d’or a été attribuée à Michael Moore pour son documentaire contre cet enfoiré de Bush : Fahrenheit 9-11. J’irai voir ce film, peut-être avec S*.

Et si je racontais ma journée ? Elle n’était pas mal. Elle commence par une heure de maths, certes : c’est nul. Mais elle continue avec deux heures d’espagnol, et j’aime bien le prof. Il nous a montré un documentaire sur l’esclavage à Cuba à la fin du XVIIIe siècle, vu sous l’angle de la religion catholique. Sans être pro-catho, ce n’était pas franchement antireligieux non plus. Puis, de 11h30 à 15 heures, on n’avait pas cours. Alors on est restés dehors, au soleil, sur la pelouse au fond de la cour du lycée. Une heure avec S*, B*, Amandine, Lisa et W* (qui avait aussi une heure de perm, par coïncidence), puis avec B*, Lisa et les copains et copines de B* (S* est rentrée chez elle… pour regarder Roland-Garros). Ils sont sympas. Ou plutôt : elles sont sympas, car c’étaient des filles. Grâce à B*, je rencontre du monde… À deux heures, elles sont parties en cours, et M* est arrivée. J’aime bien M*, je ne sais pas si je l’ai déjà dit. On a fait un peu de maths : il fallait que je l’aide pour le contrôle de demain. Ça m’a forcé à travailler. En ce moment, je ne suis pas motivé, alors s’il n’y avait pas M* je n’aurais sûrement pas bossé mes maths. À 15 heures on est allés en cours d’anglais, puis de SES et enfin d’histoire (ce qui nous fait finir à 18 heures, oui c’est tard). Mais on ne peut pas se plaindre car, le jeudi après-midi, on n’a pas cours (on avait TPE et ce n’est pas toute l’année). Par contre, on commence tous les matins à 8h30.

Autre chose : Mme L*, notre prof de SVT est malade. On n’a pas terminé le programme et on a le bac le 10 juin. Alors Mme P*, la prof de l’autre classe de première ES, nous fait quelques cours en rab. Le bac approche… mais je m’en fous complètement. Je ne stresse pas du tout. On n’a que trois épreuves, c’est court, il n’y a pas beaucoup de révisions. Le truc embêtant, c’est que je passe l’oral de français à Conflans-Sainte-Honorine. C’est à perpète ! La galère pour y aller. J’espère que je ne passerai pas trop tôt. Juline aussi était passée là-bas, à 7h30 du mat’. Elle s’était levée super tôt, ça a sans doute contribué au fait qu’elle a foiré son épreuve.


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Vendredi 21 mai 2004

Presque la fin des cours, déjà… Plus qu’une semaine. Je ne suis pas sûr d’être très enthousiaste à cette idée. Qu’est-ce que je vais faire de mon temps ? C’est long, les vacances ! Juin, ça va encore. Peut-être que j’aurai des potes à voir. Et puis, tant que le bac n’est pas passé, c’est comme si l’année n’était pas terminée (le bac, c’est le 11 juin pour l’écrit de français, et vers le 22 pour l’oral). En juillet, Juline va travailler chez Axa, comme l’an dernier. En août, on partira les deux premières semaines près de Draguignan (dans le Sud-Est : je précise parce qu’il paraît que c’est connu, mais je ne connaissais pas) avec C*, N* et les trois enfants. La première semaine, Juline ne sera pas avec nous, mais dans un camping près de Perpignan avec ses copines. Elle nous rejoindra pour la deuxième semaine. Voilà : c’est tout un programme, mais un programme un peu vide. Qu’est-ce que je vais faire ? Benoît part pour les deux mois, je ne le verrai pas. Il faut que je demande à S* ce qu’elle fera. À part eux, je ne sais pas qui j’aurais envie de voir. C’est terrible à dire, mais je me demande vraiment ce que je pourrais faire, si je voyais les autres copains. Je n’ai aucune idée de ce qu’on ferait, si je me retrouvais en tête-à-tête avec B* par exemple. Je l’aime bien, pourtant. Je crois que je pourrais même le considérer comme un ami. Mais je sens cette incapacité totale à lui proposer quoi que ce soit. Je ne sais pas faire, tout bêtement. Je ne suis pas sûr d’être clair en l’écrivant. Je devrais me relire pour voir. En gros, je voulais parler de ce problème de la conversation : je ne suis pas très bavard, je me surprends souvent à faire des efforts incroyables pour alimenter une conversation, avec des gens que j’aime pourtant. C’est très culpabilisant, car je me dis que je devrais avoir plein de choses à dire à ces gens, mais je ne trouve rien. Ça m’arrive avec mes amis ; avec maman. Le truc, c’est que je ne suis pas vraiment bavard et, même si j’avais des choses à dire, il ne me viendrait pas à l’idée de les dire. Par exemple, ce midi à la cantine : S* a raconté sa journée d’hier. Elle est comme ça, S* : toujours quelque chose à dire. Des anecdotes. Ce qui lui passe par la tête. Ce n’est pas péjoratif quand je dis ça, au contraire. Moi, je suis incapable de faire ça. Je n’ai pas raconté que j’avais vu Benoît hier (c’était férié, il est venu à la maison), ni que j’avais vu Dancer In The Dark mercredi soir. Je n’arrive pas à parler de moi si personne ne me le demande, parce que je n’ai pas l’impression que ça puisse intéresser. Il faudrait que je me force.

