Jeudi 6 janvier 2005

Je vais bien, très bien.

Ça y est, elle sait ! Hier midi, je l’ai dit à S*. J’avais plutôt le moral, donc le matin j’ai pris la décision de le lui dire. Ça m’a mis de bonne humeur. J’ai imaginé que, ce midi-là, comme tous les mercredis, on mangerait tous les deux. Des fois, il y a aussi B*. Alors je l’ai convaincu de rester, j’ai pensé que ça me donnerait du courage. Je me suis assuré que M* ne restait pas ; je ne veux pas qu’elle sache, je ne suis pas intime avec elle. Je me suis fait un petit scénario. Finalement, B* m’a lâché (il ne savait pas que je comptais sur lui). Du coup, je me suis dégonflé.

Tout compte fait, on a mangé tous les deux et, dans la discussion, ça s’est fait tout seul, naturellement. J’ai trouvé une bonne occasion pour le dire. Elle a très bien réagi. Un peu surprise, quand même ! Mais pas tant que ça, en fait… Depuis quelque temps, je lui avais quand même tendu des perches, j’ai laissé planer le doute pour m’amuser… sur un ton qui pouvait laisser croire, aussi bien, qu’elle avait de bonnes raisons de douter, ou de croire que je déconnais. Toujours est-il qu’elle sait, et que ça m’a fait du bien ! Je redoutais un peu, quand même, parce qu’elle a encore des préjugés sur certains sujets. Par exemple, elle pensait que, quand on est homo, ça se voit. Mais elle a fait d’énormes progrès. Il y a encore un an, c’est tout juste si elle ne considérait pas les homos comme des dépravés ou, du moins, comme des anormaux. On s’était engueulés à ce sujet, d’ailleurs, par exemple dans le cadre du débat qui a eu lieu à propos du mariage homosexuel – notez que je ne savais pas encore que je l’étais.

L’après-midi, sur MSN, j’ai dit à B* qu’ils étaient deux à savoir maintenant. Du coup, on a discuté un peu. J’ai beaucoup aimé. Ce type est très secret et, moi-même, je parle peu de moi. Cette fois, on a bien causé, c’était sympa. Un truc m’a surpris : il m’a dit que, lui aussi, il s’était déjà demandé s’il était homo – manière de « se démontrer par l’absurde qu’il était hétéro » (je cite). Ça m’a étonné. C’est original comme démarche. J’ai trouvé ça très bien. Mais il semble que ce ne soit pas si marginal que ça, puisque S* aussi (même elle !) m’a dit, aujourd’hui, qu’elle s’était posé la même question pour elle.

Voilà, je suis content. Ça fait du bien. Et puis, ça me rapproche d’eux. Pour se rapprocher de ses amis, rien de tel que de leur confier un « secret ».

Autre chose : je me suis remis en tête qu’Étienne me plaisait. Je ne sais pas si c’est vrai, ou si c’est plutôt cette idée qui me plaît ; toujours est-il que je me suis remis à y penser. Et ce n’est pas désagréable ! Ah, s’il savait que je le matais… D’ailleurs, j’ai été déçu : lui qui est toujours en short pour les cours de sport, eh bien, pas aujourd’hui.

Oui, j’ai repris le sport. Il faut que j’explique. Il y a un peu plus d’un mois, je me suis fait une entorse à la cheville en jouant au volley, pendant le cours d’EPS. Sur le moment, ça ne m’a pas fait très mal, je pensais m’être tordu la cheville, comme ça arrive parfois. Je me suis assis au bord du terrain en attendant que ça passe. Finalement, ça n’a pas passé. J’avais toujours mal, le reste de la journée. Et, quand j’ai dû rentrer chez moi : argh ! J’ai mis une demi-heure, alors qu’il me faut normalement dix minutes pour faire le trajet. J’ai sévèrement dérouillé. J’ai appelé maman en rentrant, et quand elle est revenue du boulot elle m’a accompagné chez le médecin. J’ai été dispensé de sport jusqu’aux vacances. Aujourd’hui, j’ai encore un peu mal. Alors j’ai hésité, ce matin, à reprendre le sport : j’ai eu peur de faire une bêtise, parce qu’une entorse mal soignée, et tu restes fragile toute ta vie ! Finalement, ça a été. Du côté de la cheville en tout cas. Pour le reste, le sport, c’est vraiment un calvaire. Je ne connais rien de pire. J’y vais à reculons, et c’est peu de le dire. La veille au soir, je commence à avoir une sorte d’angoisse et, le matin, c’est terrible pour aller au lycée. Heureusement, la journée commence par deux heures de philo – j’adore ça et mon prof est génial – et je pense à autre chose. Mais, juste après, il faut y passer. C’est horrible. Et c’est pire quand c’est un sport d’équipe, comme en ce moment avec le volley.

Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no2 (Angoisse du doute, malaise de la certitude, 15 juillet 2004 – 17 janvier 2005), j’ai seize ans.

Mercredi 4 janvier 2005

Aujourd’hui, ça va plutôt bien, alors qu’hier c’était la déprime profonde, allez savoir pourquoi.

Finalement, ça s’est plutôt bien passé. Définitivement, Étienne m’est bien sorti de la tête, c’est une bonne chose de faite. B*, lui, en revanche, c’est pareil. Il me fait toujours une drôle d’impression. C’est bête, mais il me touche. Lundi matin, à la récré, j’étais tout seul à errer, à me demander si je n’allais pas me taper la tête contre un mur pour aller mieux. Ça m’arrive parfois (pas de me taper la tête contre un mur, mais d’être mal, comme ça), des moments où je me sens terriblement seul et que je ne veux qu’une chose : m’isoler. Je fuis les gens que je connais (pas tellement parce que je ne veux pas les voir, plutôt parce que je n’ai rien à leur dire, que je ne sais pas ce que je ferais avec eux ; je sais que c’est confus, mais ça l’est pour moi aussi). Eh bien, B* est venu me chercher. Du coup, j’ai passé la récré avec lui et ses potes. C’est con, hein. Mais je le trouve sympa. Remarquez que n’importe quel copain aurait fait la même chose, mais j’ai vraiment l’impression qu’il m’aime bien.

Aujourd’hui, il tirait une tronche pas possible et, de le voir comme ça, moi qui étais plutôt gai pour une fois, ça m’a presque fichu le cafard. Quand je le vois avec cet air triste, à ne pas dire un mot de la journée, je ne peux pas m’empêcher de m’identifier et/ou de me faire des films. J’ai l’impression de le comprendre, alors que je suis probablement à côté de la plaque.

Une anecdote amusante. Pendant les vacances, beaucoup de monde a été chez le coiffeur. Eh bien, je n’ai pas remarqué que M* avait changé de coupe, alors que c’est flagrant, il paraît. Je ne fais pas attention à ça, c’est dingue. Par contre, je peux vous dire exactement comment tel ou tel type était habillé aujourd’hui… Non, pas de doute possible !

Depuis quelque temps, j’ai découvert sur Internet un forum sur l’homosexualité, sur Doctissimo (c’est un site médical, mais avec plein de dossiers sur des problèmes qui peuvent toucher les jeunes, notamment). Je visite régulièrement ce forum (sans y participer), c’est très intéressant d’assister aux discussions entre de jeunes homos. Il y en a de mon âge, qui confient leurs doutes ou leur mal-être, qui posent des questions très précises que je me pose aussi, et des plus âgés qui font part de leur expérience.

