Mercredi 2 mars 2005

J’avais écrit « mercredi 30 février » : ma montre était mal réglée.

C’est dingue : je passe presque des vacances normales. Je vois des gens, je sors… Lundi, j’ai vu Benoît. Hier, j’ai vu S*. J’étais chez elle, cette fois. Ce que j’aime bien avec S* : on papote, on papote. Et pour la première fois de ma vie, j’ai fait ce que tout le monde fait depuis toujours : j’ai parlé librement des mecs, j’ai donné mon avis. S* a dit : « Florian, il est mignon, quel gâchis » (c’est idiot). Je lui ai répondu : « Hé, ho, c’est pas du gâchis pour tout le monde, pense un peu aux autres. Heureusement qu’il m’en reste… Imagine que, moi, je me dis ça pour 95 % des mecs. » Puis, je lui ai laissé entendre que B*…

Aujourd’hui, je suis allé à Beaubourg avec Juline. Pour nous, c’est gratuit : moi parce que j’ai moins de dix-huit ans, elle parce qu’elle étudie les arts plastiques. J’étais déjà venu il y a longtemps, avec ma classe de cinquième et notre prof d’arts plastiques, Mme A*. C’est… hum… spécial. Il y a des trucs que j’aime bien. Certaines œuvres, parce que je les trouve expressives. D’autres, parce que je me dis : « Quelle bonne idée, j’aurais aimé l’avoir. » C’est le cas des ready made de Duchamp : c’est limite du foutage de gueule, mais c’est génial. D’autres œuvres, par contre… J’y suis totalement hermétique. D’autres encore qui me mettent franchement mal à l’aise (j’imagine que c’est le but). Le body art de Gina Pane par exemple : elle se mutile, et c’est ça son œuvre.

Puis, on a été aux Halles, puisque c’est à côté. Juline voulait des fringues, encore. J’ai été patient. (J’exagère, parce qu’elle n’a pas pris tellement de temps.)

Et je continue… Demain… B* vient ! Chez moi ! C’est génial. Mais, comme je suis compliqué, je m’inquiète. J’ai toujours peur que les gens s’ennuient avec moi. Et surtout lui, qui est parfois si mutique – mais en général, avec moi, pas trop. Et puis là, c’est différent : c’est les vacances et il vient me voir. C’est moi qui le lui ai proposé. Je ne pensais qu’à ça depuis son retour de voyage. Je sais : je suis ridicule.

J’ai encore rêvé de lui. C’est con, mais maintenant, les rares fois où ça ne m’arrive pas, je suis déçu ! Ça me plaît, d’être dans cet état bizarre. Si c’est ça être amoureux, eh bien j’aime ça. Même si je sais que ça ne mènera à rien, je m’en fous. J’aime l’idée d’être amoureux. C’est agréable.

Mais il faut pas que je me prenne trop la tête, parce qu’il ne faudrait pas que ça se voit.

J’aurais préféré qu’on sorte, qu’on aille manger quelque part. Mais, avec ce temps pourri… Il caille vraiment. Et cette neige ! Au début, j’aimais bien, mais on s’en lasse. Ça dure.


Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no3 (Finalement, c’est comme tout, on s’y habitue, 19 janvier – 15 mars 2005), j’ai dix-sept ans.

Lundi 28 février 2005

Je suis déçu. Aujourd’hui, toutes les conditions idéales étaient réunies. Juline à la fac toute la journée. Maman chez mamie. Moi tout seul ! J’ai appelé Benoît hier, pour qu’il vienne cet après-midi.

J’allais lui dire. Vous commencez à me connaître, alors vous savez que j’avais tout préparé dans ma tête. Et, comme vous vous en doutez : je n’ai pas trouvé l’occasion. Ou : quand elle s’est présentée, je me suis dégonflé. Comme d’habitude-euh (air connu). Je suis déçu parce qu’on n’a pas parlé autant que je l’aurais voulu. À un moment, il voulait me montrer quelque chose sur Internet et on a passé pas mal de temps à regarder des trucs. Je trouve ça dommage, on se voit si peu. À part ça, c’était sympa : on a causé de BD, et un peu de nous. Je suis déçu, surtout, par mon manque de suite dans les idées. Je me suis dégonflé alors que le moment était idéal.

C’est aujourd’hui que B* revient de vacances ! Je ne pense qu’à ça, c’est fou. J’ai envie de le voir. Mais, comme je suis un gars compliqué, je le redoute en même temps. Est-ce qu’on va réussir à passer un bon moment tous les deux, comme ça ? Je me connais, je le connais, mais on ne s’est jamais vus en dehors du lycée, encore moins en tête-à-tête. Quand je pense à lui, je vais super bien !

Sinon, la routine. Ça va pas mal, sans plus. J’ai du mal à m’intéresser aux choses auxquelles je devrais m’intéresser. Le travail : j’ai dû bosser une heure au total depuis le début des vacances. Et même le reste : mes BD. Je suis instable. Je suis pris d’un enthousiasme dingue pour un nouveau projet, puis je le méprise. Je me dis : À quoi ça mène ?

