Et de six… Ça y est, ils sont six à savoir. Mais les deux derniers, c’est à l’insu de mon plein gré, comme dirait l’autre… Limite, un outing ! Bon, j’exagère. Ça ne me gêne pas du tout. Au contraire. Bon, j’essaie d’être un peu structuré, sinon on ne va pas y arriver.
Les deux en question sont : d’une part la sœur de S*, que je côtoie un peu, mais sans la connaître (sauf à travers ce que me raconte S*…) ; d’autre part, Florian. Lui, je ne le connais pas personnellement, je ne lui ai jamais causé. Mais je sais qui il est : un brun avec des boucles d’oreilles (c’était avant : il paraît qu’il ne les porte plus), un homo qui s’assume et qui s’affiche. C’est pour ça qu’il m’intéresse. C’est un copain de *** (la sœur) et de W*.
Bon, soyons chronologiques. Il y a quelque temps (mais elle ne m’a pas dit à quel moment précis), S* l’a dit à sa sœur. Elle y a été poussée, me dit-elle. Apparemment, sa sœur avait entendu S* me dire « Je n’en parlerai pas » (je ne me souviens pas de ça), alors, curieuse, elle avait voulu connaître le secret. Et S* a lâché le morceau. Je ne lui en veux pas. Tant que sa sœur ne le répète pas à tout le monde…
La suite. Lundi, je n’ai pas été au lycée. C’est la semaine du bac blanc : j’ai des épreuves tous les jours sauf ce lundi. S*, elle, passait sa soutenance de TPE. Elle a mangé à la cantine avec sa sœur, avec W* et avec le fameux Florian. Puis, *** et W* sont partis, et elle s’est retrouvée seule avec Florian pour discuter. Je vais essayer de rapporter leur conversation. Bon, évidemment, je n’y étais pas. Même quand on a participé à la conversation, ce n’est pas facile de la retranscrire ; alors, quand on n’y était pas, vous imaginez la galère. Je fais un effort. Ça a dû être comme ça :
« J’aimerais bien qu’on se regroupe, tous les homos du lycée, qu’on fasse une sorte d’association. Ça pourrait aider ceux qui ont du mal, ceux qui se cherchent…
— Tu crois que les autres voudront participer ? Peut-être que certains ne voudront pas s’afficher.
— Oh, tu sais, je les connais tous, les homos du lycée.
— Moi, j’ai un ami qui l’est, et qui ne l’a dit à personne.
— Ah oui ? Et ce ne serait pas le gars qui est souvent avec toi, là, euh… ?
— Oui, il s’appelle Antonin. »
Elle lui aurait parlé de moi comme ça. Ce qui me paraît très louche, c’est qu’il ne me connaît pas (ou alors, il m’a repéré sans que je le remarque ? Je lui ai tapé dans l’œil ? C’est ça ! On peut rêver). Alors, c’est forcément que *** lui a parlé de moi.
Je disais que je ne voulais pas que *** le répète à d’autres, mais je nuance : le raconter à lui, oui. C’est tout. D’une part, parce qu’il est en mesure de comprendre. D’autre part, parce que ça va peut-être me donner l’occasion de le fréquenter. Ce serait bien que je trouve quelqu’un à qui parler. Je veux dire : quelqu’un qui puisse me comprendre. Je peux en parler aux autres, mais, malgré leur bonne volonté, ils ne pourront pas se mettre à ma place. Lui, il pourrait.
Par contre, son idée d’association, je ne sais pas si S* a tout compris, mais je trouve ça bizarre… L’amicale des homos du lycée Alain ? Ça fait moitié lobby, moitié club de rencontre. Je suis circonspect, dirons-nous.
Elle m’en a parlé hier matin, sur le trajet vers le lycée. D’abord, elle m’a présenté ça différemment. Elle m’a dit : « Il y a Florian, le copain homo de ma sœur, qui est venu me parler et qui m’a dit : Je suis sûr que ton copain il est homo, moi ceux du lycée je les connais tous. » Hum… Puis, elle m’a dit : « À mon avis, ce n’est pas lui qui a deviné, c’est plutôt *** qui a dû le lui dire. » Ah ! parce que *** est au courant ? Voilà, voilà… Cette version était bien différente. Mais on n’a pas parlé longtemps. Ensuite, on a été dans nos salles respectives pour le bac blanc. C’est pourquoi je lui en ai reparlé aujourd’hui, pour connaître les détails.