Il y a des témoignages déprimants : certains mecs sont bien plus atteints que moi, et on se demande s’ils ne vont pas se foutre en l’air ! Il y en a même qui ont vingt ou vingt-et-un ans et qui disent que personne n’est au courant de leur homosexualité… Mais comment est-ce possible ? Moi, ça ne fait que six mois que je suis au courant, et ça me fait tellement souffrir ! Comment peuvent-ils ne pas partager cela, le garder pour eux pendant tant d’années ? C’est dingue.

Il y a aussi des témoignages amusants. Parfois je me reconnais dans une remarque, quand certains évoquent le regard qu’ils ont sur les autres mecs, et tout. Et puis, il y en a qui sont vraiment gonflés, qui parlent de leurs expériences, de leurs fantasmes sur leur meilleur ami, et toutes ces sortes de choses…

Ça me fait du bien de lire tout ça. Parce que je ne connais pas d’homos personnellement, je n’ai personne avec qui partager tout ça et, sans ce forum, je ne saurais pas comment vivent les autres.

Demain, je pensais aller à l’Univers du livre pour acheter le bouquin que j’ai commandé : Oubapo, opus no1, mais ils ne l’ont pas reçu. J’irai quand même, peut-être, et j’achèterai le tome 3 du Retour à la terre, qui vient de sortir…

Lundi prochain, j’aurai dix-sept ans.

Entendu la semaine dernière, dans la rue, à Saint-Germain. Un SDF dit à un autre : « Oh, moi, tu sais, le foie gras, je ne cours pas après… » Ça m’a fait rigoler. Je ne sais pas dans quel contexte il disait ça. Moi non plus, je ne cours pas après le foie gras.

Et si je parlais un peu d’autre chose que de moi ? Je vais parler du contexte historique, pour que le lecteur du siècle prochain puisse situer. Non, je déconne. Mais, sérieusement, la semaine dernière un raz-de-marée effroyable dans l’océan Indien a fait au moins (« au moins », car ils en comptent de plus en plus chaque jour) cent cinquante mille morts. On ne parle que de ça à la radio. Cent cinquante mille… On a du mal à se rendre compte… Ça fait froid dans le dos.

Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no2 (Angoisse du doute, malaise de la certitude, 15 juillet 2004 – 17 janvier 2005), j’ai seize ans.

Dimanche 2 janvier 2005

Aujourd’hui, ça va plutôt bien. Hier, par contre, ça allait plutôt pas terrible. J’ai passé ma journée à ne rien faire. Déjà, je me suis levé tard, puisque la veille on avait attendu minuit, comme c’était le réveillon. Enfin, « réveillon », c’est vite dit. Allez, si : réveillon quand même. Donc, je me suis levé tard. Donc : quasiment pas de matinée. Puis, l’après-midi : motivé pour rien. Je me suis traîné. Je suis resté un bon moment avachi devant la télé (maman regardait un concert de Pagny en repassant). Il fallait que je travaille. J’avais une synthèse d’éco à faire. À 17h30, enfin, j’en ai trouvé le courage. Aujourd’hui, j’ai bossé l’histoire : j’ai tapé mes cours sur la décolonisation, ça aide bien pour réviser. On a une disserte mardi matin. Là, maman est chez mamie pour l’aider à faire du rangement ou du ménage. Juline travaille – c’est-à-dire qu’elle dessine, en l’occurence.

Moi aussi, je me suis remis à dessiner, hier, dans mon carnet bleu, auquel je n’avais pas touché depuis un mois. J’ai dessiné un personnage dont je suis content. Je l’ai fait avec un trait que je ne me connaissais pas encore, que je trouve plutôt élégant, un peu à la Pratt, dirais-je pour me vanter. Je trouve ça important, l’élégance, dans un dessin. C’est un qualificatif qui me plaît. J’ai fait un autre personnage, en couleurs uniquement, avec ma pseudo-aquarelle (des pastilles de peinture à l’eau que je traîne depuis toujours : la peinture qu’on donne aux gamins pour ne pas qu’ils salissent, vous voyez ?)

C* m’a appelé, il veut me brancher sur un nouveau super projet, une nouvelle idée parmi les cent cinquante mille qui lui viennent en une seconde. C’est une BD qui raconterait l’histoire de l’asso, ce serait présenté avec un CD. Ouais, on verra, mais ce serait bien.

Plus tard

Tiens, maman vient de rentrer. Elle dit que mamie a continué à dessiner avec les crayons aquarellables qu’elle lui avait donnés. Eh oui, mamie s’essaie au dessin. Apparemment, ce serait réussi, pour quelqu’un qui n’a jamais dessiné. Je suis sûr que ça l’intéresse. À chaque fois qu’elle vient ici, et que Juline et moi lui montrons nos dessins, ça lui plaît. C’est bien qu’elle essaie. Et puis, ça l’occupe. Ça ne doit pas être drôle d’être si souvent seule.

Hier soir, j’ai fini de lire Bandini de John Fante. C’est un très bon livre, et on a tous ses romans à la maison. Je pense que je lirai la suite un de ces jours, mais d’abord je vais lire le bouquin que j’ai pris à la bibliothèque : Gros-câlin d’Émile Ajar. Je l’ai emprunté parce que maman m’a parlé de l’affaire Romain Gary–Émile Ajar, ça m’a intéressé. J’ai lu aussi Souvenirs d’un pas grand-chose de Bukowski.

Vendredi, j’étais au Vésinet avec maman, et qui a-t-on croisé dans la rue ? La mère de William ! William était mon ami-pour-la-vie pendant toute l’école primaire, et jusqu’en cinquième ou quatrième, puis on s’est perdus de vue. Maintenant, je ne le connais plus. Sa mère m’a dit (je ne retranscris pas son accent américain) : « Ce serait bien que tu l’appelles, vous pourriez vous revoir ! » Maman est du même avis. Mais, moi, je n’oserai jamais. Je ne saurais pas quoi lui dire. S’il appelle, tant mieux, sinon tant pis.

Demain c’est la rentrée. Ça repart pour sept semaines. D’un côté, je suis plutôt impatient de revoir les copains. La routine va repartir, ce n’est pas plus mal. Ça m’occupera. Je vais recommencer à manger avec S*, B*, M* et compagnie. Je vais passer mes nombreuses heures de perm à glander au CDI – à m’ennuyer ou à refaire le monde, selon les cas. Les habitudes, quoi. D’un autre côté, j’appréhende tout ça. Je sais : je suis un mec compliqué, mais ce n’est pas nouveau. Je vais revoir du monde : du monde ! Et je sais que, quand mon moral ne va pas fort, il a tendance à aller encore moins fort quand je vois du monde. Plus il y a de gens, plus je me sens seul (non, ce n’est pas paradoxal : au contraire, c’est logique). Et puis, je vais revoir B*. Comment ça va se passer, avec ce qu’il sait maintenant, et avec ce que j’ai cru comprendre moi-même ? Et puis, Étienne. Mais lui, ça y est, je crois que je suis immunisé (remarquez, je préférais encore quand c’était lui). Et puis, revoir les profs. Le pire, c’est ***, le prof d’éco. Qu’est-ce qu’on se fait chier, dans ses cours ! Je n’avais encore jamais vu ça. À ce point, c’est incroyable.

Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no2 (Angoisse du doute, malaise de la certitude, 15 juillet 2004 – 17 janvier 2005), j’ai seize ans.