Donc, hier, Benoît est venu. J’étais content, on ne s’était pas vus depuis des lustres, ou seulement croisés rapidement au lycée. Je l’ai appelé le matin, il est venu l’après-midi. On a parlé de BD, du lycée, de plein de trucs.

Lundi, j’ai lu Un cabinet d’amateur de Georges Perec (encore lui ?). Il faisait beau, j’ai été à la bibliothèque, j’ai emprunté ça et je l’ai lu dans le jardin. C’est tout petit, ça se lit vite. C’est très étrange, mais j’ai trouvé ça génial, une fois de plus.

J’ai aussi emprunté Du côté de chez Swann, le premier volume d’À la recherche du temps perdu de Proust. J’en ai lu quatre-vingt pages, peut-être. C’est long à lire, il faut prendre son temps, c’est riche. Il n’y a pas vraiment d’histoire (du moins, pour le moment, on verra pour le suite), ce sont surtout des descriptions, des états-d’âme, des digressions sur les souvenirs d’enfance du narrateur (dont on ne connaît d’ailleurs pas le nom). Ça peut paraître bizarre que j’aie envie de lire Proust, mais j’y pensais depuis un moment. Puis, lundi, B* en a sorti un exemplaire de son sac en disant qu’il le lisait pendant le cours d’histoire. Ça m’a donné envie d’essayer aussi.

C’était l’anniversaire de B* hier. Je lui ai envoyé un dessin par mail. Le dessin, je l’ai fait dans Photoshop avec ma palette graphique : c’est moi, tenant Torink en laisse, et nous souhaitons tous les deux un joyeux anniversaire à B*. J’ai dessiné son corps et intégré la photo de sa tête (scannée depuis la photo de classe).


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Dimanche 16 mai 2004

Matin. Dans le dernier Fluide, il y avait un article de Casoar qui parle de ce rêve que feraient beaucoup de tintinophiles. Ils se promènent aux puces et dénichent un album de Tintin inconnu. Oh, joie ! Ils le feuillètent et l’achètent. Moi, la nuit dernière, j’ai rêvé que j’étais dans une librairie, du genre de celles qui vendent de vieux bouquins. On nous y avait emmenés avec toute la classe. Chacun devait choisir pour soi un livre d’histoire. Moi, aucun ne m’intéresse. Alors, je me dis : tiens, tant qu’à être ici, je vais voir si je ne trouve pas une BD sympa. Ô miracle ! Je déniche un album du Concombre masqué : Le Concombre masqué dans le Bugle (qui n’existe pas). Je veux l’acheter. Il est à huit euros, je le marchande à six. Il y avait aussi un vieux Gotlib de 1939 (?). Moi aussi, je rêve d’albums imaginaires.

10h20. S* vient de m’appeler : elle me proposait d’aller voir La mauvaise éducation, le dernier Almodóvar. Pas de chance : je l’ai vu hier avec maman, à Saint-Germain. C’était en VO, j’ai bien aimé ça. Le film est terrible ! C’est très tordu. Pédophilie, religion, homosexualité, drogue et cinéma : ça fait beaucoup de thèmes. Et ça se termine en film noir, par un crime. Faut digérer tout ça, après. J’ai beaucoup aimé. Ça m’étonne un peu que S* ait envie de voir ce film… Je verrai demain comment elle a réagi.

