Lundi 31 janvier 2005

Cela fait longtemps que je n’ai rien écrit, je m’en étonne moi-même. Remarquez, tant mieux. C’est parce que je n’avais rien de très embêtant qui traînait dans ma tête, la semaine passée.

Schopenhauer a dit que la vie était un balancier qui oscillait entre souffrance et ennui. Cette semaine, mon balancier était coincé sur ennui. Quand j’évoque l’ennui, ça ne veut pas dire que je me suis fait chier. Non, je lui donne un autre sens – qui n’a peut-être rien à voir avec celui qui lui donne l’ami Arthur, allez savoir ; je me l’approprie. Je veux dire qu’il y a des moments où je cesse de me torturer avec mes questions et mes obsessions, et que je les oublie en me consacrant à autre chose. Une sorte de routine réconfortante. Par exemple, j’ai travaillé assez longtemps. Une routine confortable, donc, mais pas très folichonne. D’où l’ennui.

Aujourd’hui, mon balancier s’est décoincé et est reparti sur « souffrance ». Oh, je me connais, ça ne va pas durer. C’est le coup de blues du lundi. J’ai passé deux jours (complets, car je n’avais pas cours ce samedi matin) seul, dans un autre univers. Puis, le lundi : brusque retour au lycée et à la réalité. Le porc-épic de Schopenhauer se rapproche de ses semblables et ça lui fait mal. Il se sent terriblement seul quand il y a du monde autour de lui. Quand il est réellement seul, il ne sent pas la solitude. La solitude, c’est par rapport aux autres. Sans les autres, je vais très bien, merci. Au milieu des autres, c’est très dur. Je ne suis pas comme eux. Je n’ai rien à leur dire.

Et puis, j’ai une complication. La personne dont je recherche la présence, que je me surprends à guetter, à attendre, eh bien… en sa compagnie, je suis tout bête, intimidé, et je me dis que je suis un pauvre type, ridicule. Alors, je l’évite. Mais c’est nul, parce que je sais qu’il n’est pas loin. Et je pense à lui. C’est terrible. En plus, aujourd’hui, il portait un simple t-shirt, pas de pull, alors ça ne m’aide pas à garder les idées claires. J’aime tout en lui. Il est beau, il est élégant, il est intelligent, il est intéressant, il est un peu mystérieux. Mais il ne voit que M*.

Mais que lui trouve-t-il ? Lui, qui est un type compliqué, secret, introverti, intelligent, que trouve-t-il à cette fille, qui est l’archétype de la jolie fille qui ne se pose jamais de questions ? Quand je suis bien luné, je dis qu’elle est insouciante. Quand je le suis moins, je dis qu’elle n’a rien dans la tête.

Elle se sert de lui. Moi qui suis obnubilé par lui, je n’arrive pas à être objectif et à me dire qu’il est faible ; je me dis plutôt : « Le pauvre, elle lui fait croire des trucs, il est accro, c’est terrible pour lui. »

Alors, M*, je ne peux plus la voir. Je lui en veux. Par exemple, le midi : avant, on mangeait tous ensemble ; maintenant, elle a décidé de faire bande à part et elle nous accapare B*. S* aussi lui en veut. Elle ne vient plus nous parler que par intérêt.

Par obligation, je suis à côté d’elle dans de nombreux cours. Mais on trouve le moyen de se séparer, petit à petit. Au moins, il y a cela de bien : c’est clair entre nous, c’est réciproque. Elle n’a jamais été une grande amie, juste une copine avec qui je me suis mis en début d’année, par défaut – pareil pour elle, avec moi. Elle est bien gentille, mais on n’a rien en commun. Elle doit bien se faire chier avec moi, la pauvre.

En tout cas, je suis bien accro à B*. Mais pourquoi ? Pourquoi ? Je n’ai rien demandé ! Comment fait-on pour se retirer quelqu’un de la tête ? Je sais que c’est ridicule, que ça ne mène à rien, que je me fais du mal. Et ça pourrait être gênant pour lui, à cause de mon attitude bizarre. Je me confie à lui comme à un ami – qu’il est – et quand je le vois en face, je fais comme si de rien n’était, je me sens drôle, je me sens con.

Aujourd’hui c’est l’anniversaire de S*. Je suis gêné parce que, au mien, elle m’a offert un super cadeau, et que je n’ai pas eu d’idée pour elle. Alors je lui ai fait une carte et un dessin. C’est le truc facile, pour moi. Ça a eu l’air de lui faire plaisir.

Samedi, c’était les portes ouvertes des quatre écoles d’arts appliqués de Paris. J’hésite encore entre Estienne et Duperré, mais c’est Duperré qu’on a visité. Je vais adorer étudier là-bas, si je réussis. Rien que d’aller à Paris, l’idée me plaît. À chaque fois que je suis à Paris, je suis comme un gamin. Je trouve tout beau. C’est fantastique, pour moi. J’aime l’ambiance des rues, les petits bistrots – samedi midi avec maman, on a mangé un croque-monsieur dans un bistrot –, le fait que le moindre bâtiment soit un monument, et que c’est là que tout se passe. Vous voyez, je suis d’une naïveté terrible, mais ça me fait du bien. J’ai été enthousiasmé par les travaux exposés. C’est exactement ce que je veux faire. Mais la barre est très haute. J’ai peur de ne pas réussir le concours.

Maman est en congés. Juline commence ses vacances d’inter-semestre (elle a eu d’excellentes notes à ses partiels, même un 18 avec félicitations du prof ! après quatre années de lycée au ras des pâquerettes, ça fait sacrément plaisir). Elles ont été acheter ensemble un lecteur DVD. Ça y est, on s’y met, on vit avec notre temps. On l’a testé ce soir. Les seuls DVD qu’on a pour l’instant, ce sont ceux du magazine Studio. Je les regardais sur le PC, mais maman et Juline jamais. Je ne pense pas qu’on achètera des DVD, c’est trop cher : maman en louera au CE de son boulot, comme elle le fait parfois avec les cassettes – mais elle a de plus en plus de mal à trouver des cassettes, maintenant.

Au festival d’Angoulême : meilleur album, Poulet aux prunes de Marjane Satrapi. Je ne l’ai pas lu, mais j’ai beaucoup aimé Persépolis et Broderies. Meilleure série : Lapinot (vive Lapinot !). Prix du patrimoine : Le Concombre masqué (mythique !). Blankets n’a rien eu. Meilleur scénario : Comme des lapins de Ralf König : décidément, il me le faut. Mercredi, j’ai acheté Libé, illustré par des auteurs de BD. Et c’est le Concombre à la une !

Mardi dernier, j’ai commencé une BD marrante. C’est très con, mais ça me fait rire. Je venais de finir une boîte de chocolats et je me suis demandé : « À quoi peut penser le dernier chocolat de la boîte ? Est-il content d’avoir survécu plus longtemps que les autres ? Ou au contraire, est-il vexé d’avoir été choisi en dernier ? » J’ai eu l’idée d’en faire une histoire. Ça se présentera comme ça : douze pages A5 de quatre fois trois cases. C’est toujours la même case : six chocolats à l’intérieur d’une boîte. Je les ai dessinés une bonne fois pour toutes, puis copiés-collés douze fois par page sur l’ordinateur, et imprimés. En fait, ce n’est pas toujours la même case : au début, ils sont six, puis cinq, etc., jusqu’au dernier. Qui sera mangé le dernier ? Je n’ai pas beaucoup avancé depuis. C’est rapide à faire (je n’ai que les bulles à ajouter), mais je n’en ai pas trouvé le temps. Et puis, il y a des moments où je trouve ça nul. Je suis comme ça : inconstant. Ma vie est un enfer.