Oui, donc, le bac blanc. Ce matin, histoire et géo. Ça va, c’était facile. Hier, philo et anglais. L’anglais c’était chiant, mais pas difficile. La philo, c’était génial ! J’ai choisi le sujet : « Suis-je le mieux placé pour savoir qui je suis ? » Dès que je l’ai vu, je me suis dit : « Super, c’est ce qu’il me fallait », et j’ai passé à la trappe l’autre dissertation et l’étude de texte. Ça tombait bien, car c’est une question que je me pose souvent. Pas tout à fait dans ces termes, mais bon. Je cherche à savoir qui je suis. Sur mon orientation sexuelle, mais pas seulement. Je me cherche. Et, seul, je me rends compte comme j’ai du mal à trouver des réponses. J’ai besoin d’autrui pour m’aider à me retrouver dans mon cerveau… J’ai écrit ceci : quand on explore son esprit, plus on avance profondément, plus on découvre de nouveaux chemins à explorer, alors on se perd. C’est exactement ce que je fais : je me perds. Ça se voit dans ce journal, d’ailleurs : plus j’écris, plus je trouve à écrire. Et je m’égare. Alors, une intervention d’autrui, même très simple, peut m’aider à retomber sur mes pattes. Par exemple : deux ou trois mots de B*. Ou : m’être confié à maman. Je partage mes impressions, je profite de l’expérience des autres. Ça me remet sur la bonne piste.
Demain, c’est maths. Je n’ai pas révisé. Ça ne se révise pas, les maths. Première raison : parce que c’est facile. Deuxième raison : parce que les notions apprises en début d’année servent encore en ce moment (calculer une dérivée), donc je n’ai pas pu les oublier.
Vendredi, c’est SES. Pour moi, ça durera cinq heures, parce que j’ai choisi la spécialité éco. C’est difficile de rester cinq heures. Je dois faire des pauses, m’étirer, m’aérer les neurones, me détendre la main. D’ailleurs, j’ai passé quatre heures à écrire ce matin, et ça fait encore une demi-heure que j’écris dans ce carnet… Je ne fais pas de pause, je ne me relis pas, c’est au fil de la plume. Comme j’essaie d’aller aussi vite que mes pensées, le rythme est soutenu. Ma main fatigue.
Je pense à un truc. Ça me fait un peu peur. J’ai appris que Uderzo s’était tellement usé la main, au fil des milliers de planches dessinées, qu’il ne peut presque plus rien faire maintenant. Il continue à crayonner, mais il ne fait plus l’encrage. Imaginez que ça m’arrive u jour.
Lundi, on a reçu le modem ADSL. Enfin ! C’est mon cadeau de Noël. Ça a été un bordel monstre pour tout brancher, parce que les câbles sont trop courts (ou les prises trop loin). Mais maintenant c’est bon, j’ai pu en profiter. C’est vachement bien. C’est rapide et illimité. Je peux rester une demi-heure sur une page sans avoir peur du forfait qui risque de se terminer. Je vais profiter plus souvent de MSN : avant, je m’arrangeais pour avoir toujours autre chose à faire en même temps, pour ne pas griller tout mon forfait avec ça.
Cet après-midi j’ai regardé un DVD avec Juline : La vie de David Gale, prêté par sa copine C*. Jusqu’aux trois quarts, c’est une intrigue policière assez classique. À la fin, on se dit que ça va se terminer comme d’habitude dans les films américains : on va réussir à prouver l’innocence du condamné à mort, à la dernière seconde, et happy end. Comme dans je ne sais plus quel film de Clint Eastwood où il arrive après la première injection, juste à temps pour empêcher l’injection mortelle… Eh bien, là, non. Jusqu’au bout, on y croit… et elle arrive trop tard. David Gale est exécuté. Moi, ça me plaît. J’ai horreur des happy ends trop convenues. Dans ces films-là, si on sait comment ça va se terminer, à quoi bon aller au bout de l’histoire ? Et en plus, à tous les coups, le héros et l’héroïne tombent amoureux et finissent ensemble.
Connaissez-vous le professeur Ingmar von Torink ? Quand vous cherchez « Torink » sur Google, vous en trouvez deux : le mien, et le professeur Ingmar von Torink. J’adore ce nom. Ça lui va bien ! Je ne sais pas si ça existe, un ornithorynque suédois ? Ce professeur a écrit un bouquin qui s’appelle : Réduction au facteur commun de la demi-folie… Un truc de maths. J’adore le titre. Le genre de livre que mon Torink pourrait écrire, non ?
Ça fait quasiment une heure que j’écris. Je ne vois pas le temps passer. Vous imaginez tout le temps qu’il m’a fallu pour écrire les trois ou quatre cents pages de mon journal ? Tout ce temps… Et tout ce papier, couvert de mes épanchements… Tous ces « je », tous ces « moi » !
Pour finir, un dernier truc. Je note où j’en suis dans mon auto-exploration. Aujourd’hui je me considère comme parfaitement homo, sans exclure toutefois de pouvoir être aussi hétéro (donc bi). Homo, sûr ; bi, peut-être. Il me reste quelques certitudes. C’est pour ça que je ne le fais pas encore savoir. Dire « j’aime les mecs » sous-entends « je n’aime pas les filles », or je ne veux pas renoncer aux filles tant que je ne suis pas certain qu’elles ne m’intéressent pas.
Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no3 (Finalement, c’est comme tout, on s’y habitue, 19 janvier – 15 mars 2005), j’ai dix-sept ans.