Au fait, je n’en ai pas parlé : le weekend dernier, j’ai eu un nouveau petit cousin. Ma cousine G*, vingt-cinq ans, a eu un petit N*. Hier, à Saint-Germain avec maman, on lui a trouvé des petits cadeaux : un vêtement et une peluche de zèbre.


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Dimanche 2 mai 2004

Ma montre affiche le 1er mai : elle n’a pas compris qu’il n’y avait que trente jours en avril. Je vais chercher le mode d’emploi, parce que je ne sais jamais dans quel sens on tourne le bouton. Dans un sens on règle le jour, dans l’autre la date.

Le 20 juin, on va faire une brocante. On va vendre des bouquins, des magazines. Tous mes Mickey ! J’aimerais bien tout garder, mais ce n’est pas possible, il n’y a pas la place. J’en ai quatre cartons pleins dans ma chambre. Le journal de Mickey essentiellement, mais aussi Picsou magazine, Super Picsou géant, Mickey Parade… Eh oui, tout ça. Je ne les lis plus depuis belle lurette, il faut bien s’en débarrasser. Avant, c’était toute ma vie. Ça et les Lego. Les Lego aussi, j’en ai plusieurs caisses. Je pense qu’on les vendra, un peu plus tard.

Hier, chacun a fait du tri dans sa chambre, pour voir ce qu’on veut garder et ce qu’on ne veut plus voir. Maman aussi commence a trier les multitudes de bouquins qu’elle a partout. Elle m’a donné deux petites BD américaines, de Crumb et de Shelton, et un livre sur les dessinateurs d’humour, et un autre sur l’émission de télé Tac-au-tac. Ça devait être terrible, cette émission : des dessinateurs connus était invités et réalisaient des dessins à plusieurs, des cadavres exquis. Le bouquin est super.

Tout à l’heure, on va chez G* pour l’anniversaire de P*, mon cousin. Je suis sûr que ce sera sympa, mais ça ne m’enchante pas d’y aller. Il y a aura F* et T* : je me demande comment ce sera. Est-ce que j’aurai quelque chose ? Ça me gênerait. Je pense que ça fera plaisir à mamie qu’on vienne, parce qu’elle n’a pas souvent l’occasion de voir toute la famille.


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Vendredi 30 avril 2004

Je vais passer pour un fan de Georges Perec, si je continue comme ça. J’ai beaucoup parlé de lui dans ces dernières pages. J’ai appris qu’il avait écrit un palindrome de mille deux cents mots ! Ça ne m’étonne pas : il n’y a que lui pour faire une chose pareille. J’ai cherché sur Internet pour le lire, et j’ai trouvé. C’est excellent, j’adore. « Trace l’inégal palindrome. Neige. Bagatelle, dira Hercule, etc. » À l’envers, ça fait : « Haridelle, ta gabegie ne mord ni la plage, ni l’écart. »

J’ai fini les cours à 14 heures. Je n’allais pas très bien, je déprimais, parce que je venais de discuter avec S* du sujet de discorde par excellence : elle est de droite et je ne comprends pas sa manière bornée de voir les choses. Ce n’est pas de sa faute, elle n’est pas du même milieu, mais quand même. Là, elle m’expliquait que l’État ne devrait pas verser d’allocations aux chômeurs (ou, du moins, pas autant) parce qu’ils en profitent, ne cherchent pas de boulot et sont payés à ne rien foutre. Bien sûr, je ne suis pas d’accord. En fait, c’est moi qui a commencé à parler de ça, à cause du cours de SES où on a vu que ces cons de Ricardo et Adam Smith étaient contre l’intervention de l’État dans l’économie. Bon, à la limite. Mais, implicitement, ils traitent les pauvres de fainéants. Quand on me lance sur le sujet, c’est la révolte qui me fait parler. Quand je vois ces petits bourges et fils-à-papa qui se feront payer les meilleures études, seront aidés pour monter leur boîte ou je ne sais quoi, ça me révolte. Je sais que moi, je ne pourrai jamais entrer dans une école privée, tout simplement. Donc, si je veux arriver au même niveau qu’eux, je dois avoir le double de mérite, en plus d’un gros paquet de chance. Et S* de me répondre que, si les chômeurs ne retrouvent pas d’emploi, c’est parce qu’ils n’ont pas de diplôme, certes… et donc, ils n’avaient qu’à mieux travailler à l’école ! Argh ! Ça me tue, d’entendre des choses pareilles. Et le pire, c’est que je ne peux même pas répondre que « ma mère n’a pas beaucoup d’argent parce qu’elle n’a pas fait d’études, parce que sa mère à elle avait encore moins d’argent », car on sombrerait dans le misérabilisme. Or, ce n’est pas parce que je suis moins riche que je veux passer, pour autant, pour le pauvre orphelin dans la misère. J’évite de la ramener. N’empêche, ça me révolte. À une autre époque, j’aurais été révolutionnaire. À notre époque, je ne suis qu’impuissant. Ça me tue de voir l’action du gouvernement actuel, qui supprime des allocations aux chômeurs, supprime le RMI pour le transformer par une sorte de travail au rabais, qui crée des CDD de plusieurs années pour inciter les entreprises à embaucher tout le monde de façon encore plus précaire.