Vendredi 31 décembre 2004

J’étais en forme, la dernière fois que j’ai écrit ici. On dirait que j’avais le moral ! Depuis, je l’ai un peu moins. Eh oui, je suis comme ça, je change très vite. De nouveau, je suis obsédé par ce même problème. Mais ça s’aggrave puisque, maintenant, je commence à y mêler B*. Le pauvre ! C’est vrai que ça m’inquiète : ce n’est pas normal, de penser à lui comme ça. Comment penser à autre chose ? Bon. Ce n’est pas clair, ce que je raconte, j’en suis conscient. Mais c’est naturel : comment pourrais-je m’exprimer clairement alors que mes idées mêmes sont confuses ? Je n’y comprends rien. Je suis un peu perdu.

Hier, je suis allé au CIO : le Centre d’information sur l’orientation. C’est à Saint-Germain. J’y ai rencontré une conseillère d’orientation pour qu’elle m’aide à y voir plus clair dans mon avenir (c’est une voyante que j’aurais dû aller voir !) Moi, ce que je voudrais, c’est entrer à l’école Estienne, une école d’arts appliqués. Le problème, c’est que c’est très difficile, très sélectif. Il y a une pré-sélection sur dossier (pour ça, ça va, mes notes sont plutôt pas mal), puis un concours. Et là, ça se corse. Ce que j’aurais voulu trouver au CIO, c’est une autre voie, une autre école, autrement dit : autre chose à faire, si je ne pouvais pas aller où je veux. Eh bien, non : il n’existe rien d’autre.

Il faut dire que je suis difficile. Rien ne m’intéresse. Moi, je veux faire de la bande dessinée. Mon rêve serait de tout laisser tomber maintenant et de réussir immédiatement dans ce métier. Bien sûr, ce n’est pas possible. Donc, comme métier « sérieux », et comme études, qu’est-ce qui m’intéresse ? Je ne vois que ça : les arts appliqués. Ainsi, je pourrais être graphiste, ou je ne sais quoi. C’est un boulot correct. Oui. Parce que, vraiment, je ne me vois absolument pas faire un boulot du genre, euh, je ne sais pas : un truc comme ce que les autres veulent faire ! L’ambition de la plupart des gens en ES (dont je fais partie) est d’intégrer une école de commerce. Quelle horreur ! Ou, pour ceux qui n’en ont pas les capacités, de faire une fac de droit, de sociologie, de psycho… Bof, bof.

Alors, je ne sais pas ce que je deviendrai l’année prochaine. Remarquez, dans un certain sens, j’ai de la chance. Je m’en rends compte. J’ai un bon niveau scolaire partout. Si je voulais, je pourrais même faire HEC ! Mieux vaut pouvoir et ne pas vouloir, que le contraire. Voilà : ce sera la morale du jour. Méditez bien là-dessus.

Tiens, un truc marrant. Ou plutôt : qui m’a laissé perplexe. Il y a deux ou trois jours, je causais à B* (encore lui) sur MSN et lui demandais ce qu’il avait eu à Noël. Il a eu des enceintes. Je lui dis « Mais, tu n’avais pas déjà eu ça, récemment ? Ça me dit quelque chose. » Il me répond que non. Mais peut-être m’avait-il parlé de son projet ? Ça s’est fini comme ça. Ce matin, je me suis souvenu que j’avais rêvé, peu de temps avant, que je causais avec lui sur MSN, justement. Il me disait qu’il avait eu des enceintes, qu’elles ne lui plaisaient pas, qu’il essayait de les vendre. Étonnement de ma part : « Tu ne préfères pas le dire à tes parents, pour qu’ils les changent ? » Il me répondait : « Non, ils seraient déçus. » J’avais donc rêvé du cadeau que B* aurait pour Noël. C’est dingue.

Ces derniers jours, pour la première fois, j’ai rêvé de situations où j’étais homo. C’est nouveau. C’était un rêve assez bizarre. J’étais dans un genre d’école ou de centre, où tout le monde l’était. Je ne me souviens plus du principe du truc, mais ça m’a fait tout drôle.

Tout revient à ça. Ça m’obsède. Il y a des fois où je suis vraiment mal. Parfois, je me dis que, si tout le monde était au courant, je me sentirais mieux. Mais je ne veux pas que ça se sache. Parce que (c’est con, hein ?) j’ai encore des doutes. Imaginez si je faisais mon coming out, comme on dit, et que je me rends compte ensuite que je me suis trompé ? J’aurais pas l’air con, tiens ! Il y a quelque chose qui m’intrigue. Si j’étais homo, logiquement, ça devrait me dégoûter, ou au moins me gêner, me faire une impression bizarre, de m’imaginer avec une fille. Pourtant, pas tellement. Alors, je pense avoir trouvé une explication. Si, sur un plan purement sexuel, l’idée de l’amour avec un mec me cause une impression bizarre, et qu’avec une fille ça ne me repousse pas, c’est peut-être simplement une question d’habitude : à force de voir à la télé, au cinéma, des couples faire l’amour ? Du coup, ça me semble normal. Alors que, des rapports homo, on n’en voit jamais. Du coup, ça reste intriguant pour moi… Oui, ça doit être ça.

Tout de même, oui, ça y est, ça ne peut pas ne pas être : je suis attiré par les mecs, c’est certain. Dès qu’il passe un beau mec quelque part, ça me met dans un drôle d’état. C’est pas facile à décrire. Bon, il y a d’abord le truc basique de regarder le mec et de me dire : « Mhm ! Il est pas mal, lui ! » Mais il y a aussi ce sentiment, plus triste et désagréable, de me dire, confusément et dans le désordre : « il est bien mieux que moi, je ne ressemble à rien », et « de toute façon il n’aime que les nanas, ça ne sert à rien », et puis « je suis sûr qu’il a quelqu’un, le salaud, et même pas moi », et encore plein d’autres trucs, qui ne sont pas faits pour me remonter le moral.

L’autre problème, purement statistique, c’est une question de probabilité. Supposons une proportion de 5 % d’homosexuels dans une population donnée. J’ai donc une chance sur vingt pour que le mec qui m’intéresse soit susceptible de l’être par moi. Ensuite, combien de chances qu’il s’intéresse réellement à moi ? Autant que n’importe quel hétérosexuel, certes, mais je pars avec un lourd handicap qui divise d’emblée mes chances par vingt.

Théoriquement, rien qu’au lycée, si on considère cinq cents mecs (il y a mille élèves), il devrait y avoir vingt-cinq homos. C’est pas beaucoup. Mais tout de même ! Où sont-ils ? Je ne les connais pas. (Remarquez, eux ne me connaissent pas non plus.)

Même dans mes lectures, cette obsession me poursuit. J’ai lu Si le grain de meurt, l’autobiographie de Gide, rien que parce que j’avais lu que Gide était pédé.

Tout, tout et n’importe quoi me ramène à ça. Je croise un mec : je me dis qu’il est pas mal : hop, ça me le rappelle. Je croise une nana : je me rends compte qu’elle ne me fait aucun effet : hop, encore une fois, ça me le rappelle. C’est ainsi quand on a une idée fixe : le moindre événement, le plus insignifiant, est interprété pour renvoyer à cette idée fixe.

Bon, on arrête là d’en parler ?

À part ça : plus que deux jours de vacances. Demain, on est en 2005. Je ne fais rien de particulier, ce soir. Je ne suis pas fan de la fête, et encore moins de la fête imposée à date fixe. De toute façon, je ne suis qu’un ermite, un ours mal léché, je vais finir misanthrope, ça ne va pas traîner. En quinze jours de vacances, je n’aurai vu quasiment personne ! S* uniquement, venue ici avant de partir à Madrid, et une autre fois, avant-hier, à son retour.

