Le droit d’un arbre

La nature reprend ses droits. Il paraît que des gens sont tentés de dire cela, à cause des canards qui se promènent dans les rues de Paris, des dauphins qui nagent à Venise et des coyotes qui ont pris possession de San Francisco. Est-ce que le droit de ces animaux serait donc de jouir en toute liberté des abribus de la RATP, des avenues qui se croisent à angle droit, et d’un canal bordé de palazzi baroques ? Et moi qui croyais que les villes étaient faites pour que les hommes et les femmes y habitent.

La nature ne reprend pas ses droits, et nous perdons les nôtres. On avait cru possible d’inventer sa propre façon de vivre avec ceux qu’on aimait : se libérer du mariage et de la famille, vivre chez l’un ou chez l’autre, se voir dans les moments où l’on croyait bon de le faire. Mais soudain, il faut choisir son camp : se séparer ou rester enfermés ensemble. Retour du domicile conjugal. Hors de la famille, plus de salut.

Autrefois, les hommes et les femmes sortaient de leur appartement ou de leur maison : ils allaient au café. Ils y donnaient rendez-vous aux personnes qu’ils avaient envie de voir, mais qu’ils n’aimaient pas suffisamment pour les inviter dans leur intimité. D’autres habitaient ensemble, et sortaient ensemble : ils préféraient aller au café, pour changer, ou parce que chez eux c’était petit. D’autres encore n’avaient rendez-vous avec personne, mais ils venaient quand même : ils assistaient à la vie des autres. Depuis que les cafés n’existent plus, des arbres ont poussé dedans, leurs branches ont crevé le toit. La nature a repris ses droits. Est-ce que le droit d’un arbre, c’est de pousser entre quatre murs ?

Dans la nature sauvage, autrefois, un homme ou une femme seule marchait dans les herbes hautes ou sur les cailloux, et contemplait l’horizon, loin de la ville, loin des porteurs sains et des sujets à risque. Soudain, un hélicoptère se posa : quelqu’un en sortit et demanda à cet homme, à cette femme (très fort, pour couvrir le bruit du moteur) son attestation dérogatoire. Naturellement, il était sorti depuis plus d’une heure ; naturellement, elle habitait à plus d’un kilomètre. Naturellement. Cette personne ignorait que la montagne devait rester vierge, que les gens devaient rester chez eux, et que les abribus de la RATP étaient conçus pour les canards.

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