Jeudi prochain, je reprends le sport. Ma dispense est terminée. C’est dans trois jours et j’angoisse déjà. Pour des conneries pareilles, quelle honte ! Ma vie est un enfer. J’ai encore un peu mal à ma cheville. Mais, d’après le kiné, je pourrai faire du sport quand même. Et c’est l’épreuve du bac dans une semaine : je serai évalué, alors que je n’aurai assisté qu’à trois cours du cycle de volley. Mais je m’en fous. Pour moi, ça ne change pas grand chose. Si j’avais suivi les cours, j’aurais pu m’en sortir avec un 4 sur 20 ; sans les cours, j’aurai 2 ou 3.

Demain, je passe trois heures à côté de M* (deux d’histoire, une d’éco). J’ai une heure de philo, c’est génial, mon prof est passionnant. Puis deux heures de spé… Il faut bien faire avec. C’est terrible, cette démotivation à quelques mois du bac, mais j’ai l’impression qu’elle touche beaucoup de monde…


Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no3 (Finalement, c’est comme tout, on s’y habitue, 19 janvier – 15 mars 2005), j’ai dix-sept ans.

Dimanche 23 janvier 2005

Jeudi soir, j’avais décidé qu’il fallait tout raconter à maman. Il ne restait qu’à trouver le moment propice. Tiens : le vendredi soir, Juline rentre tard de la fac. On aura donc un moment tous les deux. Très bien. Alors, je prépare mon petit plan, comme je fais toujours. Je sais que je rentrerai de chez le kiné vers 18 heures ; maman rentre du boulot vers la même heure. J’aurai fait mon travail avant. Ah, zut ! S* sera absente du lycée, elle m’a demandé à passer chez moi le soir pour prendre les devoirs. Je l’appelle, je lui dis qu’elle va devoir se débrouiller, qu’elle ne pourra pas venir. Voilà, c’est bon.

Vendredi soir, donc. Je sais comment je vais faire. J’attends que maman soit bien rentrée, qu’elle soit libre. Je lui dis : « Tu n’as rien à faire de spécial, là ? » Elle me répond : « Non, pourquoi ? » Et je lui dis alors : « Je voudrais te causer de quelque chose. J’ai parlé avec Juline mercredi, et elle m’a rapporté votre discussion. Alors, je voudrais te dire qu’elle a raison… », etc. Tout est bien rôdé, mais j’ai le trac. Normal.

Au moment où je prévois de lui parler, maman dit : « Je vais appeler papy pour lui proposer de venir dimanche. » Ah, zut ! Bon. Je m’arrange quand même : il n’est pas question que je me défile. J’ai donc réussi à parler à maman, et tant pis : elle n’aura pas appelé papy.

Ça m’a fait tout drôle, de parler de ça avec maman, mais ça m’a fait du bien. Ce que je lui ai dit, c’est que j’avais de sérieux doutes, mais que j’avais quand même tendance à penser que je l’étais. Je lui ai même parlé de mon sentiment bizarre envers B* (sans lui dire que c’était lui). Oui, en ce moment, c’est plutôt ça : le doute. Je crois que ce n’est pas une bonne chose de me persuader que je suis homo, comme je l’ai fait. Il est trop tôt pour me prononcer avec certitude. Le danger, ce serait de me mettre une idée en tête et de m’empêcher, à cause de ça, de me rendre compte ensuite que je me suis trompé, ou bien que je suis bi, pourquoi pas. Finalement, ça me plairait d’être bi, ça doit être bien. Ce qui n’est pas facile, c’est de ne pas avoir de statut officiel, mais ce qui est cool, ce sont les possibilités illimitées.

On a causé une bonne heure, puis Juline est rentrée. Ça n’a rien changé à nos relations, bien sûr. Pour ça, j’ai vraiment de la chance d’avoir une mère à l’esprit ouvert. Mais je pense qu’elle a dû beaucoup cogiter !

Elle m’a parlé un peu d’elle, aussi. Qu’elle avait eu ce genre de doutes, à l’adolescence. Mais je trouve que c’est différent : elle s’était déjà intéressée aux garçons avant, même si elle n’avait encore eu personne. Alors que moi, quand je me suis posé la question, je ne m’étais jamais intéressé aux filles.

Voilà, c’est une bonne chose de faite. Je ne sais pas si ça a un rapport, mais, ce weekend, je vais plutôt bien, et j’y ai pensé moins que d’habitude. Ouais. C’est bien.

Samedi matin, je l’ai dit à S*, pour lui expliquer pourquoi elle n’avait pas pu passer chez moi la veille. Mais je n’aime pas beaucoup parler de ça avec elle. Je ne sais pas pourquoi, je ne suis pas à l’aise. Alors, je suis passé dessus rapidement et j’ai changé de sujet.

Et puis : en parler à B*… J’aime qu’il sache ces trucs. J’aime partager avec lui. Mais ce type est d’un bizarre ! Il est incroyable. Un vrai muet. Je n’ai jamais pu le faire parler vraiment ; avec les autres, il est comme ça aussi. En général, il se met dans un groupe et il fait de la figuration. Il ne cause pas. C’est pour ça que c’est gênant de se trouver seul avec lui, surtout quand on n’est pas bavard, comme moi… On dirait que personne ne sait rien de lui. À mon avis, il pense beaucoup. Mais, à quoi ? Personne ne le sait. Je ne sais pas ce qu’il fait de son temps, le weekend par exemple. Mais quel type formidable, quand même ! Il cause peu, mais quand il cause ce n’est pas pour ne rien dire. Il m’a l’air sincère. C’est important. Ses silences m’en disent très long ! Ça me fait cogiter. Je me fais des films. Il me touche. Et puis… Qu’est-ce qu’il est beau. C’est vrai. C’est con à dire, ça fait superficiel, mais c’est tellement vrai… C’est incroyable : je n’ai jamais vu quelqu’un comme lui ! Vous voyez : je suis sacrément atteint… Pauvre de moi.

Quoi d’autre ?

Vendredi est sorti le tome 3 du Retour à la terre de Larcenet et Ferri : Le vaste monde. Je l’ai acheté samedi à l’Univers du livre et l’ai dévoré cet après-midi. C’est extraordinaire, je ne connais rien de plus drôle, je vous assure. Un humour très con, un peu absurde, qui me fait me bidonner à chaque planche. J’ai acheté aussi Un Américain en balade de Craig Thompson : je suis tombé amoureux de cet auteur depuis que j’ai lu Blankets. On était à Saint-Germain tous les trois. Moi, c’était pour les bouquins. Juline pour des fringues (c’est les soldes). Maman m’a traîné dans une boutique : un traquenard. Elle a voulu que je choisisse quelque chose. J’ai horreur de ça, et je n’étais pas venu pour ça. Si j’avais vraiment regardé, je suis sûr que j’aurais trouvé une fringue sympa, mais j’y ai mis toute ma mauvaise volonté. Je n’ai besoin de rien, mes fringues sont très bien. En plus, je suis extrêmement difficile – et ça vaut mieux : comme ça, maman n’ose pas m’acheter des trucs sans moi. Surtout, je trouve ça inutile : c’est tellement cher, les fringues, et je vois des trucs tellement plus interessants à faire avec ce fric ! C’est la société de consommation : on croit qu’il est indispensable de s’acheter régulièrement des fringues, mais, moi, tant que c’est mettable, je mets encore. Le pire, ce sont mes pompes : elles sont impeccables, mais maman veut que j’en choisisse de nouvelles. Bon. J’avoue que je suis de mauvaise foi. Ça ne ferait tout de même pas de mal d’avoir quelques changes.


Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no3 (Finalement, c’est comme tout, on s’y habitue, 19 janvier – 15 mars 2005), j’ai dix-sept ans.

Jeudi 20 janvier 2005

Hier, il m’est arrivé quelque chose d’incroyable. J’ai encore du mal à réaliser. J’ai tout raconté à Juline ! C’est parce qu’elle me l’a demandé – ce qui est encore plus incroyable. Mais il faut que je raconte ça d’une manière organisée, sinon on n’y comprendra rien.

Il était à peu près 17 heures ou 17h30. On était chacun dans notre chambre. Et on est restés comme ça : on parlait sans se voir. C’était étrange, mais plus facile, peut-être.

Elle me demande : « Tu travailles ? » Je lui réponds que non. Alors : « Je peux te demander quelque chose ? » Et là, j’ai tout de suite compris ce qu’elle allait me demander. Enfin, si j’ai pensé à ça, c’est parce que c’est la seule chose que j’ai en tête en ce moment. Elle m’a parlé sur un ton sérieux, j’ai vu qu’elle tenait vraiment à entendre une réponse. Elle a donc posé sa question :

« Est-ce qu’il y a une fille qui te plaît ? »
J’ai répondu non.
« Ou bien, je pourrais savoir ton style de fille ? »
J’ai dit que je ne savais pas. J’ai demandé :
« Tu saurais dire, toi, ton type de gars ?
— Oui. »
Ah, bon. Alors, la voilà qui me demande :
« Et… un gars qui te plaît ?
— Ben, non… quand même… enfin…
— …
— Mais pourquoi tu veux savoir ça ? Qu’est-ce qui te fait penser ça ?
— Non. D’abord, toi, réponds.
— Ben, oui… mais je ne peux pas te dire ça, comme ça ! Qu’est-ce qui t’a mis cette idée en tête ? »

À ce moment, en une seconde, plein d’idées se sont bousculées dans ma tête. Je me suis dit : « Merde, est-ce que j’ai laissé traîner quelque chose ? Est-ce qu’elle serait tombée sur le mail que je viens d’envoyer à B* ? » Mais elle me dit :

« Quand tu étais déjà parti au lycée, ce matin, maman m’a dit : Cet après-midi, vous pourriez faire quelque chose ensemble, avec ton frère. Change-lui un peu les idées, ce n’est quand même pas un ours ! On a bien vu, elle et moi, que tu es perturbé en ce moment. On s’inquiète. Et puis, moi, ça faisait un moment que j’y pensais. C’est vrai, je ne t’ai jamais entendu parler d’une fille, ni même faire des commentaires quand on voit une belle fille en photo. Moi, j’en fais bien ! Et les autres garçons, ils ne parlent que de ça. Alors, comme tu avais l’air perturbé, j’ai pensé à ça. Je me fais facilement des films. C’est ce que j’ai dit à maman. Elle m’a dit : Ah, tu crois ? Ah oui, c’est possible… On en a discuté un peu toutes les deux. Alors, c’est pour ça que je veux savoir. Tu ne me prends pas pour une folle, au moins ?
— Ben non, puisque tu as raison…
— Mais, heu, tu as des doutes ? ou bien tu crois que tu es sûr ? Parce que ça arrive, d’avoir des doutes. Et en fait, ce n’est pas ça.
— Eh bien, justement, j’ai des doutes, mais j’ai plutôt tendance à penser que, oui, c’est sûr.
— Ah… Mais comment tu pourrais en être sûr ?
— Ça ! Justement… Si je le savais ! J’aimerais la connaître, la preuve infaillible… »

Etc., etc. Je lui ai raconté pas mal de choses. Ça m’a soulagé. Mais j’ai l’impression qu’elle croit, plutôt, que je me cherche. Que je ne suis pas sûr. Alors que moi, je crois être sûr.

« Et il y a un mec qui te plaît ?
— Euh, ben, je sais pas. C’est bizarre. Il y en a un, je me demande. Parce que je ne pense pas tout à fait à lui comme à un ami, c’est ambigu.
— Peut-être que ce n’est pas lui qui te plaît, juste son style. Qu’est-ce que tu penses de ceux qui lui ressemblent ?
— Je ne connais personne qui lui ressemble !
— Ah. En effet.
— Tu vois : je suis mal barré. »

Je suis content de lui avoir parlé. Maintenant, je vais devoir parler à maman. Je ne voulais pas le faire, pour ne pas l’inquiéter. Mais il se trouve qu’elle s’inquiète déjà ! Alors, au moins, elle saura pourquoi…

Juste après ça, j’ai écrit un petit message, très rapide, à B*. Je m’en voulais de mon mail triste, un peu « au secours », alors j’ai voulu le rassurer. Je lui ai dit : « Il m’est arrivé un truc incroyable ; ma sœur m’a posé la question ; je lui ai tout dit ; je te raconterai. » Je voulais partager mon enthousiasme, et pas seulement les mauvais moments ! En même temps que j’envoyais le mail, j’ai reçu sa réponse au précédent. La plus longue réponse que j’ai jamais reçue de sa part ! Au moins quatre ou cinq lignes. J’étais content. Il est de bon conseil. Il me dit : « Les autres, tu t’en fous, tu n’as pas à le leur dire. » Il me demande si ça ne pourrait pas m’aider de parler à un gars qui, lui, serait sûr de son homosexualité. Si, bien sûr, ça me plairait… Mais qui ? Je ne sais pas s’il pense à quelqu’un de précis, en disant ça. À ce propos : Juline a un copain homo qui s’appelle ***, et je vois qui c’est, il est assez voyant. Lui, il le sait depuis toujours. Quelle chance !

Du coup, j’étais impatient d’aller à la cantine, ce midi, pour voir B*. Dans un premier temps, on n’a rien dit, parce qu’on a mangé avec S*, Adeline, Amandine et Lisa. C’est après que j’ai pu lui en glisser deux mots. Je lui ai rapidement raconté. Et puis, on est revenus avec les autres. Je n’ai rien dit à S*.

J’espérais qu’il ait une heure de perm cet après-midi, à cause de la grève, mais non. Tant pis. Je pourrai peut-être le voir demain, parce que S* ne sera pas là. (Elle fait un truc bizarre : elle participe au Parlement franco-allemand des jeunes… Elle fait son TPE sur les relations franco-allemandes.)

Je suis content, je me sens bien. Sur le trajet de la maison au lycée, j’étais tout gai. J’aime bien quand je suis comme ça. Je le ressens encore mieux quand je suis seul, dehors, à marcher : je ressens une impression de légèreté. J’ai envie de faire de petits détours, de me promener, de sautiller presque ! Et j’ai l’impression qu’il fait beau, alors qu’il fait un temps pourri.

Je vais devoir bosser. Ce matin, j’ai fait une partie de mon fameux devoir de philo. Je pense le finir. Ce que j’ai promis à maman, c’est de regarder sérieusement l’un des sujets d’annales du concours d’entrée à Estienne. Il faut que je le fasse… c’est tellement important ! Oui, il le faut. Mais je ne promets rien. Je me connais. La flemme, c’est redoutable.

Cette nuit, j’ai fait un rêve normal : stupide et incohérent, donc normal. Je n’ai pas rêvé de mon obsession habituelle. Ce n’est pas que j’en rêve si souvent, mais ça me gêne : si même la nuit je ne peux pas être tranquille… !


Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no3 (Finalement, c’est comme tout, on s’y habitue, 19 janvier – 15 mars 2005), j’ai dix-sept ans.