Au fait : je n’ai pas parlé de Noël. Comme d’habitude, le 24 au soir, nous sommes restés tous les trois. Le lendemain, on a invité mamie. Mes cadeaux ? Oh, oui : j’avais fait une liste de BD, comme à mon habitude. J’ai eu l’intégrale des années Pilote du Concombre masqué. J’adore (vous le savez déjà). Je suis content de voir que Dargaud a eu, enfin, la bonne idée de les rééditer, après toutes ces années où les fans cherchaient désespérément les albums introuvables. J’ai eu aussi Slaloms, le troisième Lapinot, et Les eaux lourdes, le deuxième Entremondes des frères Larcenet, eu un autre Trondheim, et Le miracle de la vie de Clarke. Et je ne devrais pas tarder à recevoir un modem ADSL, car l’abonnement ADSL est également un de mes cadeaux !

Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no2 (Angoisse du doute, malaise de la certitude, 15 juillet 2004 – 17 janvier 2005), j’ai seize ans.

Mardi 28 décembre 2004

Et si je reprenais ce journal ? Je l’avais laissé tomber cet été, au moment de partir en vacances. Je l’avais pourtant emporté… Mais, là-bas, j’ai plutôt tenu une sorte de « carnet de bord » dessiné, que maman garde précieusement. Ça raconte nos vacances. Puis, au retour, je n’ai pas ressenti l’envie de me relancer dans ce journal. Il y a des moments où on en a envie, ou même besoin ; ça fait du bien. Et d’autres où l’on trouve ça d’une bêtise affligeante. C’est vrai que, quand je lis certains passages… ouh là ! Comment ai-je pu écrire des banalités pareilles, ou m’épancher en états d’âme si inintéressants ? Oh, après tout, c’est bien : c’est là l’intérêt de ce journal : c’est spontané. Après, on se relit et on se dit : « Ce que j’étais con à cette époque ! » et on est content. Remarquez : je dis « à cette époque » sur le ton de « Moi j’suis un vieux de la vieille, j’en ai vu des choses », alors que ce journal n’a été commencé qu’il y a un an et demi. Bref, je m’y remets. Pour combien de temps ?

Et puis, je me dis : j’écris pour la postérité. Si je meurs demain, les gens sauront ce qu’il y a dans la tête d’Antonin Crenn. Et puis, je me dis que ces notes seront bien utiles quand je serai vieux, que ma mémoire commencera à défaillir et que mes fans me pousseront à rédiger mes mémoires. Ah, ça y est ! Le délire mégalomaniaque me prend !

Soyons sérieux cinq minutes. Il y a un trou de plusieurs mois dans ce journal, il faut y remédier. Je vais tenter un raccord sommaire, sinon la postérité ne comprendra rien. Que s’est-il passé dans ma vie entre août et décembre 2004 ? Je ne vois qu’une chose importante. Je vais la garder pour la fin, tiens, pour faire languir le lecteur. Il est toujours bon de ménager le suspense, ha ha ! Je suis impitoyable, n’est-ce pas ?

Alors, globalement, je suis le même. Scolairement parlant (ce qui est la partie la moins intéressante de ma vie et de mon individu), je suis en terminale. « ES », pour ceux qui aiment les détails. Je ne suis pas dans la classe de S* et B*, par contre je suis dans celle de M*. Je suis le premier de la classe, mais ça, on s’en fout.

Artistiquement parlant (les grands mots ! « artiste » ! n’ayons pas peur du titre ronflant : si je ne me le donne pas moi-même, qui le fera ?), je dessine toujours. Après La rencontre avec Jean-Pierre, j’ai dessiné une nouvelle « Journée dans la vie d’Anatole Lebrun » : Un ornithorynque pas comme les autres, où j’ai introduit Torink (sans le nommer toutefois). Entre les deux histoires, j’ai aussi dessiné Le petit déjeuner du lundi matin (et autres petits déjeuners), mais je crois que j’en ai vaguement parlé ici, non ? Il faudra que je vérifie. Dernièrement, j’ai réalisé une version longue des Vacances de Torink, entièrement redessinée ; ce serait éventuellement un petit album, que distribuerait C* et son association (rien n’est plus incertain, en fait ; je pense que j’aurai l’occasion d’en reparler).

Sinon, à quoi j’occupe mon temps ? Je suis toujours aussi peu passionné par les sorties entre copains. En revanche, je lis à un rythme assez soutenu, pris cet été. C’est très bien. Je vais régulièrement au cinéma, avec maman ou avec S*.

Sinon, le point qui me paraissait important et que j’évoquais plus haut, et que vous attendiez, petits impatients, c’est ceci : j’ai découvert que j’étais homosexuel, ou du moins j’ai de sérieuses raisons de le penser.

(Ah, du détail croustillant ! Vous n’attendez que ça, hein ! Malheureusement, vous ne trouverez pas grand-chose à vous mettre sous la dent, puisque tout ceci reste dans le domaine purement abstrait et théorique. Je suis toujours inexpérimenté, pour ce qui est des choses de l’amour. Eh oui, je lis la déception sur vos visages, bande de lecteurs voyeurs. Fin de la parenthèse.)

J’avais des doutes depuis quelques temps. Disons… fin de l’année de première ? Allez, oui. Puis, le jour de la rentrée de terminale (ou, pour être précis, le premier jour de cours), j’ai eu une sorte de confirmation en voyant un type de ma classe qui m’a réellement tapé dans l’œil, et qui a occupé mes pensées un bon bout de temps. Il est quasiment oublié, maintenant. J’ai tout fait pour. Tant qu’il ne me regarde pas avec ses yeux… – Un nom ! Un nom ! – Ah, vous êtes tous les mêmes ! Non, vous n’aurez rien. – Oh… (déception). – Allez, si. – Ah… ! (ravissement). – Il s’appelle Étienne. Et ça change quoi ?

Cette découverte m’a franchement déprimé. Longtemps. Et c’est pas vraiment fini. Réfléchissez un peu : être homo, ça présente de nombreux inconvénients, quand on sait que très peu d’autres garçons le sont : dans ce cas, où trouver l’âme sœur ? Ah, je suis trop romantique. Je disais donc : ça m’a déprimé. Jusqu’à il y a dix jours, en fait. Jusqu’au moment où je me suis décidé à en parler à quelqu’un. Riri le Clown fut mon porte-parole. C’est un personnage de BD à la con que je m’amuse quelquefois à envoyer, par mail, à B*. Des BD de quelques cases, griffonnées sur un coin de table. C’est généralement très con, mais ça me fait marrer et B* aussi. Alors, cette fois, j’ai fait un Riri le Clown sérieux. Riri expliquait son malaise d’aimer les clowns, alors que les autres clowns, eux, aiment les clownettes. Vous apprécierez la subtile métaphore. J’ai envoyé ça à B*, le vendredi soir, juste avant les vacances. Le samedi matin, au lycée, j’ai commencé à flipper en attendant sa réaction. Et, à la fin des cours, à 10h30, je l’ai vu dans la cour. Je n’ai pas osé aller le voir. C’est lui qui m’a vu. Il m’a fait un grand sourire, amusé, je crois. Il m’a dit : « Et alors ? Tu ne me serres pas la main ce matin ? » Et là, je me suis senti terriblement bien. Ça m’a causé une impression très forte, vraiment, ça m’a fait plaisir. Et un poids d’environ deux cent cinquante kilos s’est envolé d’un coup. Et j’ai dû faire un grand sourire, j’en suis sûr. Je lui ai demandé si mon message ne l’avait pas gêné ; il m’a dit non, pas du tout. Puis, on n’en a plus parlé, puisqu’on n’était pas seuls. On a causé de choses et d’autres, avec le reste du groupe. Et à la fin, au moment de se séparer, quand chacun est rentré chez soi pour les vacances, il m’a dit, sur un ton un peu timide, mais sincère et sérieux : « Si tu veux qu’on en parle… » Ça m’a fait un bien fou. Je ne sais pas si j’aurai envie d’en parler, mais je sais que je peux le faire. C’est là l’important. Depuis, je vais vachement bien. Je ne sais pas si c’est seulement ça, mais ça a dû aider. Merci, B* ! Merci, merci ! Tu es vraiment un ami !