J’ai dessiné la cinquième planche d’Anatole et les trois ours aujourd’hui. Et j’ai fini mon carnet bleu ! Un petit carnet de cinquante pages, commencé en août. Rien que sur cette période, on voit une évolution. Je dessine dans un style très différent de celui de mes BD : plus réaliste et plus grave. Non, pas forcément plus réaliste, mais sérieux. Même un peu déprimant parfois, j’avoue. Et puis, j’essaie des techniques différentes. Parfois c’est foiré, et même risible… D’autres fois c’est pas mal. J’utilise mon encre de Chine, mais c’est un vieux pot dont l’encre est toute gluante, voire solidifiée dans le fond. C’est un peu dégueu, mais on peut faire des trucs originaux avec. Au pinceau, ou avec un bâtonnet de bois. J’utilise aussi ma pseudo-aquarelle.

Je ne comprends pas comment font les gens qui ne créent rien. Si je n’avais pas ça, j’aurais l’impression d’être inutile. Déjà que je n’ai pas l’impression que ma vie soit d’une importance capitale pour l’humanité, si je ne créais pas je ne servirais vraiment à rien. Là, si je meurs demain, on pourra se souvenir de moi. Si on se demande « Mais qui était Antonin Crenn ? », on pourra chercher dans mes créations. Les BD d’Anatole, c’est moi : je suis ces histoires. Torink, c’est moi. Mes dessins tristes du carnet bleu, c’est moi. Ce journal, c’est moi. Je sais que ce journal n’a aucune qualité littéraire, et ça n’a jamais été son ambition. Il est seulement le reflet de ce que je suis ou de ce que je pense être. Il y a tellement de choses que je suis et que les gens ne savent pas. Si je meurs demain, ils trouveront ici une partie de ce que je suis.

Après le départ de Benoît, j’ai eu un coup de blues. Comme un con, j’ai été faire ce que je fais quand je suis seul et que je m’emmerde. J’ai été sur ce fameux forum. Je commence à connaître ces gens. J’aime bien ce forum, les participants sont intelligents (ce qui n’est pas le cas partout), pertinents, de bon conseil. Ça fait du bien. Peut-être que j’y participerai un jour. J’ai plein de questions, auxquelles seuls d’autres homos peuvent répondre. Mais j’ai peur, si je my mets, de devenir accro. L’idéal serait d’avoir de vrais copains. C’est décidé : à la rentrée j’irai chercher Florian, et on verra ce qu’on verra.

Sur ce forum, il y avait cette question : « Feriez-vous l’amour avec vous-mêmes ? » C’est amusant, parce que je pensais à cette question justement. Je me disais que c’était une chose que les hétéros ne connaissent pas : dans l’homosexualité, on désire nos semblables. Alors, pourquoi pas soi-même ? On pourrait se surprendre, en se regardant dans la glace, à penser : « Mhm, il est mignon lui ! » Mais ce n’est pas mon cas : je ne me plais pas. Mais ce serait possible dans l’absolu. Alors qu’un hétéro devant sa glace, il ne voit qu’un mec : « Oui, et alors ? »

Je ne me plais pas beaucoup. Remarquez, en ce moment j’aime bien ma tête. Je ne me trouve pas beau gosse, non plus, mais je me dis que j’ai une petite gueule sympa. Mon allure générale passe bien aussi : je suis mince, ma silhouette n’est pas mal. Mais c’est tout. Nu, je n’ai aucun intérêt. Mon corps n’est pas terrible. C’est ma faute : jamais de sport en dix-sept ans de vie ! Heureusement que je suis jeune ! Comment je serai à cinquante ans ! C’est dommage, parce que je suis plutôt bien foutu : j’ai une bonne base, je pourrais faire quelque chose de bien de mon corps si je voulais. Tant pis. C’est sûr que, quand on voit un mec comme B*… wahou ! Pas de comparaison possible. J’ai du mal à imaginer, d’ailleurs, qu’un super beau mec puisse s’intéresser à moi. Entre une fille et un mec, c’est différent ; mais entre deux mecs, la comparaison est tellement évidente que ça peut être gênant…

Moi, on m’aimera pour ma beauté intérieure, comme on dit. Je pense que je ne suis pas inintéressant comme gars, mais il faut bien me connaître. Sinon, je suis plutôt chiant. Je suis solitaire, je ne vais jamais vers les autres. Je suis souvent triste. Je suis torturé dans ma tête. Qui voudrait d’un type pareil ? Faudrait être maso. Remarquez : moi, les types mystérieux, un peu dérangés, je trouve ça attirant… B*, dans son genre, n’est pas évident non plus. Ils sont attirants, oui, mais pas faciles à approcher !

