Il y a eu cette rencontre surréaliste, à Versailles. La veille au soir, l’armée entrait dans Paris par la porte du Point-du-Jour ; l’artillerie pilonnait les positions des Parisiens qui, après avoir résisté plusieurs mois au siège par les Prussiens, allaient se faire massacrer par leur gouvernement même. Le lundi matin, les troupes envoyées par Adolphe Thiers avaient déjà reconquis dans le sang les quartiers ouest. À 10 heures, le même Adolphe Thiers recevait une délégation de conseillers municipaux venus de Montauban pour lui présenter leurs hommages. J’en parlais ici.
Une semaine plus tard, le lundi 29 mai à sept heures du soir, alors que les corps des derniers Communards viennent d’être jetés dans une fosse à Vincennes, le conseil municipal de Montauban écoute le rapport de ce M. Lacroix, de retour de son voyage. Il est encore tout ému d’avoir posé ses fesses sur le « petit canapé de maroquin vert » du président du Conseil qui a bien voulu s’entretenir avec lui, « avec bonhomie ».

Mais qui est donc ce M. Lacroix ? Est-il un monstre de cynisme ? Est-il un grand naïf ? Un Candide ?
Jules Lacroix est pharmacien. Il a quarante-six ans, il est né sous les prénom et nom de Joseph Milliès. Je n’ai pas compris pourquoi il était devenu Milliès-Lacroix : c’est un homme qui brouille les pistes. Il habite au-dessus de son officine de la Grande Rue Villebourbon, avec son épouse Marie et leurs trois enfants, ainsi que deux bonnes : Maria et Mariette. Marie, Maria, Mariette : en voilà un drôle de trio. Jules Millès-Lacroix est chimiste, puisqu’il est pharmacien. Pour son plaisir, il s’intéresse à une histoire de phosphate de chaux trouvés à Caylus : je n’ai rien compris à cette affaire, mais lui, il avait l’air de savoir ce que c’était. Le truc qui m’intrigue chez cet homme, c’est qu’il écrivait aussi des vers. Plusieurs plaquettes de poésie, éditées à Montauban, sont dans le fond de la bibliothèque patrimoniale. En 1888, il a publié : Un vieux garçon : Souvenirs de Montauban il y a cinquante ans (monologue en vers), un in-octavo de quinze pages (dixit le catalogue de la BNF). Puis il s’est éteint, paisiblement, dix ans après l’amnistie de ces insurgés que l’homme au petit canapé de maroquin vert avait déportés en Nouvelle-Calédonie, « avec bonhomie » sans doute.

J’ai pris son officine en photo, hier, lors de cette promenade dont il était question sur mon blog, et dont j’ai discuté sur CFM Radio, cet après-midi, avec Rémy Torroella.
Je pose ici ma lecture d’hier.
Quant à celle de ce matin, il s’agit d’une histoire inspirée de faits réels : dans ma jeunesse, les adolescents allaient au lycée et, après la classe, ils s’adressaient la parole à une distance inférieure au mètre. C’était l’occasion d’éprouver des émotions qu’on garde intactes toute sa vie, je vous l’assure.
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