À propos de B*… Parfois, je suis inquiet, en pensant à lui. Je me demande ce que je ressens vraiment pour lui… Maintenant que je crois être homo, je me demande si je n’aurais pas une certaine attirance pour lui ? Ce serait vraiment trop con ! Mais pourtant… Physiquement, il me plaît bien, mais vu comme il est foutu, de toute façon, ce serait difficile de dire le contraire… Et je trouve tellement que c’est un type formidable ! Bon. N’y pensons plus. Ça va passer.

N’empêche que, B*, il ne laisse personne indifférent. Même S* s’est intéressée à lui ! Mais ça n’a pas marché pour elle. Et B*, lui, est toujours seul, alors que toutes les filles sont folles de lui. Enfin, peut-être pas pour longtemps. On a l’impression qu’il se trame quelque chose entre lui et M* (elle n’est plus avec son copain, après trois ans)… J’aimerais bien en savoir plus. Ah, la curiosité ! Si ça se trouve, à moi, il voudrait bien me répondre, après les confidences que je lui ai faites ? Hum, c’est à voir.

À propos d’Étienne : j’ai dit que je l’évitais. Oui. Et ce, depuis une soirée organisée chez lui, où j’étais allé, pour une fois (il y a très souvent des soirées, mais ça ne m’intéresse pas, en général c’est pour boire et fumer jusqu’à 4 heures du mat’… Cette fois, j’avais dit oui, et j’étais parti à minuit). Ce soir-là, je me suis rendu compte que, en plus d’être bien physiquement (je ne sais pas à quoi ça tient, mais c’est vrai), il était intéressant. Alors, ça s’est compliqué. Tant qu’il était seulement un beau mec à mater en classe, ça va. Mais, s’il devient un mec intéressant, ça devient dangereux. Donc j’ai décidé de l’éviter, et je commence à être immunisé. Bien sûr, je fais une rechute lorsqu’il me regarde dans les yeux, avec ce regard terrible qu’il a, ou quand il fait un de ces sourires dont il a le secret (quelle midinette je fais), mais, bon, ça va mieux. D’autant plus qu’il s’est trouvé une nana (ce qui n’est pas une déception pour moi, puisqu’il ne m’était jamais venu à l’esprit qu’il puisse s’intéresser à quelqu’un d’autre qu’à une fille, mais je dois avouer que je n’aime pas beaucoup les voir s’embrasser…)

Voilà. En ce moment, je suis dans une phase où ça m’amuse, plus que ne me déprime. Car ça a de bons côtés, aussi, d’être homo. Tu peux mater les mecs en toute impunité, puisque personne ne se doute que ça te plaît de voir les autres en caleçon dans les vestiaires de sport… Tu peux déconner avec les copains, mais à condition que l’un d’eux soit au courant : je vois ça d’ici, quand on parlera de filles ou de mecs, les regards pleins de sous-entendus que me lancerait B*… Oui, cette complicité me plairait. Mais peut-être que ça lui pèse, à lui, d’être le seul à savoir ? Le pauvre, je lui impose ça, il ne l’a pas voulu…

Ça, c’est quand le grand monde n’est pas encore au courant. Quand c’est officiel, les avantages sont autres. Déjà, tu fais le vide autour de toi. Les cons réacs ne te fréquentent plus, ce qui est une bonne chose. Et tu peux éveiller des vocations dans ton entourage : si un autre mec est dans le même cas, mais n’ose pas en parler, ça peut lui en donner le courage. Moi, c’est ça mon problème : je ne connais pas un seul homo ! Ce serait tellement plus simple… J’en connais probablement, mais qui ne le disent pas. Comme moi.

Enfin, je dis tout ça, mais… si ça se trouve, je me trompe. Peut-être ne suis-je qu’hétéro, comme tout le monde, et que je traverse une période de doute. Mouais, mouais… Tout de même. Pour ça, il y a un test très simple. Je me balade dans la rue, sans y penser. Une belle fille passe : je ne la vois même pas. Un mec passe : je regarde. Avant, c’était déjà le cas et, naïvement, savez-vous ce que j’imaginais ? « Si je ne mate jamais les nanas, c’est parce que je suis encore jeune ; je suis certes un peu en retard, mais ça viendra quand ça viendra… Et si je mate les mecs sur la plage, c’est pour me comparer, pour m’identifier aux autres, moi qui traverse ces changements difficiles de l’adolescence… » Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre !

Il est 21h39, j’écris depuis une heure. Il est temps d’arrêter, ou mon stylo va râler et exiger le paiement de ses heures supplémentaires. Voilà qu’il a des revendications syndicales, maintenant ! Dans quel monde vivons-nous, ma bonne dame ? Tout fout l’camp.

Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no2 (Angoisse du doute, malaise de la certitude, 15 juillet 2004 – 17 janvier 2005), j’ai seize ans.

Vendredi 30 juillet 2004

15 h 57. Ça fait un bout de temps que je n’ai pas écrit ici. C’est parce que j’étais très occupé. Et puis, surtout, c’est parce que, si je n’ai pas envie d’écrire, il n’y a pas de raison que j’écrive.

Benoît est revenu de vacances, alors on s’est vus un peu. J’ai été chez lui, il est venu chez moi. Une fois, on a été à Saint-Germain ensemble.

S* aussi est revenue. On s’est vus hier. Là, il faut que je raconte. On s’est fait une super sortie à Paris. On s’est retrouvés à 10 heures pour prendre le RER, direction Montmartre. Je n’y avais jamais été ; elle, un peu. Bien sûr, nous sommes montés au Sacré-Cœur. Il me semblait que cette butte avait la réputation d’être épuisante à monter ? Pourtant, non, il n’y a pas tant de marches que ça. Sur les marches, on s’est fait arrêter par deux Sénégalais qui voulaient nous vendre des bracelets. Comme je suis un peu pigeon, je les ai laissés parler. Finalement, ils ont filé l’un des bracelets à S* (ce que je connais sous le nom de « bracelets brésiliens » en fils de coton tissés), elle était contente, alors je n’ai peut-être pas eu tort… Après, nous sommes allés à l’intérieur du Sacré-Cœur, mais bon, il n’y a pas grand-chose à y voir. Par contre, j’ai trouvé très irrespectueux certains touristes qui gardaient leu chapeau – en plus, il y avait une messe. Moi qui ne suis pas croyant, je respecte quand même.

Ensuite, on a été voir la place du Tertre, mais c’est vrai que c’est envahi de pièges à touristes… Il y a ces dizaines de peintres, portraitistes, caricaturistes… Certains sont bons, d’ailleurs.