Et puis, devoir subir mes états d’âme, mes humeurs… Tu parles d’un cadeau. Quoique… Non. Si j’avais quelqu’un, je ne serais plus comme ça. C’est ce qu’il me faut : l’amour. C’est ce qu’on me souhaiter de mieux. Je suis un grand sentimental…

Autre chose. Je me demande souvent quel mot utiliser pour dire ce que je suis. Il y a « homo » : ce mot est bien parce qu’il est neutre, mais il n’est pas très joli. Et puis, ce n’est pas un mot simple : il existe seulement par son opposition à « hétéro ». De plus, il est la version courte d’« homosexuel » et c’est un mot que je n’aime pas. C’est le mot exact, mais il est technique, froid, médical, comme un nom de maladie. Et il y a « sexuel » dedans : c’est dommage parce que l’homosexualité c’est tout ce qui va avec l’amour. Je n’aime pas cette dimension immédiatement sexuelle. Alors, il y aurait « pédé ». C’est bien. C’est plus familier, moins coincé. Mais on ne peut pas l’utiliser avec tout le monde, parce que c’est connoté péjorativement. Et puis, « pédé » vient de « pédéraste », qui n’est pas tout à fait la même chose qu’« homosexuel ». Ne parlons pas de « tapette », « pédale », « tarlouze », « tante » et compagnie, qui sont exclusivement des insultes. Alors, le meilleur serait « gay ». C’est bien, parce que c’est un mot à part entière, il n’est pas formé en opposition à l’hétérosexualité et il n’est pas péjoratif. Et puis, c’est joli (alors que l’équivalent pour les filles, « lesbienne », je ne trouve pas ça joli). Le problème, c’est : « gay », ça fait communauté, ça fait Marais, ça fait Têtu, ça fait : le mec qui va dans les bars gays et qui écoute Mylène Farmer, ça fait Pink TV, etc. Je ne me reconnais pas dans cette communauté. D’une : parce que je ne connais aucun autre gay, alors je ne risque pas de faire « communauté » avec qui que ce soit. De deux : parce que je vis comme tout le monde, que je n’ai jamais été dans le Marais, etc. Un autre truc qui me gêne : « gay », c’est une sonorité anglo-saxonne, américaine sans doute, ça fait pseudo-branché et je n’aime pas ça. Mais bon… ça reste un joli mot. Alors tout de même. Après délibération, le mot « gay » est peut-être le meilleur, parce qu’il est joli.


Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no3 (Finalement, c’est comme tout, on s’y habitue, 19 janvier – 15 mars 2005), j’ai dix-sept ans.

Samedi 26 février 2005

J’ai laissé tomber Le mystérieux poisson rouge. C’est trop long, trop compliqué, trop prétentieux. Je veux faire quelque chose de plus léger. Dans Le poisson rouge, j’ai peur qu’on s’imagine que j’essaie de faire passer un message, une critique, des symboles… alors que je veux juste faire une BD marrante. Aussi, j’ai commencé Anatole et les trois ours. Là, c’est du délire complet, aucune symbolique sous-jacente. C’est pour rigoler, comme les deux épisodes précédents. J’ai déjà dessiné une planche. Pour ne pas me prendre la tête, j’ai refait comme avant : page A4, quatre fois trois cases. Peut-être reprendrai-je Le poisson rouge plus tard, mais pour le moment je n’en ai plus envie.

Cet après-midi, à la bibliothèque du Vésinet avec maman : j’ai rendu La confusion des sentiments et j’ai pris Brûlant secret (un autre livre de Zweig : sur le même sujet, je crois ?) et Journal du voleur de Jean Genet (j’en connais le sujet). J’avais pensé que ce pourrait être le prétexte à une discussion sur moi… Tu parles ! J’ai parlé à maman de La confusion des sentiments, mais je n’ai pas franchi le pas pour parler de moi. J’ai pas osé. J’ai tendu quelques perches, et sans doute maman n’a-t-elle pas osé non plus.

J’aurais envie de voir B* la semaine prochaine. Mais je ne sais pas quand, où, comment. Ici ? Non… Je ne serai pas seul – et je préfèrerais qu’on le soit. J’aimerais bien qu’on aille manger ensemble quelque part.

J’ai encore rêvé de lui. C’est quasiment toutes les nuits. Oh, comme d’habitude : rien de tendancieux. Il est simplement un copain, c’est très anodin. Simplement, je pense à lui. Pense-t-on aussi souvent à un ami ? Dans un de mes rêves, c’était la rentrée. Je le retrouvais. Il m’engueulait parce que je ne l’avais pas appelé pendant les vacances ! Il m’en voulait.

Je crois que là, vraiment, c’est sûr. Pas de doute possible. Pourtant, j’hésite encore à nommer ce sentiment.

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Jeudi 24 février 2005

Jeudi déjà… C’est fou comme le temps passe vite.

Hier soir, on a été à la crêperie tous les trois. Maman est en vacances pour six jours, à partir d’aujourd’hui. Cet après-midi j’ai vu Ray au cinéma avec elle.

À part ça, j’ai l’impression de n’avoir rien fait de mon temps depuis le début des vacances. Ce soir, je n’ai envie de rien. Bof… Un petit coup de blues passager. C’est rien.


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Mercredi 23 février 2005

Ce matin au réveil, je monte mon volet et… oh ! Tout ce blanc ! C’était beau. Il a beaucoup neigé et, à présent, un beau soleil.

Ce midi, j’ai eu envie de regarder le journal télévisé pour voir des images de Paris sous la neige… Ces rabat-joies ne parlent que des problèmes de circulation que ça engendre. Ce que je m’en fous, alors !

