Gros coup de blues. Envie de rien. Envie de pleurer. Me trouve nul. Ne sais pas quoi faire, ni comment. Ai envie de parler à quelqu’un. Ne sais pas à qui. Sais que je ne le ferai pas, de toute façon. Vais pas déranger quelqu’un pour ça.
Ai envie de connaître Florian. D’être ami avec lui. Me trouve stupide, car je sais que je n’y arriverai pas. Les cours sont terminés dans quinze jours : je ne le verrai plus jamais. Faut que je me dépêche. Or, j’y pense depuis plusieurs mois et ce n’est toujours pas fait. Suis lent. Ne me comprends pas moi-même.
Voudrais écrire ce que je ressens. N’y arrive pas. Trouve tout ça vain. Suis admiratif et rageur quand je lis une belle phrase dans un roman. Aimerais savoir écrire juste. Exprimer mes émotions. Suis jaloux des dessins de Neaud (par exemple). Voudrais être aussi juste. Voudrais être aussi talentueux.
Tout est vain.
Envie de me laisser aller. Envie de me coucher. Envie d’être demain. Envie d’attendre un siècle dans mon lit. Envie de tout et de rien. Envie de pleurer.
Surtout, envie d’arrêter cette déprime stupide. Envie d’arrêter de me lamenter.
Envie de me laisser aller, mais ne le veux pas. Ne veux pas inquiéter maman. Ne veux pas me complaire là-dedans. Envie d’être fort, d’être capable de me prendre en main. D’être capable de me raisonner. De surmonter mes états d’âme ridicules.
Le coup de blues classique du frustré romantique. Le prince charmant ne viendra pas, ne rêve pas.
Le coup de blues de celui qui sait qu’il ne sait rien de la vie. De l’étranger qui voudrait connaître ce pays-là. Qui désire très fort y entrer. Mais qui ne fait rien pour ça.
Jamais sur moi ne se sont posés des yeux amoureux. On ne m’a jamais regardé avec désir. Pourquoi ? Je n’ai que dix-sept ans. C’est très peu. Je l’oublie souvent. J’ai encore tout à attendre de la vie. Je ne dois pas être pressé.
Un coup de blues imprévu. J’allais bien, aujourd’hui. J’allais bien depuis dix jours. J’étais même su un petit nuage. Un beau petit nuage. Qui est monté de plus en plus haut. Mardi, d’abord, quand je me suis débarrassé de ce concours. Vendredi ensuite, grâce à Florian.
Ce matin, B*. Il est venu me saluer. Rien que ça, ça m’émeut. Quand je le vois dans le couloir, un peu plus loin, avec les autres, et qu’il les quitte pour venir me voir ! Pour échanger juste deux mots avec moi avant de repartir en cours… Son sourire… Ses yeux… tout. (À l’interclasse, il reste en t-shirt, comme ça, il n’a pas son blouson…) J’aime son corps. J’aime son visage, son sourire, tout. J’aime le regarder. Quand je sais que je vais sûrement le voir, à telle heure, je l’attends et le redoute en même temps. Ça me fait autant de bien que de mal. Puis, quand il est parti, il est encore dans ma tête. Souvent, je serre très fort les poings, ou autre chose, n’importe quoi. J’ai besoin de reporter mon émotion sur quelque chose. M’en remettre. Je suis fou, je suis ridicule. Je suis normal, au fond, peut-être.
Je n’arrive pas à faire la part des choses, entre le plaisir et la douleur qu’il m’apporte en un seul regard. Entre le bonheur et le désespoir quand je pense à lui.
Bon. J’arrête. Je deviens excessif. J’emploie des mots qui ne devraient pas être employés. On n’est pas dans une tragédie grecque ! Je suis juste un adolescent comme tant d’autres, qui est amoureux pour la première fois d’un ami du lycée, qui se met dans des états pas possibles en imaginant qu’il vit quelque chose d’exceptionnel. C’est juste une banale histoire de sentiments contrariés. L’histoire d’un type qui rêve de quelque chose d’impossible. Et puis, non : qui n’en rêve même pas. Il sait tellement que c’est impossible qu’il ne se permet même pas d’en rêver.
Et bla bla bla. Voilà qu’il se remet à tartiner son journal de sentiments dégoulinants. Arrête de te répandre !
Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no4 (À la découverte de la vie normale, 13 avril – 6 juin 2005), j’ai dix-sept ans.
Continue de te répandre… c’est comme ça que tu construis le talent d’écrire “les phrases justes”, les mots d’émotions, dont tes lecteurs se délecteront.
On a envie de le prendre dans ses bras pour le rassurer, ce grand gamin…
Ben zut
me rend compte que j’ai quinze ans de retard
en matière d’état émotionnel.
(Plus redite d’Eric)
Et moi, je n’ai pas tellement changé, en quinze ans ! :)