Mercredi 19 janvier 2005

Il faut absolument que j’arrive à parler. Que je partage mes doutes. Ou simplement que je cause de moi et de tout ce qui se passe dans ma tête ! Je n’attends que ça, en causer. Mais je n’ose pas, c’est trop dur. Je ne comprends pas pourquoi. Si j’en parle à S* ou B*, qui sont au courant, je suis sûr qu’ils seront ouverts à cette discussion, puisque ce sont de vrais amis. Mais je n’y arrive pas. Je prépare souvent un scénario dans ma tête. Je me dis : « À tel moment, S* et moi serons seuls, alors je lui dirai ça, j’amènerai le sujet, l’air de rien. » Mais non, je n’y arrive pas. Je me défile au dernier moment.

Par moments, j’ai l’impression que S* aimerait qu’on en parle (quant à B*, difficile à dire : je le vois assez peu, en fait). Je pense qu’elle voudrait en causer, mais qu’elle ne sait pas comment. Elle se dit aussi, peut-être, que je ne veux pas en parler.

Hier, nos profs respectifs étaient absents. On va manger une heure plus tôt, puis on a une heure à tuer. Elle veut rentrer chez elle poser ses affaires et me propose de l’accompagner. Je me dis : « Chouette, je vais lui parler seul à seule. » Tu parles ! Je n’ai pas été fichu de dire quoi que ce soit. Pourtant, ç’aurait été facile, puisqu’on a parlé de sexualité. Elle m’a tendu des perches, peut-être, allez savoir. Je n’ai pas su les saisir.

À un moment, chez elle, elle m’a tout de même demandé, à vif : « Ça ne t’embête pas de savoir que tu n’aurais jamais d’enfants ? Je veux dire, pas avec la personne que tu aimeras ? » Je ne sais plus ce que j’ai répondu, mais je n’ai pas su prolonger la discussion. Quel con.

C’est amusant, sa manière de poser ce genre de questions. Elle me donne l’impression d’avoir cogité longtemps, puis, hop, enfin elle ose. Un peu comme cette autre fois, mercredi dernier, quand elle m’a demandé : « Au fait… C’est qui, le gars dont tu m’as dit qu’il t’avait « révélé » ce que tu étais ? » – parce que, quand je lui ai dit que je l’étais, je lui avait dit aussi que c’était en voyant un mec de ma classe, à la rentrée, que j’avais eu une sorte de révélation. J’ai répondu que c’était Étienne, et je n’ai pas su continuer sur ce sujet, cette fois non plus.

Ce midi, à la cantine, même dans les moments où la conversation retombait, je n’en ai pas profité pour dire ce que j’avais à dire. Je me suis dégonflé.

À vrai dire, c’est surtout à B* que j’aimerais parler. Je pense que c’est parce que c’est un mec, qu’il pourrait me faire part de ses propres impressions. Mais j’ai beaucoup de mal à le voir seul et, quand je le pourrais, je l’ai déjà dit : je perds mes moyens.

Alors, en rentrant du lycée tout à l’heure, j’ai fait quelque chose qui me déçoit : j’ai écrit un mail à B*. Je trouve que ça manque de courage. Et je m’en veux, un peu, de lui imposer mes soucis. Mais ça me fait du bien. Surtout, je lui ai écrit ce que je viens d’écrire ici : que je n’aime pas envoyer ce mail, mais que ça me permet de parler plus librement. Et que j’aurais préféré discuter avec lui face à face, plutôt que de tout lui livrer en bloc. J’ose espérer une chose : j’aimerais que, demain, il vienne me solliciter. Mais j’avoue que ça m’étonnerait. D’une, on n’aura peut-être pas l’occasion de se voir à deux. De deux, il est timide aussi, et il n’osera pas. Je sens que je vais devoir faire un gros effort pour me livrer, ces prochains jours ! Courage !

Demain, je n’ai quasiment pas cours. C’est la grève. Hier, c’étaient les postiers, aujourd’hui les cheminots, demain les profs. Ils sont assez nombreux à suivre la grève au lycée. Du coup, je n’aurai qu’un cours : éco de 17 à 18. Mais je viendrai à la cantine pour manger avec S* et B* – je suis sûr qu’il restera avec nous, puisque M* ne sera pas là.

Il faut dire qu’il se passe des choses bizarres entre eux, qui ne me plaisent pas beaucoup. Récemment, on avait l’impression que quelque chose allait se passer, c’était tellement flagrant, ils allaient sortir ensemble. Eh bien, non. Chacun des deux s’en défendait. Mais maintenant, on dirait que B* est bien accroché à M* et qu’elle en profite, qu’elle abuse de la situation. B* a tendance à la suivre, à rester avec elle. Quand elle le décide, ils font bande à part. On dirait qu’elle en fait ce qu’elle veut. Le pauvre. Je ne sais pas si on a raison de penser cela ; on se fait peut-être des films, mais les apparences laissent peu de doute. J’espère que B* n’est pas dupe. Ça me ferait mal qu’il se fasse avoir par cette fille, qu’elle lui fasse croire que quelque chose est possible, alors qu’elle n’en a nullement l’intention.

Ça ne me plaît pas du tout, et c’est un argument de plus pour m’inquiéter : j’ai l’impression que je suis jaloux. Ça me rend triste d’y penser. J’en veux à M*. Qu’est-ce que je lui veux donc, à B* ?

Cette nuit, j’ai rêvé qu’on était au lycée, avec B* et plusieurs autres personnes. Je parviens à isoler B*, je lui dis que je veux discuter avec lui. On va s’assoir ensemble quelque part et je lui raconte mes doutes, mes inquiétudes, tout ce que j’ai écrit ces derniers jours dans le carnet. Et il a été de bon conseil : il m’a dit que je devais arrêter de me prendre la tête. Que si j’ai envie que les autres soient au courant, eh bien, je n’ai qu’à le leur dire. Et si je m’aperçois plus tard que je me suis trompé ? Eh bien, ce n’est pas grave, je n’aurai qu’à le dire aussi. À propos de mon autre inquiétude (si une fille s’intéresse à moi et tente de me séduire, je pourrais me rendre compte que je ne suis pas fermé à ça, mais si elle me croit pédé, elle n’essaiera rien), il me dit que rien n’est moins sûr : si elle est déterminée, elle essaiera quand même. Il n’a pas tort. Un homo qui tombe amoureux d’un mec hétéro, il peut tenter sa chance : même si l’autre se croit hétéro, il n’est peut-être pas hermétique à l’idée d’essayer avec un mec. Ça peut arriver. Bon, ce rêve était à la fois réaliste et très cohérent (pas de changement de décor impromptu, ni d’inversion de personnages).


Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no3 (Finalement, c’est comme tout, on s’y habitue, 19 janvier – 15 mars 2005), j’ai dix-sept ans.

Lundi 17 janvier 2005

Aujourd’hui, dans l’ensemble, ça allait. Mais j’ai été perturbé. J’ai été pris d’un doute très désagréable. J’ai eu peur de me tromper. Si je n’étais pas homo ? Si tout ça n’était qu’une vaste mythomanie ? J’ai fait des tests. J’ai observé avec attention un beau mec et une belle fille successivement, et j’ai essayé de comparer l’effet que ça me faisait. Je suis spontanément plus enclin à mater le mec, c’est sûr. C’est agréable. Mais ça n’était pas désagréable non plus de mater la fille ! Je me suis figuré des pensées plus ou moins érotiques, pour essayer, et c’est vrai que les filles ne me dégoûtent pas. Même si je ne suis pas spontanément attiré par elles, eh bien, c’est plutôt agréable d’imaginer ces trucs.