Quand je suis sorti ce matin, c’était beau et il ne faisait même pas froid. J’ai été chez le coiffeur, ça faisait longtemps. Ma coupe « en brosse » n’en était plus vraiment une. Maintenant, c’est très court. Peut-être un peu trop, mais c’est voulu : ça repousse tellement vite, alors, quand je les fais couper, c’est pour de bon. Le problème, c’est la première semaine : ça fait vraiment court, limite militaire : une tignasse beatnik serait plus en accord avec moi-même, mais ce n’est pas mon style. Je suis très passe-partout.

Comme la coiffeuse avait du retard, j’ai dû patienter en feuilletant Paris Match et L’Express. Dans L’Express j’ai lu que le Canada allait être le troisième pays à autoriser le mariage homosexuel (après la Belgique et les Pays-Bas). Plus loin dans le magazine, ce chiffre (que j’avais déjà lu ailleurs) : le taux de suicide chez les jeunes homos est de sept à dix fois supérieur à celui des hétéros. Ça ne m’étonne pas. Moi aussi, j’y ai pensé. Quand je dis que « j’y ai pensé », ça ne veut pas dire que j’ai envisagé de le faire, mais que je me suis posé la question. C’est vrai, quoi : si je suis malheureux, pourquoi ne pas me supprimer ? Ça pourrait être une solution. Mais j’ai réfléchi une seconde et je me suis rendu compte que le suicide, très peu pour moi. J’ai trouvé quatre raisons.

Un. Je suis malheureux maintenant, mais peut-être ne le serais-je plus, plus tard. Je ne crois pas au bonheur, mais je me dis que rien n’est joué d’avance. Je peux avoir une vie formidable. Si ça se trouve, j’aurai toujours une vie merdique, mais rien n’est certain. Dans le doute, autant essayer. On n’a qu’une vie, alors autant aller jusqu’au bout, pour voir comment c’est.

Deux. Se suicider, c’est valable si je n’attends rien de la vie. Moi, il m’arrive d’être malheureux, mais je ne suis pas désespéré. J’ai même un projet passionnant et ambitieux pour ma vie : faire de la BD, devenir un artiste reconnu. Il se trouve, en plus, que je crois avoir les moyens d’y parvenir. Je pense que j’ai un certain talent. Ce serait dommage de le gâcher. Dans une autre vie, j’aurais pu avoir l’ambition, mais pas le talent ; je pense avoir les deux, je dois en profiter. Je pense pouvoir faire quelque chose de bien de ma vie, même si aujourd’hui elle n’est pas terrible.

Trois. Des gens m’aiment. Si je me supprime, ça leur fera de la peine. Pire : ils culpabiliseront. C’est toujours comme ça quand quelqu’un se suicide, surtout un jeune. Je ne veux pas infliger ça à ma mère, qui est franchement formidable avec moi. Ni à ma sœur. Ni à mes amis – car j’ai la chance d’en avoir.

Quatre. Si je me tue, pour quelle raison le ferai-je ? À cause d’un malaise profond et généralisé ? certes, mais surtout à cause de mon homosexualité. Et alors ? Il n’y a pas déjà assez d’homos suicidés comme ça ? Un homo ne pourrait pas vivre heureux, il devrait se supprimer ? Pourquoi donc ? Ça donnerait raison aux homophobes : si je suis malheureux, c’est parce que je ne suis pas normal ; si je me tue, c’est parce que c’était la meilleure chose à faire.

Vous voyez : j’ai de bons arguments. D’autant plus que, si je voulais me tuer, je ne sais pas comment je m’y prendrais, du point de vue technique. Me pendre ? C’est trop long, trop douloureux, on agonise pendant de longues secondes ou minutes, c’est affreux. Se noyer, c’est pareil. Se tailler les veines aussi, mais en plus c’est dégueulasse, on nage dans son sang – moi qui n’en supporte pas la vue… Et puis, il faut réussir à se taillader : j’ai trop peur de la douleur. Les médicaments, c’est trop risqué. On ne sait pas ce que ça peut faire. On peut se rater et garder des séquelles toute sa vie. Comme quand on se jette par la fenêtre : si on se rate, on est toujours aussi malheureux, mais en plus on est handicapé. Se jeter sous un train ? Et traumatiser le conducteur, le culpabiliser, lui faire faire des cauchemars ? Il faut se suicider sans emmerder personne. Le gaz, c’est dangereux, on peut faire sauter l’immeuble. Le mieux serait un coup de revolver, mais je n’en ai pas. Et même : c’est pas si terrible, en fait, parce qu’il faut penser à la personne qui me découvrira. Il faut rester présentable. Si j’ai le crâne explosé, c’est horrible.

Tout ça pour dire que je suis encore en vie pour un bon bout de temps, si tout se passe bien.

C’est dingue comme je me sens bien en ce moment (relativement à avant, je veux dire ; car je ne crois pas au bonheur dans l’absolu).