Autre sujet. Mardi, j’ai pas mal discuté avec Benoît. Je suis content, depuis le temps. Il m’a dit que ça lui avait fait plaisir de me parler. Tant mieux, car je m’inquiétais. Je me disais que, si on ne se voyait plus, c’était peut-être qu’il n’en avait plus envie. Il semble que non. Remarquez, moi non plus, je ne faisais pas d’efforts pour le voir, alors que j’aurais aimé ça. C’était probablement pareil pour lui.

Tout à l’heure, je voulais lire un bouquin, j’ai pris Oscar et la dame rose d’Éric-Emmanuel Schmitt. J’ai trouvé ça fort. J’étais tout ému. C’est triste, mais c’est dit avec des mots naïfs, parce que c’est censé être écrit par un enfant.


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Vendredi 23 avril 2004

C’est à la fois le premier et le dernier vendredi 23 avril 2004 de l’histoire de l’humanité. J’ai seize ans, trois mois et treize jours, et plus jamais je ne revivrai ce que l’on vit à seize ans, trois mois et treize jours. Voilà qui est dit.

Hier, avec Juline et maman, on a vu Mariages ! au cinoche. C’était sympa. C’est drôle. À chaque fois, je garde les billets de cinéma ; enfin, ceux de Saint-Germain, parce que le titre du film est écrit dessus. Mais là, c’est dommage, le gars du guichet nous a donné des tickets avec Starsky et Hutch écrit dessus. Je ne peux pas le garder en souvenir.

Au fait : j’ai fini La disparition. C’est génial. Extraordinaire d’intelligence. Non seulement c’est un exercice très intéressant, mais le livre ne s’arrête pas là : l’intrigue est rusée, il y a du suspense, on se demande « Mais où veut-il en venir ? » On découvre les personnages un à un : Anton Voyl, Amaury Conson, Arthur Wilburg Savorgnan, Douglas Haig Clifford, Olga Je-ne-sais-plus-quoi (un nom compliqué, genre Mavrhokodratos). En fait, ils ont tous un lien de parenté ou une histoire commune. Tout est révélé à la fin. Tout le monde meurt, au long du bouquin. C’est très étrange. J’adore ! Quel génie, ce Perec (et non « Pérec », comme s’obstine à l’écrire la prof de français… alors qu’il explique longuement, dans W, l’origine de son nom…) Je me suis aperçu que c’était lui qui avait écrit la préface du livre de Gotlib (le recueil de la Rubrique-à-brac tomes 4 et 5 et Trucs-en-vrac tome 1), qu’on avait acheté ensemble avec papa. Ce livre a une grande valeur pour moi. La préface, pendant longtemps, je ne la lisais même pas, je la trouvais ennuyeuse. Je l’ai relue récemment : elle est très drôle. C’est un gros délire, mais sous un abord très sérieux. Je n’en comprenais pas encore les subtilités.