Alors, je m’interroge. C’est très perturbant. Je veux savoir. Je suis homo ou hétéro ? Peu importe, mais je veux savoir. C’est très important. Ça me donnerait des repères, un cadre, quoi ! Savoir vers qui je suis attiré, à qui m’identifier, etc. À la limite, je suis peut-être bi ? Je ne sais pas pourquoi, mais cette idée ne me plaît pas. Dans l’absolu, ce serait la situation idéale, la plus pratique. Mais je trouve que ça manque de repères, justement. C’est déroutant.

Et puis, je me dis que je m’inquiète pour rien. Je suis homo, point. Je me fais des films, voilà tout. Tout compte fait, dans ce test, si les filles et les gars arrivaient à égalité, ce n’est pas révélateur. Dans mon imaginaire sexuel, je ne fais certes pas de différence, mais c’est dû seulement à mon inexpérience sexuelle, tant avec un sexe qu’avec l’autre, et au fait que la sexualité homme-femme est bien connue : je peux facilement m’identifier, alors que celle entre hommes reste mystérieuse et relève uniquement du fantasme. Et, après tout, le sexe n’est qu’un aspect de la chose. Le plus important, c’est de savoir qui me plaît, juste comme ça ; qui j’aime regarder ; qui m’apporte quelque chose d’agréable sans chercher à savoir quoi ; qui me plaît, sans imaginer rien de sexuel. Alors, selon ce critère, je suis homo, et complètement. Spontanément, mon regard se pose sur les autres garçons. Je peux facilement dire : untel est beau, untel a du charme. Par contre, je suis infoutu de savoir qu’une fille est jolie. Je ne les regarde pas. J’aurais bien du mal à dire comment S* ou M* étaient habillées aujourd’hui, ou de décrire leur coiffure (pourtant, ce sont de jolies filles). Vous allez me dire : ça ne prouve rien, il y a plein d’hétéros qui sont aussi peu attentifs et attentionnés que moi. Certes. Mais, est-ce que ces hétéros peuvent dire aussi parfaitement comment Étienne ou B* étaient habillés aujourd’hui ? Je ne sais pas. Je ne cherche pas à prouver quoi que ce soit. Je mets juste mes idées à plat pour essayer de comprendre.

Autre chose : chaque année, je fais la connaissance de plusieurs nouveaux élèves dans ma classe. Eh bien, je retiens beaucoup plus rapidement les noms et les visages des garçons que ceux des filles, que je continue à confondre encore longtemps. Est-ce révélateur ? Je ne sais pas. Les enfants font de même, peut-être : les garçons vont vers les garçons, pour se faire des copains, et ignorent les filles. Serait-ce cela ? Non, je crois que ça n’a rien à voir. Je me souviens même que, quand j’étais petit, même si je traînais surtout avec des garçons, je n’ai jamais été exclusif. Et même, souvent, je me sentais différent des autres garçons – qui allaient tous jouer au foot – et j’avais tendance à rester avec les filles. Encore une fois, je ne sais pas à quoi mènent ces réflexions.

Beaucoup plus simplement, je me dis que non, le doute n’est pas possible. Je viens de le créer, mais il n’existe pas, et n’a pas lieu d’être. Je serais face à un cas typique de « mauvaise foi » sartrienne (l’influence des cours de philo…) : confronté à une épreuve difficile (j’avais décidé d’en parler ouvertement), mon esprit se défile lâchement. Mon esprit nie la réalité évidente (je suis homo) et invente un doute là où il n’y en avait pas. Ce doute est un alibi, une manœuvre dilatoire pour éviter de me dévoiler, pour me donner un temps supplémentaire. Grâce à cet alibi, je me dis : « Il est encore trop tôt pour parler, attendons encore. » C’est tellement pratique.

C’est vrai que j’ai peur. Si je me trompais en disant que j’étais homo ? Imaginez que cela empêche une fille qui s’intéresse à moi d’aller plus loin, par exemple, alors qu’en réalité je suis hétéro ou bi ou je ne sais quoi. Si un jour je me rends compte de mon erreur, il sera très difficile de faire machine arrière. Impossible.

Alors, la solution est simple : ne rien dire. Mais c’est dur. C’est pesant. C’est douloureux. C’est très lourd, comme secret. Enfin, le problème n’est pas que ce soit un secret : c’est juste que j’ai envie de parler de ça pour me soulager. D’un autre côté, cela fait peu de temps que je suis perturbé par cette question : il ne faut pas que je me précipite. Il faut que tout soit clair dans mon esprit avant que je le partage.

J’aimerais parler de ces tracas, mais à qui ? À S* ? Je sais que je le peux. Mais, d’une : je n’ose pas, parce que c’est difficile de parler de choses intimes ; et de deux : j’ai peur qu’elle ne comprenne pas, malgré sa bonne volonté – et elle en mettra, de la bonne volonté, car c’est une vraie amie. Et puis, j’aimerais mieux en parler à un mec. Qu’il me fasse part de son expérience. Que je lui demande ce qu’il ressent, lui, et je puisse en déduire a contrario quelque chose pour moi. Par exemple : je disais que le sexe avec une fille ne me dégoûte pas, alors que je me crois homo ; alors, que pense un mec hétéro du sexe avec un autre mec ? Est-ce une sensation normale ? Je pourrais me confier à B*, tout simplement. J’aimerais beaucoup. Mais il m’intimide. Et j’ai peu d’occasions de le voir seul. Ou bien, Mathieu ? J’étais si près de le lui dire… Je ne sais pas s’il pourrait un jour être de mes amis, mais il m’a l’air sincère, je pense que je peux lui faire confiance. Je ne sais pas. Avec Adeline, peut-être, ce serait possible d’aborder le sujet. Je ne sais pas.

J’aimerais beaucoup en parler avec maman. Mais c’est impossible. Avec les copains, pas de problème : ils ne sont pas directement concernés. Mais maman ! Elle est impliquée à fond dans tout ce qui me touche. Elle se ferait un souci monstre si je lui disais un truc pareil. Ça la tracasserait beaucoup. Je ne veux pas l’embêter pour ça. En plus, en ce moment, elle se fait déjà du souci pour son frère *** qui fait une dépression et qui est, depuis quelques jours, dans une clinique.

Tout ça me perturbe beaucoup. Je suis perdu. J’ai un mal fou à me projeter dans l’avenir. Déjà que c’est plus qu’incertain, professionnellement (je suis perdu dans les études), alors, ma vie sentimentale et familiale, imaginez le bordel ! Je ne sais absolument pas comment m’imaginer.

Plus tard

Je me rends compte que ce carnet se termine. Quand je me suis remis écrire il y a trois semaines, il était à peine entamé, et ça y est, il est fini. J’aurai beaucoup écrit. Et j’aurai parlé quasiment d’une seule chose… La même obsession… Je suis sûr que quatre-vingt-dix pour cent de ce carnet, au moins, traite de ce sujet. Ce qui fait de ce journal une image très fidèle au contenu de mon esprit, puisque je suis totalement obsédé par cette chose, et que mes pensées sont occupées par elle dans les mêmes proportions.

Il reste quelques pages, mais je vais arrêter ici parce que, quand j’écris, j’en ai toujours pour une dizaine de pages. Je ne voudrais pas que l’écriture d’une journée se trouve à cheval sur deux carnets.

J’ai trouvé un titre à celui-ci : Angoisse du doute, malaise de la certitude. Un peu ronflant et prétentieux, mais ça sonne bien. Ça a de la gueule.

Pour les dernières pages, je vais imprimer le fameux Riri le Clown envoyé à B*, et je le collerai. Quand j’y pense… Ce Riri le Clown et le mail qui l’accompagnait sont très explicites. Ils sont dans mon ordinateur. De la même manière, ce journal n’est pas planqué. Juste rangé sur mon bureau, en évidence. C’est la preuve de la confiance absolue qui règne dans cette maison. Un secret est caché ; il est à la portée de tous, en réalité, et je sais qu’on respectera mon intimité, que personne ne regardera. C’est précieux.