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Mardi 22 février 2005

Ce matin, il neige. Je suis sorti (pour acheter du pain et prendre rendez-vous chez le coiffeur). J’étais comme un gamin ! C’est tellement rare, qu’il neige. Mon manteau noir était couvert de petits flocons… Sur les rebords des bacs à fleurs, dans la rue, il y avait une couche de neige de plusieurs centimètres. C’était tentant. J’ai fait une petite boule que j’ai gardée, le temps de quelques pas, puis je l’ai éclatée dans mes mains. Ce que je préfère, c’est quand il neige les jours où je vais au lycée. Parce que je traverse une grande pelouse, et j’aime cette impression, lorsque j’arrive sur cette grande étendue blanche à 8 heures du matin, d’être le premier à fouler cette neige. Je vous l’avais dit : je suis comme un gamin.

Hier soir, à la télé, j’ai vu l’adaptation du Père Goriot. Je n’ai pas lu le roman, mais j’ai aimé ce téléfilm. C’est par le même réalisateur que Les Thibault, que j’avais adoré. Et Rastignac, c’est Malik Zidi : il était Jacques Thibault. J’adore ce type. Je l’ai rarement vu, mais il me plaît. J’aime son sourire. Pas étonnant que Vautrin en tombe amoureux.

J’ai imprimé la couverture en couleurs du Dernier chocolat de la boîte. Je vais en envoyer un exemplaire à R*.

S* vient à la maison cet après-midi.

Plus tard

J’ai dessiné. Quand S* est arrivée, j’avais crayonné toute la première planche. Maintenant, elle est encrée, et j’ai quasiment fait les deux premières bandes de la seconde. Cette fois, j’ai utilisé un feutre. D’habitude, c’est mon stylo plume. Je suis content de moi, je trouve que le dessin de la première planche est bon. J’ai un peu galéré pour le portrait de Freud, mais ça va, c’est convenable. Je vais le dessiner encore trois fois, dans l’histoire. Demain, il faut que je trouve des photos de poisson rouge et de chat, pour continuer.

J’ai dessiné en écoutant la radio. À un moment, ils ont passé Comme ils disent d’Aznavour. Je ne l’avais jamais entendue. Mais j’avais lu les paroles. C’est une belle chanson. Le personnage est pathétique, mais émouvant. Cette chanson m’a ému, mais si ça se trouve, je suis seulement ému parce que j’avais décidé par avance de l’être ? Toujours est-il que, quand le personnage rentre chez lui, seul, et ne dort pas, pensant à ce garçon si beau qui ne s’intéresse qu’aux filles, eh bien, c’est bien dit. Je ne me suis pas identifié au personnage pour autant, hein : me travestir, c’est pas au programme.

J’ai papoté quelques heures avec S*. Elle a vu Rois et Reine et n’a pas du tout aimé. Comment est-ce possible ? J’ai tellement aimé ce film… ! Mais oui, S* est S*… On ne fonctionne pas vraiment pareil.

On a parlé de M*, de B*, etc. J’ai pas mal déblatéré sur M*. J’ai dit que je ne voyais vraiment pas ce qu’il pouvait lui trouver. Elle, la jolie fille qui n’a rien dans la tête, qui se jette sur tous les mecs venus. Lui, intelligent sensible, introverti, qui est si beau qu’il pourrait avoir qui il veut, mais qui ne fait rien pour ça.

Je ne sais pas si je vous l’ai dit mais, en ce moment, B* est en République dominicaine. Le pauvre ! Une semaine sous les palmiers : qu’est qu’il doit se faire chier… Avec sa mère et son beau-père.


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Lundi 21 février 2005

J’ai commencé hier La confusion des sentiments de Stefan Zweig et je l’ai fini aujourd’hui. Je l’avoue : quand je l’ai emprunté à la bibliothèque, j’étais prêt à choisir n’importe quel bouquin qui parlerait d’homosexualité. Et je suis tombé sur un chef d’œuvre. Le livre est passionnant, outre le fait qu’il parle d’homosexualité. D’ailleurs, il n’en parle qu’à la toute fin. Moi, je savais que c’était le sujet du bouquin, alors je guettais. Cet étudiant va-t-il tomber amoureux de son prof ? Non, ce prof est un vieil homme… et lui aime trop les filles… Je me suis fait avoir : c’est le prof qui aime son élève. Si ça se trouve, c’était gros comme une maison, mais je suis nul pour ça, je ne devine jamais rien. Bon, blague à part, l’analyse psychologique est franchement bien fichue. Et ça se lit bien. Hier, j’ai eu du mal à en décrocher, après avoir lu les deux tiers d’une traite (c’est assez court, en fait). Jusque là, pas d’homosexualité, mais je n’étais pas déçu, j’avais découvert un super bouquin. Ça nous tombe dessus dans les dernières pages. Ce vieil homme est tellement pathétique ! C’est affreux, cette vie malheureuse. À la fin, on comprend toutes les remarques qu’il a dites, tous les gestes qu’il a eus, et les efforts qu’il a faits pour se freiner. C’est sordide. Je suis content de vivre en 2005 ! Quelle horreur, d’être pédé il y a cent ans.