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Mercredi 14 avril 2004

20h47. Hier, nous avons été tous les trois à Paris. Comme ça, pour sortir. C’était très bien, j’ai beaucoup aimé cette journée. Maman avait dit « quartier Saint-Michel », on a répondu « Pourquoi pas ? » (de toute façon, on ne connaît pas). On est sortis du RER à Châtelet–Les Halles, on a traversé l’île de la Cité, on s’est baladés un peu, on a mangé dans une brasserie qui était, je crois, sur le boulevard Saint-Germain. Ensuite, on a re-marché, sur les quais, voir les bouquinistes, devant l’église Saint-Séverin, devant l’Hôtel de Ville, devant Beaubourg, etc. On est même entrés dans Notre-Dame : j’y étais déjà entré, petit. On était avec papa, Juline et moi, et je me souviens qu’on était montés tout en haut des tours. Je me souviens aussi qu’il y avait peu de monde, qu’on s’était baladés tranquillement, qu’on avait pu monter facilement dans les tours. Mais hier, c’était bourré de monde. En plus, certaines parties étaient en travaux. Et puis, la visite des tours est payante, maintenant. Bon : de toute façon, on n’avait pas l’intention de les visiter. Ensuite, en rentrant, on est passés par les Halles, pour m’acheter deux t-shirts, deux caleçons et des chaussettes. Je n’aime tellement pas aller dans les centres commerciaux que, pour une fois qu’on passait devant… J’achète tout dans la même boutique : t-shirts, polos, pulls, jeans, caleçons, chaussettes, ceinture, blouson, tout vient de là, c’est plus simple et j’y passe moins de temps.

Aujourd’hui on a vu Les dix commandements avec Charlton Heston. Ça dure trois heures et demie. On l’a regardé en plusieurs fois. Je l’avais déjà vu quand j’étais petit, mais pas en entier. Je ne voulais pas rater le moment où il ouvre la mer Rouge en deux : terribles, les effets spéciaux ! Pour l’époque, c’est bien. Il est 21h02 maintenant.


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Lundi 12 avril 2004

J’ai fait un rêve étonnant. J’étais avec maman et Juline dans un magasin, genre supermarché. On en avait fait plusieurs autres avant celui-là, mais je ne me souviens pas de cette partie du rêve. On arrive aux caisses. Un gars du magasin me demande d’enlever ma veste. Je regarde autour de moi : oui, c’est bien à moi qu’il parle. Je porte cette chemise grise en jean que je porte souvent en été. Bon, je la retire. Il me demande de la remettre, et de recommencer. Soit, je m’exécute. Voilà, c’est tout ce qu’il voulait. Pour voir comment je faisais. Ensuite, on s’assoit tous (je ne sais plus pourquoi). Je suis seul ; plus loin, il y a maman, Juline et deux types. Le gars du début nous demande, sur le ton d’un interrogatoire, quelles sont nos orientations politiques. Juline s’empresse de dire « gauche ! » en son nom et celui de maman (en vrai, elle n’est pas si passionnée). Un type dit « communiste ! » et l’autre dit « centre ! » Moi, je ne dis rien. Le gars ne me demande pas mon avis, comme s’il n’attendait aucune réponse de ma part. Je me souviens que j’étais content, au fond de moi, que personne n’ait dit « droite ». Ensuite, le gars nous explique qu’on ne doit pas sortir d’ici. Si on veut continuer notre vie et la réussir, on doit d’abord passer une épreuve : se faire tatouer le Coran du Nord. Allez, voilà que mon inconscient fait des calembours. Mais dans le rêve, c’est sérieux, et je suis intrigué. Je lui demande si c’est indispensable. Cela signifierait-il que tous les autres gens ont déjà le Coran du Nord tatoué sur eux ? Il me semble que le gars a répondu : oui. Ou alors, il a éclaté d’un rire genre démoniaque. Puis, il s’absente. Il va chercher son matériel de tatoueur. J’en profite pour prendre dans la poche de mon manteau (le noir) mon carnet et mon crayon : je me dis qu’il faut absolument que je note tout ça, pour me souvenir de mon rêve une fois éveillé (je savais donc, dans mon rêve, que je rêvais). Le gars me surprend et m’engueule, je dois ranger mon carnet. J’avais seulement pu dessiner son visage : des petites lunettes rondes ; chauve sur le dessus du crâne ; un petit menton rond. J’avais commencé à noter un des ces phrases : « Messieurs… » Je range donc le carnet, mais je garde le crayon pour m’occuper les mains. Je ne me souviens plus comment finit le rêve. Mais, un détail encore : je tiens un livre, genre roman pour enfants Folio Junior. Ça s’appelle Vacances sous la pluie ou Dimanche de pluie. Sur la couverture, maman, Juline et moi sommes dessinés, tenant des parapluies. Il pleut très fort. Il y a deux bulles, avec du texte en anglais. En bas, les trois personnages sont reproduits en tout petit, avec les deux bulles traduites en français. Je ne me souviens plus quel était le texte, mais quelque chose me dérangeait : une question était posée dans la bulle de droite, et la réponse était à gauche. J’ai pensé que c’était du boulot d’amateur : l’ordre des bulles, c’est une règle de base de la lisibilité ! Autre chose me revient : lorsque le gars m’a surpris avec mon carnet, je lui ai dit que je notais un truc que je venais d’imaginer, et il me semble que c’était une allusion à une idée de dessin ou de BD que je ne voulais pas oublier. Le gars m’a cru. Un dernier détail : à un moment, ce gars a pensé que j’étais député. Ça m’a amusé, qu’il ne remarque même pas que je suis un peu jeune pour ça…