Pour meubler la dernière page, je raconte un truc. Aujourd’hui, en cours d’espagnol, j’ai dessiné Étienne. J’ai une très belle vue, en cours d’espagnol. Et je suis tout seul à ma table. Les autres autour de moi pourraient me voir, quand même, alors je mate discrètement. J’ai remarqué qu’il avait un profil intéressant et facilement dessinable. J’ai fait un petit croquis sur mon cahier, mais, rentré à la maison, je n’ai pas réussi à le refaire. Tant pis. Je laisserai celui-ci sur mon cahier. Le premier jour de cours, quand j’ai flashé sur lui, je l’ai dessiné le soir même. Mais je l’ai fait de mémoire, alors que je ne l’avais vu qu’une fois, et pas de très près. Résultat : un foirage total. Mais ça reste intéressant, même si je suis le seul à savoir que c’est censé le représenter, car c’est révélateur de l’état d’esprit dans lequel je me trouvais alors.

Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no2 (Angoisse du doute, malaise de la certitude, 15 juillet 2004 – 17 janvier 2005), j’ai seize ans.

Dimanche 16 janvier 2005

J’ai des doutes. C’est très désagréable. Et si… ? Non ! Je ne peux pas m’être trompé, quand même. Ce genre d’erreur n’est pas possible. Je me fais encore des films. Voilà, je sais : c’est parce que j’ai décidé d’en parler, alors, confronté au problème, je me dégonfle. Je me dis : « J’ai encore des doutes », une très bonne excuse pour ne pas en parler. Oh, mais non ! Comment font les autres ? Il y en a qui parviennent à garder le secret pendant des années. Comment peuvent-ils le supporter ? Ce qu’ils doivent souffrir… Moi, six mois, et je ne tiens plus.

J’ai fini Blankets, une bande dessinée de Craig Thompson, un Américain, un roman graphique de six cents pages. Maman me l’a offert vendredi soir et je l’ai dévoré en deux jours. C’est passionnant. Très, très fort. C’est d’une beauté, d’une émotion… et les dessins, quelle élégance ! Je suis toujours aussi nul pour dire du bien d’un bouquin, mais vous comprendrez comme j’ai été ravi par celui-ci.

Hier, j’ai acheté Le petit Nicolas, le nouveau, avec quatre-vingts histoires inédites. C’est déjà une réédition, parce qu’il est sorti il y a deux-trois mois et que tout a été épuisé en une semaine. Je commence à prêter attention à ce détail, l’édition originale.

Comme j’ai eu plein de nouveaux livres, j’ai dû tout ranger différemment dans mes étagères. Là-dessus, je suis extrêmement maniaque. Dès que j’ai une nouvelle BD, je lui trouve immédiatement une place avec les autres de la même série, c’est très précis. Mais ils sont rangés pile-poil, ni trop serrés (pour ne pas les abîmer), ni trop espacés (pour qu’ils restent droits), alors chaque nouvel album nécessite le retrait d’un autre, auquel je dois trouver une place ailleurs. Sur une autre étagère, où je vais devoir tout décaler. Et, au bout de la chaîne, je me retrouve avec un bouquin inrangeable, auquel j’attribue une place dans un endroit nouveau : tel étage de mon armoire, ou cette étagère murale où il n’y avait encore rien. D’acquisition en acquisition, je colonise toute ma chambre. J’ai aussi d’autres livres que mes BD, mais moins. Ça me pose moins de problèmes.

Pourquoi raconté-je tout ça ? On s’en fout. Je m’en fous, qu’on s’en foute. J’écris pour écrire, et c’est agréable. Ce carnet est déjà bientôt fini. Il avait moins de pages que le premier. Et puis, en ce moment, j’ai des tas de trucs à raconter. Des questions métaphysiques, des angoisses existentielles. Des états d’âme présentant plus ou moins d’intérêt, des inepties n’en présentant aucun. Hier, à l’Univers du livre, j’ai acheté deux autres carnets. Deux ? Oui, parce que je suis très difficile : c’est dur de trouver le carnet qui me convient. Alors, ce sera fait. Ce sera bien la première fois que je serai prévoyant.

On est dimanche après-midi. Le dimanche après-midi, c’est très variable. Souvent, je m’ennuie. Mais ce n’est pas l’ennui atroce, insurmontable, terrassant (ou rarement). C’est souvent un ennui agréable, assez léger. C’est le dimanche après-midi que je dessine. Ou bien, je lis (mais je lis les autres jours aussi, alors ça ne compte pas). Parfois, je fais un tour. Du genre : acheter du pain, et je m’attarde sur le trajet. Et puis, il y a bien des fois où je travaille… Ah, c’est dur, la vie. Ce weekend, je n’aurai quasiment rien fichu. Quelle fainéant. Juste ma philo (toujours ce devoir sur Kant). J’ai fait un brouillon satisfaisant, maintenant il faut rédiger. Je ne sais pas si j’aurai le courage aujourd’hui. Ça vaudrait mieux, pourtant, car je suis plutôt en forme aujourd’hui. Si jamais une tuile me tombe dessus mercredi après-midi, du genre : une chute brutale de moral, je suis foutu. Je serai incapable de me remettre à bosser.

Cet après-midi, je vais peut-être dessiner une ou deux planches pour Alainculte (c’est le nom à la con du journal du lycée). Ai-je dit que je leur faisais des BD ? L’an dernier, dans le numéro 1, ce n’était pas moi et c’était franchement mauvais. En plus (je m’en suis aperçu plus tard), c’était un plagiat éhonté du Grand Duduche de Cabu. Le même gag en moins drôle, et mal dessiné. Pouah. Du coup, je leur avais fait une planche, assez médiocre, mais originale au moins. Il paraît qu’ils l’ont publiée, mais je n’ai jamais vu le numéro. Cette année, le mec du journal est venu me voir pour me demander des BD. Je me suis lancé dans une petite série de demi-planches sur le thème du lycée, qui me plaisent assez. J’en avais dessiné quatre, il n’en a publié que deux, sur la dernière page du canard. Je pensais qu’il gardait les autres pour plus tard, mais non, puisqu’il vient de me relancer pour le prochain numéro. Je lui en ai dessiné une cinquième.

Je devrais m’investir plus dans ce journal. J’en suis incapable, allez savoir pourquoi. À chaque fois qu’il y a eu une réunion, je ne suis pas venu. Même quand le mec m’avait lui-même demandé de venir… Et quand il a fallu les vendre, ces numéros, il m’en a donné un paquet de dix. J’en ai acheté un pour moi, et j’en ai fourgué un seul autre. Je lui ai rendu le paquet par la boîte aux lettres du journal. Lâchement. Quel tire-au-flanc ! Je me la joue dilettante, ou je ne sais quoi. Le grand artiste qui se fait prier, qui daigne fournir quelques planches à ce modeste journal. Je dois être insupportable. Pourtant, ça n’est qu’une sorte de timidité déplacée.

Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no2 (Angoisse du doute, malaise de la certitude, 15 juillet 2004 – 17 janvier 2005), j’ai seize ans.