À part ça, j’ai glandé. J’étais seul à la maison – Juline à la fac, maman au boulot. Le matin, j’ai traîné sur Internet. Je ne peux pas m’en empêcher : j’ai été lire quelques sujets du forum homo que j’ai déjà mentionné ici. Puis, je me suis fait à bouffer et j’ai écouté la radio. J’ai déjà vu mieux : manger ses nouilles en écoutant de Villiers ! Heureusement, le sujet d’après était plus intéressant. J’aime bien les émissions de France Inter. Il est rare que je les écoute à midi, puisque je ne suis jamais là. J’ai fait la vaisselle, puis j’ai lu Zweig. Puis, je me suis remis à Anatole : j’ai fini le découpage. Finalement, je n’ai pas pu tout caser en seize pages : j’en aurai dix-huit. Puis, je suis sorti faire un tour, acheter du pain, le programme télé, des timbres. Passionnant, ce que je raconte ! En tout cas, je vais très bien : c’est déjà ça de gagné.


Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no3 (Finalement, c’est comme tout, on s’y habitue, 19 janvier – 15 mars 2005), j’ai dix-sept ans.

Dimanche 20 février 2005

Vendredi soir, je me suis dit : C’est les vacances, je vais avoir le temps de me lancer dans un nouveau projet de BD. Un nouvel épisode d’Anatole Lebrun, par exemple. Alors j’ai cherché une idée, je l’ai trouvée, j’ai dormi, et je l’ai fignolée le matin avant de me lever.

Dans la forme, ce sera un peu différent des deux précédents : ce ne sera pas « une journée dans la vie d’Anatole Lebrun », mais quatre journées. Et j’hésite à garder mes pages en gaufrier de quatre fois trois cases… Ça, c’est bien quand on improvise, comme les deux précédents : quand les cases sont tracées d’avance, toutes égales, ça m’aide à savoir où je vais, ça donne un rythme. Mais là, ce ne sera pas nécessaire. Ça risquerait même de me contraindre. Parce que je n’improviserai pas : tout mon scénario est bouclé. Je l’ai même tapé à l’ordinateur hier, et ça fait six pages…

J’aimerais que la BD fasse seize planches, comme les précédentes. C’est le but de mon découpage, que je vais faire aujourd’hui. Comme le récit s’étale sur quatre jours, j’aimerais que chaque journée commence sur une nouvelle page. Cette fois, je dessinerai en grand, plutôt que directement au format A4 final. Ce sera mieux.

Ça devrait s’appeler Le mystérieux poisson rouge, ça parle de rêve et de psychanalyse. Ça paraît ambitieux. C’est mon problème. Je veux faire quelque chose de très léger. Si j’utilise un psy dans mon histoire, c’est juste pour rigoler. Il faudra que je rende ça marrant par le dessin…

Dans mon scénario, je me suis arrangé pour que les éléments qui transparaissent de la vie d’Anatole ne me bloquent pas, plus tard, si je veux en faire un personnage autobiographique. Je trouve qu’il a un peu mon caractère, non ? Par exemple, au départ, je le faisais téléphoner à ses parents ; j’ai corrigé et, maintenant, il appelle sa mère uniquement. Vous voyez ? Et puis, il est un peu pédé sur les bords, mon Anatole. En tout cas, on peut penser qu’il l’est (bien sûr, pour l’instant je ne le montre pas, il n’y a que moi qui le sais). Il est célibataire et il n’a pas l’air de s’intéresser aux filles.

Vendredi soir, j’ai lu quelque chose de vraiment super : je me suis avalé d’un coup les deux cents pages de Un Américain en balade. C’est magnifique. Ce Craig Thompson, je l’adore. Les dessins sont à tomber par terre : quand je pense que c’est dessiné sur le vif… Des paysages, des portraits dans la rue… Et le texte est très beau aussi, il parle de lui avec sensibilité, j’étais tout retourné quand j’ai fini de le lire.

Il y a quelques jours, je parlais ici de la main d’Uderzo. Je disais : « Le pauvre, il s’est flingué la main à trop dessiner, il n’est presque plus capable. » J’ai découvert pire dans Un Américain en balade : Craig Thompson aussi a la main en compote, mais il n’a que trente ans ! À force de dessiner tout le temps, vraiment tout le temps, il s’est bousillé la main : il a de l’arthrite et il souffre comme c’est pas permis. Heureusement que je ne dessine pas autant…

Hier, j’ai acheté Il faut tuer José Bové, une BD de Jul, dessinateur dans Charlie. Et puis, j’ai trouvé Le voyage à motocyclette. Sur la jaquette, c’est l’affiche de Carnets de voyage, ce film magnifique. Même l’affiche est superbe. J’en ai une petite reproduction scotchée sur mon mur – en plus, c’est le beau Gael García Bernal. J’hésite : est-ce que je lis d’abord ce livre, ou celui que m’a offert S* ? Chronologiquement, Otra Vez vient après, mais je l’ai reçu avant.


Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no3 (Finalement, c’est comme tout, on s’y habitue, 19 janvier – 15 mars 2005), j’ai dix-sept ans.

Vendredi 18 février 2005

Ce matins c’était SES. J’ai fini en avance et je n’ai rien trouvé de mieux à faire qu’écrire. J’ai collé ça dans le carnet : la feuille jaune, c’est le papier de brouillon, la blanche c’est la première page du sujet. Quand je me relis, je m’étonne moi-même de mon état d’esprit.

papier jaune

12 h 42. Cela fait quatre heures que je suis assis à cette même place dans cette salle à la con où je n’ai rien à faire ; mais pourquoi suis-je ici ? Merde !