On a descendu la rue Lepic (on n’a pas trouvé le café d’Amélie Poulain ! S* est fan…) pour se retrouver au point de départ. Là, on s’est demandé : « On fait quoi, maintenant ? » On a décidé d’aller faire un tour ailleurs. On est descendus dans le 9e, vers l’Opéra. On a pris la rue de la Paix (où je me suis fait plumer tant de fois au Monopoly), puis la place Vendôme. Et la rue de Rivoli, jusqu’aux Champs-Élysées. On est rentrés par le RER de l’Étoile : ça nous a fait faire un sacré tour. J’ai passé une très bonne journée. Mais on a bien fait de partir tôt le matin, parce qu’après il faisait vraiment une chaleur dingue.

Quand je pense qu’on part en vacances demain ! Le weekend le plus encombré sur les routes, avec un soleil de trente degrés… On fera le trajet en deux fois, ce qui veut dire qu’on s’arrêtera demain soir, passer la nuit quelque part. Quant à Juline, elle part ce soir en train avec ses copines. Train-couchettes. Moi, ça ne me plairait pas beaucoup, mais c’est le plus pratique. Ça me rappelle quand on est partis au Grau-d’Agde avec papa, c’était un train-couchettes aussi.

J’ai préparé mes petites affaires. Principalement des bouquins, des feuilles pour écrire et dessiner, et ma trousse. La valise, on la fera ce soir.

J’ai lu Cercle vicieux. C’est terrible ! J’adore. Quand je l’ai fini, je n’en revenais pas, tellement c’est bien foutu. Il y a trente pages de six cases, soit deux fois quinze pages, puisqu’ensuite on reprend les mêmes cases en sens inverse. C’est génial. Là, j’ai commandé Pervenche et Victor, du même Lécroart. Mais ils ne l’ont pas encore reçu : je ne l’aurai pas pour les vacances, tant pis. En ce moment, je me passionne pour l’Oubapo (Ouvroir de bande dessinée potentielle), dont fait partie Lécroart. Il y a aussi Trondheim, que j’adore. Ils font plein de trucs dingues comme ça. C’est l’équivalent BD de l’Oulipo, auquel appartient Perec (que j’adore aussi : on le saura) ou Queneau (dont j’ai lu les Exercices de style).

En vacances, j’emporte La vie mode d’emploi, Les fourmis et Monsieur Malaussène. J’aime bien les Malaussène de Pennac, ça se lit bien, c’est facile. J’en ai déjà lu trois.

Mme J* a répondu au mail que je lui ai envoyé. Je suis content, parce que vraiment je l’aime bien. Elle m’a dit de féliciter Juline pour son bac. Elle me demande ce que je pense de Farenheit 9/11. Ça tombe bien, j’ai plein de choses à en dire.

Je ne crois pas l’avoir déjà dit ici : j’ai envoyé deux longs mails à B*. Je sais bien qu’il est en vacances, mais justement. Comme ça, je peux lui raconter ce que je veux, je ne serai pas là quand il le lira. Enfin, bon, je dis ça, mais il n’y a rien d’intime dans ces mails. Je lui ai écrit que je « racontais ma vie », mais bon… ! En fait, je lui raconte mes journées, en gros. J’aime vraiment bien ce type. Pourtant, c’est vrai, et je l’ai déjà dit ici, que je ne le connais pas bien, vu qu’il n’est pas du genre causant. Mais voilà.

Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no2 (Angoisse du doute, malaise de la certitude, 15 juillet 2004 – 17 janvier 2005), j’ai seize ans.

Jeudi 15 juillet 2004

Je m’apprêtais à écrire et je m’aperçois qu’il n’y a plus qu’une page dans ce carnet. Alors, je vais en commencer un autre. Déjà un carnet plein ! Si je continue à ce rythme, je vais vite en avoir pas mal, des petits carnets. Ça me fera de la lecture pour mes vieux jours, ha ha ! Allez, zou. J’arrête celui-ci. Et j’écris la date de fin sur la première page.


Et voilà : je commence mon deuxième carnet. Celui-ci, je l’ai eu avant l’autre (le premier). J’ai donc écrit d’abord dans le plus récent. Celui-ci est un cadeau de F* d’il y a longtemps, quand j’étais petit… Pour un Noël peut-être (oui, ça ne peut être que ça). Dedans, il y avait une enveloppe sur laquelle était écrit « Pour nous écrire de belles histoires… » Tu parles ! Le carnet est resté vierge pendant des années ! À l’origine, il y a dû avoir un petit billet dans cette enveloppe… Toujours est-il que la première page était déjà remplie, parce que j’avais entrepris de redessiner ici, en 2000, une BD faite l’année précédente dans un cahier. Je n’ai jamais été plus loin que la première page. Il y a cinq minutes, je l’ai retirée (hop, un petit coup de cutter !) pour que le carnet redevienne vierge.

Il n’y a pas de lignes dans ce carnet. J’ai tracé des lignes sur un papier que je glisse derrière ma page, et je les suis par transparence pour écrire droit. À la papeterie de l’Univers du livre, j’ai cherché un carnet ligné, mais j’ai pas trouvé. Soit ce sont des carnets genre « journal intime de fille gnangnan » avec des fleurs ; soit des carnets rigolos avec des dessins ; soit (et ça se rapproche alors de lui dans lequel je suis en train d’écrire) des carnets avec une belle couverture, et ça coûte alors les yeux de la tête.

Parce que j’ai été à Saint-Germain aujourd’hui, oui. Je me suis acheté La vie mode d’emploi, le « romans » de Georges Perec (encore lui). Ça a l’air diabolique, encore, comme bouquin. Mais j’en parlerai quand je l’aurai lu. J’ai commandé Cercle vicieux, une BD de Lécroart en palindrome. J’ai hâte de voir ça… (Je voulais commander, une fois de plus, J’existe, je me suis rencontré, mais je crois que c’est foutu, il est toujours indisponible. Pour toujours ?)

En ce moment, je lis Les Ritals de Cavanna, piqué sur l’étagère de l’entrée et, en parallèle, les nouvelles des Fourmis de Vian, qui vient de la même étagère. Juline m’a emprunté 1984, je ne sais pas si elle va le lire jusqu’au bout, mais ce serait bien, parce que vraiment c’est un chef d’œuvre.

J’avais dit ici ce que je pensais du roman de R*. Eh bien, je lui en ai parlé et je suis content de savoir qu’il est en train d’écrire une suite. Je ne sais pas quand il aura fini. Il ne le sait pas lui-même. Il écrit à son rythme, quand il en a le temps. (Au fait : il s’agit bien d’un roman, pas d’une autobiographie ! Ouf ! Seuls le cadre et quelques personnages sont authentiques).

Samedi soir, on a donc été chez R* et M*. Il y avait également G* et son petit N*. J’adore voir les tout petits bébés mignons. Je comprends qu’on puisse devenir gâteux et gnangnan. Mais c’est chiant, aussi. Ça pleure tout le temps. À la fin (mais très rapidement), nous avons vu T*, le mari de G*. Enfin, son futur. Ils vont se marier en mai 2005 (le 21, il me semble). C’est prévu très en avance ! et on est invités.

R* a mis en ligne son nouveau site. À cette occasion, on s’est échangés quelques mails pendant le weekend. Je lui ai envoyé un Torink dessiné à la palette graphique, qui voit le Piaf sortir de son écran, alors il m’a dessiné Torink entouré de ses personnages à lui. Son dessin est super.