Samedi 15 janvier 2005

Hier, maman était à la maison (elle a pris des congés). Quand je suis rentré du lycée, on a filé à Parly 2 pour « faire » les soldes – bien que je trouve cette expression stupide. J’en avais envie. En général, c’est une plaie d’acheter des fringues, pour moi, mais pas cette fois. J’ai trouvé un jean et des caleçons, puis un pyjama et un pull. Et une folie : une belle chemise blanche Levi’s, pas soldée. Je tenais à en avoir une. En fait, c’est maman qui a insisté pour l’acheter. Moi, je disais « Elle est trop chère, j’en trouverai une autre ailleurs. »

Ça nous a donné une occasion de discuter, maman et moi. J’ai parlé de mes copains. On est arrivés à l’idée que nous sommes tous, plus ou moins, des solitaires, dans la famille. C’est vrai que j’ai du mal à aller vers les gens. Je ne trouve rien à leur dire. Maman m’a dit qu’elle était pire, à mon âge. Qu’elle pouvait rester complètement muette. Et même plus tard. Elle m’a raconté que, quand elle a rencontré papa, c’est lui qui a dû s’accrocher, parce qu’elle restait tellement muette qu’elle en devenait insupportable. J’aime beaucoup quand elle raconte sa jeunesse et quand elle parle de papa. À ce propos, je lui ai montré le Charlie Hebdo que j’ai acheté, parce qu’elle m’en a parlé. D’habitude, je ne lui montre pas, elle ne sait pas qu’il m’arrive de l’acheter, j’ai même tendance à le cacher. En voyant les choses qui m’intéressent, elle m’a dit que je lui faisais penser à papa. Ça, ça me fait toujours terriblement plaisir. C’est bête, mais ça me plaît, cette idée de lui ressembler. Pourtant, je ne suis pas sûr qu’il aurait été mon modèle, sur certains trucs, mais je m’en fous. J’adore tout ce qu’on me raconte sur lui. Un type hors du commun, assez fascinant. Alors, vraiment, ça m’épate quand on me dit que je fais certaines choses comme lui, sans le savoir. Je ne l’ai pas vraiment connu, puisqu’à neuf ans on ne connaît pas ses parents.

À propos de lui, j’ai fait un rêve qui m’a troublé. C’était étrange, ça me met un peu mal à l’aise. Dans mon rêve, il était encore vivant. Et ça m’intriguait, parce que je me souvenais bien de sa mort, et même de son enterrement. Alors, ça me surprenait d’apprendre que tout ça n’avait pas été vrai. Comme si ç’avait été une sorte de mise en scène, et qu’il avait disparu dans la nature. Je savais quand même, vaguement et confusément, qu’il était toujours là, quelque part. Pour mon anniversaire, j’ai reçu une lettre de lui – une lettre tout à fait dans le style de ce que j’aurais pu recevoir, je crois, de sa part. J’allais donc le revoir. J’étais fou de joie. Finalement, je ne me souviens plus si j’ai fini par le voir, ou non. Étrange. Oui, il m’arrive quelquefois de rêver de lui, mais, dans ces rêves, il s’agit d’habitude d’une vie normale avec lui, comme si rien ne s’était passé. Là, ce qui m’a dérangé, c’est que j’ai rêvé de lui en le sachant mort.

J’aime me souvenir de mes rêves. Parfois, ce sont des histoires ineptes ; parfois, ils se prêtent à une interprétation trop facile à mon goût. Parfois, ils me dérangent un peu, mais seulement après coup : je ne fais pas de cauchemars. Et puis, des fois, je rêve de B*. Et ça craint. Attention, il n’y a rien de sexuel, ni même de tendancieux, c’est tout à fait anodin. Mais ça me gêne parce que je pense trop souvent à lui, et pas d’une manière normale. Je veux dire : ce n’est pas comme cela qu’on doit penser à un ami. Déjà, on ne pense pas à un ami n’importe quand. Lui, parfois, il s’insinue dans mes pensées. Là encore, rien de tendancieux : en tout bien tout honneur ! C’est pour ça que ça me gêne. Au moins, si c’était le cas, ce serait clair : ce mec me plaît. Mais là, c’est ambigu. Et puis, je me surprends souvent, le matin, à guetter son arrivée. À le chercher. Je me rends compte, aussi, que je suis comme intimidé, face à lui. J’ai du mal à lui parler. Alors, puisqu’il est muet comme c’est pas permis… J’aurais pourtant des tas de choses à lui dire ! C’est un vrai ami, pour moi. J’ai une confiance absolue en lui. Et je pense aussi qu’il m’aime bien. Mais j’ai du mal à lui parler, je ne suis pas à l’aise. Comme il ne parle pas, c’est déroutant. Ou alors, sur MSN : là, ça marche mieux. Il n’y est pas spécialement bavard, mais moi je suis plus à l’aise.

J’ai pris une décision. Je ne sais pas si je m’y tiendrai, mais pourquoi pas ? J’ai décidé que je ne détournerai plus la question quant à ma sexualité et que, si j’ai une occasion d’en parler, je le ferai. Je pense que ça me fera du bien. Jeudi après-midi, par exemple, je causais avec Mathieu. Il m’a parlé des filles de la classe qu’il trouvait bien fichues. Il voulait mon avis : « Tu n’es pas de marbre, quand même ! Tu as bien un type de fille préféré ! Allez, dis-moi. » Et il voulait des noms. J’ai refusé. J’ai dû être ridicule en refusant de parler de ce sujet, mais je ne me voyais pas inventer quelque chose. Ce serait encore plus nul. Il a fini par arrêter. Maintenant, je regrette : je me dis qu’il m’a tendu une perche et que je n’ai pas su la saisir. Je n’attends plus qu’une chose : qu’il me repose la question. D’autant plus qu’il m’a dit : « Je vais finir par croire que tu es pédé ! » Pourquoi n’ai-je rien dit ?

Il y a ces moments où j’ai envie que tout le monde sache. Et d’autres où je n’ose pas. Je me dis que c’est trop tôt. Je ne le sais pas depuis longtemps. J’ai encore peur de me tromper. Après, une fois que c’est dit, je ne peux plus faire marche arrière. Il y a un avant et un après : « ils savent » ou « ils ne savent pas », mais le « ils ne savent plus » n’existe pas ! Et puis – je viens juste de m’en rendre compte – peut-être que la nouvelle pourrait être mal accueillie ? Et si on se mettait à me regarder bizarrement ? Non ? Tout de même, au XXIe siècle… Mais on ne sait jamais…

La sœur de S* a un copain homo, au lycée. Il est aussi plus ou moins pote avec W*. Je crois savoir qui c’est. Il a dix-sept ans et il a déjà eu quelqu’un, pendant assez longtemps paraît-il. Mais comment a-t-il fait, à son âge ? Si tôt ? Ça fait donc longtemps que son entourage est au courant. Quel courage. Ou bien, non : il l’a su probablement lui-même bien avant moi. Moi, je suis un peu attardé sur ce plan-là. Seize ans et demi, pour s’intéresser enfin à la sexualité, c’est pas trop tôt ! Ouais, ça doit être ça. Il a dû s’en apercevoir à quinze ans, peut-être. Ou peut-être le sait-il depuis toujours ? Il y en a à qui ça arrive.

C’est pour ça que je me mets dans un état impossible dès que je vois un beau mec. Parce que je suis sorti il y a si peu de temps de mon coma. Ne pas s’intéresser du tout à ces choses, ni envers les filles ni envers les garçons, pendant seize ans… et paf, ça me tombe dessus d’un coup. Les hétéros, par exemple, ils ont eu le temps de s’habituer. Ça leur est venu progressivement, depuis tout petit. Moi, non. Paf ! d’un coup, sur le coin de la gueule. Le choc.

Je me demande parfois, s’il était possible de choisir, quelle orientation sexuelle j’aurais choisi. Je crois que j’aurais choisi la facilité, comme tout le monde : hétéro. Mais ç’aurait été dommage. Finalement, c’est passionnant d’être homo. Ça remet les idées en place, ça ouvre l’esprit, ça force à se remettre en question. Ça fait mal sur le moment, mais je suis sûr que toutes ces questions que je me pose me font du bien. Ce sont des questions que les autres ne se posent pas toujours. Et, à mon sens, il est important de se poser des questions sur soi.

Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no2 (Angoisse du doute, malaise de la certitude, 15 juillet 2004 – 17 janvier 2005), j’ai seize ans.

Jeudi 13 janvier 2005

Une bonne journée, ma foi. J’ai eu trois heures de philo et j’adore ça. J’ai eu une heure d’éco, c’était chiant mais vite passé. Et quatre heures de perm. Deux grâce à ma dispense de sport : j’ai passé la première à faire mon devoir de philo pour la semaine prochaine, et la seconde à manger avec S* et B*. Mais j’ai dû faire vite, parce que j’avais rendez-vous chez le kiné pour ma cheville. C’est M. K*, le kiné que j’ai vu pendant des années quand j’étais petit. C’est marrant, il se souvient très bien de moi. Il faut dire qu’on s’est beaucoup vus. Pour mon asthme, pour mes pieds plats. Il m’a manipulé la cheville pour décoincer tout ça. Il a aussi fait passer un courant électrique dedans… Ce n’est pas vraiment désagréable. Puis, je suis revenu au lycée, il restait une demi-heure à tuer. J’ai regardé au CDI quelques documents sur l’orientation, puisqu’il faut bien que je trouve autre chose que cette fichue école Estienne. Je veux trouver quelque chose d’intéressant à faire à la fac. J’ai pensé au journalisme, ou à ces trucs fourre-tout qu’on appelle « communication », ou bien information, édition… vous voyez le genre. Puis, encore deux heures de perm dans l’après-midi. La première à papoter dehors avec Mathieu, S* et B*. La deuxième, seulement avec Mathieu. Je passe de plus en plus de temps avec ce mec. Il est très sympa, très intéressant. On peut causer de tout avec lui. Au début de l’année, pourtant, je le trouvais insupportable. Tout le temps à parler de lui, à monopoliser l’attention. Ses airs prétentieux. Le genre de type infernal à fréquenter. Finalement, quand on le connaît, c’est un type très bien. Son côté énervant, c’est qu’il aime bien parler de lui (mais ce n’est pas forcément un mal), et puis son côté fils à papa (il a pas mal de thune et sa passion, c’est le golf).

Aujourd’hui, je vais plutôt bien. Hier aussi, c’était pas mal. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser au sujet obsédant par excellence, qui ne me lâche pas, mais c’est normal. Sur Internet, au gré de ma navigation, je me retrouve toujours sur des sites qui parlent d’homosexualité (pas des sites de cul, des sites très bien). Par exemple : j’ai su aux infos qu’il y avait un manifeste pour l’homoparentalité dans le Nouvel Obs, alors j’ai été sur leur site pour lire la liste des signataires (j’ai appris des trucs marrants, par exemple que l’ex-ministre Aillagon était pédé, et puis d’autres aussi) et une liste de liens était proposée, donc j’ai été voir. J’ai lu des statistiques sur la proportion d’homos : personne ne la connaît précisément, elle oscille entre 3 et 8 % selon les sources (10 % selon les magazines gays). J’ai appris que l’OMS n’avait retiré l’homosexualité de la liste des maladies mentales qu’en 1993. Quelle aberration ! Je savais déjà, par contre, que la loi française la condamnait encore jusque dans les années 80 (à des degrés différents selon les époques et les couleurs politiques).

J’ai dépassé aujourd’hui la centième page de ce carnet. Comme le temps passe vite en votre compagnie (là, je me laisse prendre à mon délire mégalomaniaque qui me fait croire que ce journal aura un jour des lecteurs…)

Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no2 (Angoisse du doute, malaise de la certitude, 15 juillet 2004 – 17 janvier 2005), j’ai seize ans.

Mardi 11 janvier 2005

Hier, je pétais la forme. Aujourd’hui, j’ai fait une rechute brutale. C’était terrible, j’avais envie de pleurer. Je ne sais pas pourquoi. À quoi est-ce dû ? Hier je vais bien, aujourd’hui je vais mal ? Je ne comprends pas.

« Il pleure sans raison
Dans ce cœur qui s’écœure.
Quoi ! nulle trahison ?…
Ce deuil est sans raison.

C’est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi
Sans amour et sans haine
Mon cœur a tant de peine ! »

Je ne sais pas si c’est très à propos, mais ça me parle. C’est Verlaine.

Plus tard

Je reviens de chez le médecin, car mon entorse me fait encore mal. Vous savez quoi ? Je suis dispensé de sport pour trois semaines de plus ! Voilà qui fait du bien au moral.

Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no2 (Angoisse du doute, malaise de la certitude, 15 juillet 2004 – 17 janvier 2005), j’ai seize ans.

Lundi 10 janvier 2005

J’ai dix-sept ans, depuis 5 h 12 ce matin.

On a fêté mon anniversaire hier, puisque C* était là. On causait tous les deux de mes planches de Torink, quand maman a apporté le gâteau par surprise. J’ai eu tous mes cadeaux. C* avait apporté un bouquin pour moi : Homo Sapiens. Et j’ai eu les BD de ma liste : deux Lapinot (ça y est, je les ai tous), Lazarr (le premier des Entremondes), Revoir Corfou (un recueil de dessins de Ferri, à mourir de rire) et, de Juline, Mister President (j’en étais sûr parce qu’elle m’avait offert Le miracle de la vie à Noël en disant qu’elle aimait bien Clarke). Maman m’a aussi offert une montre Gromit, ou plutôt une sorte de petite horloge à poser sur mon bureau. Et elle a eu une super idée : l’almanach Libération, 30 ans de révolutions culturelles. C’est un grand et gros bouquin, bourré de photos et d’articles des trente dernières années, qui parlent cinéma, musique, bouquins.

Comme j’ai eu ce petit Gromit et que C* ne connaissait pas Wallace et Gromit, on a regardé Un mauvais pantalon. À mon avis, c’est le meilleur épisode. J’adore.

Ce matin, M* et Flore ont pensé à mon anniversaire. À la récré, j’ai vu S* : elle avait un cadeau pour moi. Un bouquin qu’elle a acheté en Espagne pendant ses vacances : Otra Vez, le récit du second voyage en Amérique latine du Che. J’ai vu au cinéma Carnets de voyage, le film adapté du récit de son premier voyage, c’est un des plus beaux films que j’aie vu (en plus, le Che est joué par le beau Gael García Bernal). Si beau que j’y suis retourné ensuite avec S*, qui a beaucoup aimé aussi. C’est pour ça qu’elle m’offre ce bouquin. C’est en espagnol… mais ça a l’air de se lire assez facilement quand même.

Le reste de ma journée : j’avais deux heures de perm. Pendant la première, je suis resté au soleil avec Mathieu et Flore, principalement. La deuxième heure, il y avait B*, car sa prof de chinois n’était pas là. À propos, grâce à ce cours, B* devait partir en Chine, mais il ne pourra pas parce que ça tombe au même moment qu’un concours ultra important pour son école de l’année prochaine. Il a lu mes planches des Vacances de Torink que j’avais apportées pour les photocopier au CDI. Il me faut ce deuxième jeu de photocopies pour les plier, découper et monter en livret, pour montrer à C* à quoi ça ressemblera.

Aujourd’hui, j’avais un moral d’enfer. J’avais la pêche. Parce que je n’ai pas eu le temps de m’ennuyer ce weekend, et encore moins de déprimer.

Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no2 (Angoisse du doute, malaise de la certitude, 15 juillet 2004 – 17 janvier 2005), j’ai seize ans.