C’est parce que je fais la spécialité SES, alors je dois rester une heure de plus que les autres : cinq au lieu de quatre. Seulement, moi j’ai déjà fini. Et je me fais chier. Et je ne me sens pas bien : j’ai comme un gros nuage dans le cerveau qui me donne envie de chialer pour un rien, et je me trouve con. J’aurais pu passer plus de temps à faire mon devoir, mais non, j’ai pas envie. Ce que j’ai fait est merdique, mais je m’en fous, de toute façon je n’ai pas révisé, et puis je n’ai rien à dire, et puis allez vous faire voir. Je veux sortir.

À travers la porte, j’ai entendu sortir ceux de la salle d’à côté. Je crois que j’ai entendu la voix de B* et ça m’a fait tout drôle. Je me suis dit : merde, je ne l’ai pas vu ce matin, je ne le reverrai plus, c’est les vacances et il part une semaine, et merde, je voulais le voir encore, et puis je me connais, je ne serai peut-être même pas capable de lui proposer qu’on se voit pendant les vacances, et je suis un nul. Et merde.

Et puis, si j’étais sorti là, j’aurais peut-être pu voir Florian aussi, et là, non, je vais le rater, et moi qui voulais lui parler avant les vacances, quel con.

Saloperie de vacances de merde, j’ai rien demandé moi, je suis bien au lycée, où je vois du monde, au moins, sans avoir besoin de m’y forcer, mais merde, alors, qu’est ce que je vais faire pendant quinze jours ?

Je n’aime pas l’éco, je n’ai rien à foutre ici, et je m’en fous de mon bac blanc, comme son nom l’indique il est blanc et il ne vaut rien, et puis, tiens, même le vrai je m’en fous, et merde.

papier blanc

Au fait je n’ai même pas relu ma copie. J’ai pas envie, ça sert à rien. Tout ce que ça va changer, c’est que je vais me rendre compte que ce que j’ai fait est nul et que je n’ai plus le temps de recommencer, alors hein, bon. Et puis, même si j’avais le temps, je ne le referais pas, j’ai pas que ça à foutre. Comme un con, je me suis dépêché de tout finir en quatre heures avec l’espoir qu’on me laisserait sortir avec les non-spécialité, tu parles, tiens ! Compte là-dessus. En plus, à l’heure où on me laissera sortir, la cantine sera fermée. On voit que c’est pas vous qui payez mon repas, hein ! Je vais le payer pour rien, bande d’arnaqueurs. Quand je pense qu’on n’est plus que douze péquins dans le bahut à plancher sur notre bac blanc à cette heure…

Et moi, je suis en train de jouer au con, je ne sais pas où je vais comme ça, ce n’est franchement pas malin de ma part, je n’aime pas quand je suis comme ça. Malheureux, en colère contre moi-même, je m’en-foutiste, désabusé et, finalement : con. Je n’aime pas non plus le fait d’avoir conscience de tout ça, mais aucune volonté de me prendre en main.

Ah, il va falloir que je récupère mon dossier au secrétariat. Normalement, il aura été complété. Ce matin, je suis arrivé à l’ouverture du lycée pour le confier à la prof qui devait le remplir avec la proviseur. J’espère que ce sera fait. Mais c’est dingue : je n’arrive pas à accorder à ce truc la place qu’il mériterait. Par contre, je me fais une montagne d’autres futilités.

Je ne sais toujours pas ce que je ferai l’an prochain si je ne suis pas pris à Duperré. Il faut que je choisisse quelque chose à la façon. Je ne sais pas quoi. Il y a pas mal de trucs intéressants à étudier, mais après ça ne mène à rien. Je ne vais pas étudier pour étudier. Ce serait trop con.

Il est 13 h 05. On fait passer le temps en écrivant. C’est la première fois que je fais ça comme ça. C’est nul. Mais ça fait du bien. Je deviens accro ou quoi ? Le temps passé à réfléchir sur moi et à me lamenter, c’est dingue. Ça ne deviendrait pas malsain ? Faut que je réfléchisse à ça. Euh… non. Ça me ferait passer encore plus de temps à réfléchir sur moi. Je suis un type compliqué.

suite du carnet

Finalement, quand je suis sorti, S* m’attendait devant ma salle. Dehors, j’ai retrouvé B*, avec d’autres. S* est rentrée chez elle, moi je suis resté un peu. J’ai été chercher mon dossier au secrétariat, bien rempli. Puis on s’est tous séparés. B* m’a dit : « Si tu t’emmerdes trop pendant les vacances, appelle-moi. » Ce type est vraiment adorable. J’ai de la chance.

Voilà. Ça a mis du temps à venir, mais ça y est : je suis content d’être en vacances. Je n’ai quasiment pas de travail. Mon dossier est bien rempli. Je vais avoir du temps pour faire ce que je veux. Je pourrai voir S*, B*, Benoît. Tout va bien. La vie est belle, les oiseaux ne chantent pas, mais c’est tout comme.