À propos de mail : j’ai écrit à Mme L*, ma prof de français, pour lui dire mes notes du bac. Et à la prof de SVT, pareil, mais ça ne marche pas. L’adresse doit être mauvaise.

Puis, j’ai écrit à M. H*. Une vraie lettre, avec un timbre. Je ne sais pas si j’ai déjà parlé de lui ici. C’était mon prof de musique au collège, un type incroyable. Un vrai artiste déjanté. Un peu bizarre (très). Plein d’idées tout le temps. Je l’aimais bien, et lui aussi m’aimait bien. L’an dernier, je l’ai vu au collège, deux fois : on était venus avec Benoît, lors du Téléthon, puis à la fin de l’année juste pour faire un petit bonjour. Mais cette année, rien. Je ne l’ai donc pas vu depuis un an, alors je lui écris pour lui montrer que je ne l’oublie pas. Je pense que ça lui fera plaisir. À part lui, j’ai gardé contact avec Mme J*, ma prof d’histoire-géo. On se maile de temps en temps.

Hier, c’était le 14-Juillet. À 11 heures à la mairie, il y avait une ch’tite cérémonie pour les nouveaux bacheliers. Juline a reçu son chèque-cadeau de quarante-six euros. C’est bien, de faire ça. Peut-être la seule bonne chose que fait le maire, ha ha.

Tout à l’heure à Saint-Germain, un jeune m’a arrêté dans la rue. Il vendait des cartes postales pour aider des gamins à partir en vacances. Je n’aime pas ça. Je n’ai rien donné, parce que je n’ai pas assez d’argent pour ça. D’un autre côté, je me dis que je suis radin. Le plus souvent, quand je vois des gens comme ça, je les évite, pour ne pas culpabiliser ensuite. C’est vrai, quoi ! Ce n’est pas à moi de donner. Nous aussi, on a du mal à partir en vacances. C’est aux riches de donner.

Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no2 (Angoisse du doute, malaise de la certitude, 15 juillet 2004 – 17 janvier 2005), j’ai seize ans.

Samedi 10 juillet 2004

J’ai été jeudi soir au cinéma Louis-Jouvet de Chatou, avec S* et Marion, sa copine du karaté que je ne connaissais pas, pour voir Fahrenheit 9/11 de Michael Moore. On se prend ce film en pleine figure. On rit beaucoup, bien sûr, mais on rit jaune. On rit des conneries de Bush, le maître du monde, mais c’est terrifiant de voir qu’un type pareil a autant de pouvoir. Moore nous démontre ce qu’on savait déjà, c’est-à-dire que c’est un sale type, un terrifiant magouilleur. Tout son pouvoir est fondé sur le fric. On découvre les liens entre le clan Bush et le clan Ben Laden, et ça fait froid dans le dos. Et puis, il entreprend de nous expliquer ce qui pousse des pauvres bougres, comme ceux qu’on voit à la télé, à risquer leur vie en Irak. Ils ont dix-huit ou dix-neuf ans et voient dans l’armée le seul moyen de sortir de leur misère. À quel prix ? La salle était pleine, les gens ont applaudi à la fin du film. J’espère qu’il sera utile et que cette crapule ne sera pas réélue.

Mercredi 7, c’était le résultat des épreuves anticipées du bac. Pour les consulter sur Internet, il fallait payer, alors j’ai été sur le Minitel. Bien sûr, c’est très cher aussi. Et donc : mes notes. Je suis un peu déçu, sauf de l’oral de français : 17. Je trouve qu’une bonne note à l’oral est plus gratifiante qu’à l’écrit, parce que c’est vraiment moi qu’on a noté. À l’écrit, je n’ai eu que 13. Comme je l’ai déjà écrit ici, c’est vrai que mon devoir était bancal, je ne méritais pas plus, mais je suis déçu quand même. Je suis surtout déçu par les SVT : 13 aussi. Pourtant, j’ai trouvé ça si facile ! Moi qui ai toujours 17 en classe. En plus, d’après le corrigé trouvé sur Internet, j’avais écrit tout ce qu’il fallait. Je ne comprends pas, mais tant pis. S* a eu, dans le même ordre : 18, 11 et 15.

Lundi, mardi et mercredi, je suis resté enfermé à la maison et j’ai bossé comme un fou. N’allez pas croire que j’ai bossé, dans le sens : bosser. Non, non, non. Lundi après-midi, j’ai eu envie de me lancer dans une nouvelle BD. Je me suis dit que ce serait une BD au dessin rapide et au scénario un peu délirant, qui ferait beaucoup de pages. Je voulais qu’elle soit improvisée. Alors, j’ai commencé. J’ai pris une feuille A4 toute bête, j’ai tracé douze cases (quatre bandes de trois). Mon personnage se lève, prend son petit déjeuner, se lave, s’habille, sort de chez lui pour aller bosser… Que pourrais-je bien lui faire faire ?… Et puis, j’ai trouvé toutes mes idées. J’ai dessiné les quatre premières planches cet après-midi-là, puis six le lendemain et six mercredi. Soit seize planches abattues en trois jours ! Je suis fier de moi. Cette BD me fait marrer quand je la lis. Le résultat, c’est : Une journée dans la vie d’Anatole Lebrun : La rencontre avec Jean-Pierre.

Ce soir, on va chez R* et M*, je leur en donnerai un exemplaire. J’ai fait une couverture en couleurs (merci Photoshop) avec une feuille A3 pliée, et je glisse dedans les huit pages recto-verso.

J’ai lu son roman, à R*. Samedi, ils ont appelé pour nous inviter, et ça m’est revenu : « Zut, je n’ai pas lu son bouquin ! » Et je m’y suis mis. Mais je n’ai pas eu besoin de me forcer : j’ai adoré ! Il est passionnant. C’est très bien écrit – même s’il y a quelques fautes d’orthographe, mais ce n’est pas grave. Les personnages sont tous attachants et, preuve que c’est bien écrit, on les comprend, on s’identifie. On ne les juge pas, malgré ce qu’ils font. Et l’histoire est terrible : il s’en passe, des choses. Et la construction est originale : le personnage principal est dans le coma et on assiste à un dialogue avec son esprit. Il est entre la vie et la mort, il tente de se remémorer sa vie pour y retourner. Ce dialogue introduit et conclue chaque chapitre. Les chapitres relatent une semaine d’avril 56, dans la banlieue est de Paris, dans le quotidien de misère d’une bande de potes. Mais… à propos de ces événements… il y a quelque chose qui m’intrigue. Ce roman est censé être autobiographique. R* aurait vraiment vécu tout ça ? C’est sûrement un peu romancé, mais tout de même : les événements sont là. Sont-ils vrais ? Ça va très loin : il a des meurtres, à la fin ! Il faudra que je le lui demande. Mais, apparemment, il n’aime pas du tout qu’on lui parle de ce qu’il écrit.


Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no1 (« Journal, 14 août 2003 – 15 juillet 2004 »), j’ai quinze et seize ans.

Dimanche 4 juillet 2004

Grande nouvelle : Juline a eu son bac ! C’est génial ! Presque un miracle. Elle l’a eu de justesse (10,48 sur 20), mais c’est pas grave, l’important c’est qu’elle l’ait eu. Bravo !

On a eu les résultats vendredi. Juline travaillait chez Axa, donc c’est ses copines qui ont été voir pour elle et qui lui ont téléphoné. Le soir, elle a été voir quand même, parce qu’il fallait qu’elle récupère son dossier et son relevé de notes. C’est super. Maintenant, elle va aller à la fac, faire des arts plastiques. C’est à Saint-Denis : c’est pas la porte à côté, mais il n’y avait pas plus pratique. Ce qui est bien, c’est que, pour elle, la rentrée est en octobre. Elle a encore trois mois de vacances.