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Vendredi 9 avril 2004

Les gens de ma classe sont partis en Espagne lundi soir. Ils repartent ce soir, pour arriver demain matin. Finalement, ils n’auront passé que trois jours là-bas. Et trente heures dans le car. Je suis bien content de ne pas être parti. Je suis donc resté au lycée. On était dix élèves, dont B* et moi. Mardi, on a eu une heure de maths ; mercredi, deux ; jeudi, rien ; aujourd’hui, une de français, une de maths, une d’anglais. Ce n’est pas trop fatiguant. N’empêche : je me suis ennuyé à passer toutes ces heures à la maison. C’est long. J’aurais bien proposé à B* de faire quelque chose ensemble, mais je ne savais vraiment pas quoi. À W* aussi, pourquoi pas ? mais je ne l’ai pas vu. Ce midi, j’ai mangé à la cantine avec François, Ludo et Thomas, des copains de l’an dernier. Bon, c’était sympa, mais je ne le referais pas tous les jours : on n’a pas vraiment les mêmes préoccupations. B* n’était pas là, dommage. Il est allé manger à Saint-Germain avec une copine. Il m’avait proposé de l’accompagner, c’était gentil de sa part, mais j’ai refusé, comme un con. Parce que je ne la connais pas, et je me connais, moi : je n’allais rien trouver à lui dire. Alors ils allaient s’ennuyer avec moi. Mais je regrette tout de même. Parce que je reste toujours seul, je ne sors jamais. Dimanche, j’ai été au cinoche avec S*, voir Les choristes, mais ça ne compte pas : ce n’est pas ce qu’on appelle « sortir ». Les autres font des soirées avec plein de potes, ils « s’éclatent ». Mais ça ne m’éclate pas, moi, ces trucs-là.

En ce moment, je suis triste, je n’ai envie de rien. Un coup de cafard. Je me rends compte que je suis trop seul. Ça m’attriste et, à la fois, je n’ai pas envie de connaître d’autres gens. Les fêtes, les copains, ça ne m’intéresse pas. D’où : paradoxe. Je redoute les quinze jours de vacances qui débutent aujourd’hui : qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire ? Je sais très bien que je ne proposerai pas de sortie à des copains. Je me connais. Il n’y a que deux personnes avec qui j’aurais envie de sortir. S* : je sais qu’on se verra. Benoît : lui, ça me gêne, car on ne se voit plus. On ne fait plus aucun trajet ensemble. Au lycée, je ne vais jamais le voir, car il est avec sa bande de potes. C’est seul que je veux voir Benoît : je n’ai rien à dire à ses copains. Je vais essayer de lui proposer des trucs, mais, aux dernières vacances, il me disait qu’il était « overbooké » et on ne s’était pas vus du tout.

Dimanche, c’est Pâques. Tout à l’heure, j’ai dit que je sortais acheter du pain et j’en ai profité pour acheter deux poules en chocolat. Ça leur fera plaisir. À chaque fois qu’on fait un cadeau à maman, elle a l’air surprise, même quand c’est archi prévisible. En plus, je crois qu’elle l’est vraiment. Juline aussi sera contente.

J’ai dépassé aujourd’hui la centième page de ce carnet. Je me rends compte comme j’aime bien écrire.


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