Vendredi, j’ai été à la bibliothèque du Vésinet pour me promener. Aérer mes neurones. Les pauvres, ils n’étaient pas sortis depuis deux jours.
Arf. J’écris mal, ce matin. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai la main qui tremble.
À la bibliothèque, j’ai rencontré Camille. Puis Arthur. Alors on a traîné un peu, on a passé du temps ensemble. On a parlé bouquins, avec Camille. Je n’ai rien emprunté. Ça m’a sorti, c’est tout.
J’ai dessiné. La onzième et dernière planche d’Ours du soir, espoir.
J’ai fini Moins que zéro. C’est terrible. De plus en plus sordide. Et toujours raconté sur le même ton neutre, dérangeant. Le narrateur est assez malsain, et on entre dans sa peau. Ils sont tous complètement décadents et d’une lucidité effrayante. C’est impressionnant : un petit roman qui n’a l’air de rien, mais très puissant. Et l’auteur l’a écrit à vingt ans.
J’ai commencé Retombées de sombrero de Richard Brautigan, terminé hier soir. De lui, j’avais lu Un privé à Babylone qui m’avait fait bien rire. Dans Retombées de sombrero, il ne se passe pas grand chose, mais pourtant ça tient éveillé. Deux récits sont menés en parallèle : l’histoire de l’auteur qui se retrouve seul chez lui, un soir, après que sa femme l’a quitté ; et l’histoire d’un début de roman déchiré dans sa corbeille à papier, qui choisit de poursuivre sa vie seul. Ça donne un récit complètement loufoque qui tourne au massacre. Alterné avec la tristesse de l’auteur, seul chez lui.
Ça m’a donné envie d’écrire ! Les phrases courtes, simples, et d’une puissance implacable de Bret Easton Ellis. Et les digressions loufoques, alliées à ce principe d’alternance des deux récits, chez Brautigan. Tout ceci est très réjouissant. Alors, j’ai commencé un roman, ou une nouvelle, je ne sais pas. Ça fera sans doute une cinquantaine de pages.
C’est un récit qui alterne, dans ses chapitres, trois histoires : on suit trois personnages différents. Lucien, un type normal qui va acheter son pain à la boulangerie. John, le maître du monde, désespéré car sa femme l’a largué. Et Vladimir, un cosmonaute en mission sur ISS. Tout se passe simultanément, en une heure. Et à la fin de l’histoire, paf : la fin du monde. Le lecteur le sait dès le début. D’où : suspense. On pense que c’est John, le maître du monde, qui va déclencher sa fin, parce qu’il l’a décidé et qu’il a tout préparé. Mais au dernier moment, surprise ! Ça n’arrive pas comme il l’avait prévu.
Attention, je ne me prends pas au sérieux quand j’écris ça. Je sais que c’est bourré de maladresses. Je m’en fous : je l’écris juste pour rigoler. Ça fera vingt-huit chapitres, normalement. J’ai écrit le huitième ce matin (ce sont des chapitres très courts).
Dans deux jours, c’est ce fichu concours. Ça me fait peur. J’hésite entre deux attitudes. Soit j’évite d’y penser, j’essaie d’être cool, zen. Le risque, c’est de me préparer au dernier moment et d’aller à la catastrophe. Soit j’y pense : et donc, je me prépare. Et j’angoisse. Et je culpabilise de ne pas m’être assez préparé (c’est très vrai et très con). Et donc, je risque de passer deux jours infernaux de stress, et de ne pas en dormir la nuit.
Au fait, j’ai été à la boulangerie hier : elle a rouvert. La boulangère habituelle était là. Ce n’est donc pas elle qui est morte.
Qu’ai-je fait d’autre ces derniers jours ? En vrac. J’ai appelé Club Internet parce que je ne pouvais plus me connecter depuis deux jours. J’ai vu Les triplettes de Belleville, j’ai trouvé ça très drôle et les dessins superbes. J’ai trié mes cours de maths parce que ça s’accumulait dans mon classeur et c’était bordélique. J’ai zappé un ou deux chapitres du Journal d’un inconnu de Cocteau parce que ça m’ennuyait (mais le reste, j’ai aimé). J’ai vu aussi le film Brodeuses. J’ai cassé le tuyau de l’aspirateur et l’ai réparé avec du gros scotch. J’ai lavé les carreaux de ma chambre qui en avaient bien besoin. J’ai fait des tas de trucs insignifiants, pensé à des tas de choses sans importance, et cette liste en est un bon résumé.
Au fait : « Ne pas se raser les antennes », ça doit vouloir dire : ne pas abolir son sens critique, sa perception, sa faculté de juger. Parce que les antennes sont des organes sensitifs, sensoriels. Indispensables pour se repérer, se diriger, comprendre. Il ne faut pas les raser, pour ne pas être un légume passif.
Je ne me sens pas très bien aujourd’hui. Ces derniers jours, j’avais un bon moral, mais là je suis bizarre. Pas à l’aise. Un peu inquiet. Pas la conscience tranquille. Je ne me sens pas prêt. C’est la rentrée demain, et ça me semble irréel. Je ne veux pas être déprimé ou angoissé. J’ai peur.
Je ne veux pas être trop insouciant, parce que j’ai ce concours. Et le bac. Je n’ai presque pas travaillé pendant les vacances. Je n’ai pas envie de travailler. Je n’ai pas envie de grand chose.
Si : j’ai des tas d’envies. De dessin. D’écriture. De BD. Je suis comme un fou quand je me lance dans une idée. Et ensuite, quand je me pose, je trouve ça tellement dérisoire… voire pathétique. Le pauvre type, seul, qui s’emmerde, qui n’a pas d’amis à voir, qui est triste, et qui se réfugie dans ses BD. Pour s’occuper. Pour rêver. Pour ne plus penser aux choses désagréables. Pour se couper du monde.
Encore un truc. Je pensais intituler mon roman / nouvelle / récit (choisissez le meilleur terme) : Une heure avant la fin du monde. Je vois que ce titre est déjà pris. Il y a un mec qui a appelé son bouquin comme ça. À chaque fois (pour mes BD aussi), je vérifie en tapant le titre dans Google. Là, ce bouquin existe. Ça me gêne. Mais je ne me laisse pas démonter : je vais l’intituler Dans une heure la fin du monde ou Dans moins d’une heure la fin du monde, et ce sera même mieux. Mon titre sera meilleur que celui de l’autre mec (qui est sûrement très talentueux par ailleurs).
Plus tard
Ça y est, Ours du soir, espoir est terminé. J’ai dessiné la dernière planche et la couverture. C’est bête, mais je ne suis pas pressé de le montrer à maman. Au contraire. J’appréhende un peu. C’est bête, hein. À cause des trois dernières planches. Celles où Anatole dit qu’il est pédé.
Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no4 (À la découverte de la vie normale, 13 avril – 6 juin 2005), j’ai dix-sept ans.