Je crois que je n’aurai mes notes du bac que mercredi, moi, sur Internet. Sinon, il faut attendre de les recevoir par la poste, vers le 14 juillet.

Comme elle a eu son bac, Juline va recevoir un chèque-cadeau de quarante-six euros de la part de la Ville, pendant la cérémonie du 14-Juillet, avec tous les bacheliers alpicois de l’année. Pour une fois, rien à dire : la mairie a eu une bonne idée. Ça motive pour avoir son bac : rien de tel que l’argent.

Il est 11 heures, maman est partie chercher Juline chez sa copine C*, où elle a passé la nuit avec deux autres copines : C* et C*, je crois (à moins qu’il n’y ait L* ?). Elles ont fêté leur bac ! Maman leur a acheté à chacune une grosse sucette en forme de lapin, souris, etc., faite avec des gros bonbons. C’est exactement leur genre : elles sont du genre à adorer Winnie l’ourson ou Nemo et à aller à Disneyland.

Maman a trouvé ces sucettes à Saint-Germain hier, on y était ensemble. J’ai acheté le nouveau Lapinot : La vie comme elle vient. Je l’ai lu immédiatement en rentrant. Quand j’ai fini, j’étais tout retourné. C’est très fort, cet album. L’émotion. Je n’avais encore jamais vu ça dans Lapinot. Cet album est très drôle par moments, mais aussi très triste. Il est bien construit (on suit plusieurs personnages à la fois), il y a même du suspense. La fin m’a bouleversé. Franchement. Lapinot est mort. Je ne m’y attendais vraiment pas.

Jeudi 1er juillet : Pif ressort. Le mythique Pif Gadget. Je me précipite chez mon marchand de journaux : il ne l’a pas encore reçu. Je vais en voir un autre : pareil. Bon, je reviens le lendemain, et : « Je n’en ai plus. » Alors, vite, je vais chez l’autre : « J’ai été dévalisé. » Où vais-je pouvoir le trouver ? Ce n’est pas étonnant qu’ils soient déjà en rupture de stock, des milliers de fans ont dû se l’arracher. Je vais à la grande Maison de la presse du Vésinet : ils en ont encore une pile. Sauvé ! J’en aurai fait, des kilomètres. Le canard a l’air sympa, même si c’est plutôt pour les gamins. Par contre, je ne sais pas trop quoi faire du gadget. Ce sont des « pifises », c’est-à-dire des Artemias : des bébêtes en sachet, qu’on élève dans l’eau. L’aquarium en plastique est fourni, la nourriture aussi.

À la bibliothèque, j’ai pris L’année de l’éveil de Charles Juliet, l’auteur de Lambeaux qu’on a lu pour le cours de français. C’est encore autobiographique. S* a lu L’inattendu, un autre de ses livres, qu’elle a trouvé très bien.


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Lundi 28 juin 2004

Presque juillet. Finalement, le mois de juin n’était pas si long.

Aujourd’hui, j’ai appelé Benoît. Ça faisait longtemps qu’on ne s’était pas vus et je savais qu’il partait bientôt en vacances, j’aurais bien aimé qu’on se voit avant. Zut ! Quand je l’ai appelé, il allait sortir de chez lui pour passer son oral de français. C’est vrai qu’il est en S, lui… Moi, ça fait longtemps que j’ai passé mon oral. Enfin, bref, on a causé dix minutes. Il m’a dit que ce serait difficile qu’on se voit avant son départ, vendredi… Tant pis.

B*, lui, c’est pareil : il ne va pas tarder à partir. Mais, de toute façon, on ne s’est jamais vus pendant les vacances. En fait, on s’est juste causés de temps en temps sur Internet. D’ailleurs, je lui ai demandé qu’il m’écrive une carte postale… Il m’a répondu : « Ouh là là, surtout pas ! Si tu es un ami, ne me demande pas une chose pareille ! » Il a horreur d’écrire. C’est pas étonnant. Déjà qu’il n’est pas très causant… Par contre, j’ai bien apprécié le mot « ami » dans sa phrase. C’est tout à fait anodin, ça n’a l’air de rien, mais ça veut bien dire quelque chose…

S* part vers le 14 juillet. Alors, d’ici là, j’imagine qu’on va se voir. On fait souvent des choses ensemble, c’est bien. Hier, on s’est fait un cinoche : Le rôle de sa vie. J’avais envie de le voir, et c’est elle qui me l’a proposé : nos goûts se rejoignent. J’ai bien aimé. Ce weekend, S* va à un mariage dans sa famille. C’est un mariage, genre, tous les mecs en pingouins, et chapeau obligatoire pour les dames ! Plein d’invités et pas n’importe qui : énarques, généraux et duchesses. Le dernier endroit où j’aurais envie de mettre les pieds. Même elle, elle n’en a pas envie plus que ça.

Je m’aperçois que je suis en train de faire une revue de mes amis ou copains. Ce n’était pas voulu, mais on peut continuer, pourquoi pas. W* part aussi, dès cette semaine. Il faut que je demande son adresse à S*, je lui écrirai quand je serai parti. M* : tiens, à elle aussi, je pense que j’écrirai. J’ai déjà son adresse. J’ai croisé M* à la Défense vendredi dernier. Si ça se trouve, je l’ai déjà dit, alors vous allez penser que c’est super important, mais non, pourtant. Si j’écris autant de détails peu importants (j’allais dire « insignifiants », mais ça n’est pas sympa), c’est parce que ça m’occupe. Je l’ai croisée, elle était avec son copain. Elle dit : son « mec ». Je n’aime pas trop cette expression, mais elle a l’avantage d’être moins ambiguë que « copain ».

J’aime bien écrire aux copains pendant les vacances. Ça a plein d’avantages. Un : ça occupe. Deux : ça fait plaisir à ceux qui reçoivent le courrier. Trois : ça me fait plaisir à moi qui aime écrire et dessiner. Quatre : je recevrai sûrement une carte en retour. Par contre, je préfère souvent écrire une lettre qu’une carte postale. Sur une carte, il n’y a pas assez de place, alors j’écris des conneries du genre : « Il fait beau, je m’éclate, à bientôt. » En revanche, sur une feuille de papier blanc, j’ai toute la place que je veux, j’écris ce que je veux.

Hier, j’ai fini L’herbe rouge de Boris Vian, et les trois nouvelles qui suivent. C’est… comment dire ? J’aurais voulu trouver un mot pour dire ce que je pense des bouquins de Boris Vian (j’ai déjà lu L’écume des jours et L’arrache-cœur ; et un Vernon Sullivan, J’irai cracher sur vos tombes, mais c’est très différent). Je préfère ne rien dire, plutôt qu’une banalité, genre « génial » ou « formidable ».

Aujourd’hui, j’ai lu Marius d’une traite, et commencé Fanny. Pagnol. C’est toujours aussi… (je ne dis rien, encore une fois). Rien que pour l’ambiance, j’adore. Je le lis dans ma tête, avec l’accent. J’ai vu qu’ils repassaient Marius, Fanny et César à la télé la semaine prochaine. J’ai déjà vu La fille du puisatier.


Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no1 (« Journal, 14 août 2003 – 15 juillet 2004 »), j’ai quinze et seize ans.