Cette histoire avec Florian, je m’en fous, après tout. Parfois je n’arrive pas à me comprendre. Pourquoi me suis-je pris la tête avec cette histoire ? Je n’ai pas vu Florian, et alors ? Je le verrai plus tard. Allez, c’est les vacances, c’est super, youpi.

Au fait, vous savez quoi ? J’ai un point commun avec Keynes : il est pédé aussi. On devrait nous parler de la vie sexuelle des économistes, ça rendrait les cours plus intéressants. Ce matin, en spé, j’ai choisi le sujet sur Keynes.


Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no3 (Finalement, c’est comme tout, on s’y habitue, 19 janvier – 15 mars 2005), j’ai dix-sept ans.

Jeudi 17 février 2005

Je ne me comprends pas. Soit je suis affreusement timide, soit je suis simplement con.

Je vous disais hier que j’avais envie de faire connaissance avec ce Florian. Le plus simple serait qu’il vienne vers moi, mais il n’a aucune raison de le faire. Je dois donc prendre sur moi, et aller lui parler. Ce ne sera pas difficile, car je sais qu’il est ouvert à l’idée de me connaître. Il n’y a aucune raison qu’il ne le veuille pas.

Ce midi, à la cantine, il était avec ***, à la table à côté de la nôtre. C’est marrant comme hasard, car je le cherchais justement des yeux. S* a été lui dire bonjour. Je me suis dit : « Il faut que j’aille le voir, après. Pas devant tout le monde, mais après, oui. » Mais, ensuite, on est sortis dans la cour. Je savais où il était : il devait être en perm. Mais je n’ai pas osé y aller, alors que j’en mourrais d’envie. Je suis rentré à la maison, en ruminant. Il fallait que j’ose, avant les vacances (après-demain) ! Je le voulais ! Et je ne l’ai pas fait.

L’après-midi, j’ai glandé. Puis je me suis rappelé un truc : mon dossier d’inscription ! Il faut que je le fasse remplir par la proviseur et une autre prof, avant les vacances ! C’est trop important. Je suis donc retourné au lycée à l’heure de la récré, pour voir cette prof. Mais elle n’a pas cours aujourd’hui : je devrai donc arriver en avance demain, pour ne pas la rater.

À ce moment, je me suis dit : « C’est la récré… Je vais peut-être croiser Florian ? » Et soudain, pan ! Qui vois-je ? Florian. Seul ! Qui a fini les cours. La situation idéale. Il faut que j’aille le voir… Et donc, que s’est-il passé ? Je me suis dégonflé. Le temps que j’hésite, il a trouvé un pote avec qui causer. Alors je me suis dit : « Je vais faire un tour dans le lycée pour reprendre mes esprits, puis revenir devant la grille et attendre que son pote se barre. Puisqu’il a fini les cours, ils sera libre. » Je me remets donc les idées en place, et je reviens. Il n’est plus là ! Merde ! Il est où ? Peut-être retenu dans la cour du lycée ? Bon. J’attends devant la grille. Si c’est ça, il finira bien par ressortir… Mais non. Je sais que non. Il est parti, tout simplement. Il est rentré chez lui.

Pour résumer : j’avais une occasion en or, et je l’ai laissée passer. Pourquoi ? Je n’avais rien à perdre, ce type ne me connaît pas ! Et je ne l’aurais pas dérangé, puisqu’il était seul. Et S* lui a parlé de moi… Et puis merde. Je m’en veux. Je suis vraiment con.

Demain, j’ai l’épreuve d’éco de 8 h 30 à 13 h 30, puis vacances. Je n’arriverai plus à le voir. Quel nul !

Je m’en veux, aussi, parce que cette petite histoire a pris une importance considérable dans ma tête, alors qu’elle ne devrait pas. Rentré à la maison, après ça, je ne pouvais plus penser à autre chose. Pourtant, si j’ai été au lycée cet après-midi, c’était pour une tout autre raison, très précise, et autrement plus importante ! J’ai ce dossier à faire remplir pour demain et je ne sais pas comment je vais m’y prendre. Mais ça me passe au-dessus.

Une autre chose qui me passe au-dessus : le bac blanc. Bon, pour l’instant j’ai tout réussi. Ce matin, c’était maths, c’était d’une simplicité terrible. Demain, c’est éco et je n’ai pas révisé, je pensais le faire cet après-midi. Je m’y suis mis à 15 h 30 et, cinq minutes plus tard, je suis reparti au lycée. Et au retour, je n’avais plus la tête à ça. Je m’y suis remis quand même : j’ai survolé six mois de cours en vingt minutes. Je ne sais pas si c’est le signe de mon grand génie, ou plutôt de ma flemme extrême. C’est pas sérieux, j’ai honte. Le pire, c’est que je m’en rends compte (puisque je l’écris), mais que je ne trouve pas la force de m’y mettre. Tant pis. Je ne peux tout de même pas foirer mes SES, ce n’est pas si compliqué, je saurai me démerder.


Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no3 (Finalement, c’est comme tout, on s’y habitue, 19 janvier – 15 mars 2005), j’ai dix-sept ans.