Comme si ce n’était pas grave

Je fais le bilan de mes interactions sociales in real life aujourd’hui : deux êtres humains.

Premier être humain. Ça commençait bien : un monsieur un peu enrobé qui promène son clébard avec nonchalance. Le genre qu’on croit sympathique. Arrivé à quelques pas de moi : « Je suis obligé de descendre sur la route à cause de vous, parce que vous êtes au milieu du trottoir. » Je ne comprends pas. Je me dis que c’est une plaisanterie qui m’échappe, alors je souris bêtement. « Pour respecter les distances de sécurité, je suis obligé d’aller sur la route, et c’est dangereux, à cause de vous. » Je dois lui adresser un air encore plus bête (dans cette rue ne doivent pas circuler plus de deux voitures par heure), puisqu’il termine par : « Comme s’il ne se passait rien ! Comme si c’était pas grave ! Allez, dégage. »

Deuxième être humain. À la boulangerie, je demande une chocolatine, pour raviver ma bonne humeur qui vient d’être émoussée. Le boulanger : « On n’en a plus. » Puis il se ravise : « Ah, si. Mais elles sont pas belles, elles sont un peu loupées. Je veux bien vous en compter une, mais je vous en donne trois. » Je remercie avec tout l’enthousiasme dont je suis capable. Je m’exprime avec le cœur, puisque ma tête est encore occupée par le « Allez, dégage » qui résonne dedans. Et je regarde les chocolatines : elles ne sont pas si loupées que ça. J’en mange une, puis deux. Je garde la troisième pour demain matin. C’est vrai qu’elles ont une drôle de tête, mais je veux bien faire comme si ce n’était pas grave.

Je les mange en marchant, au bord du Tarn. Les promeneurs qui passent en sens inverse font un pas de côté à mon approche, et moi aussi, symétriquement. Avec quelle rapidité s’acquièrent les réflexes les plus aberrants : ce que cette épidémie fait de nous. Comme si ce n’était pas grave !

Je lis ici un extrait des Présents, mon roman qui paraîtra bientôt chez Publie.net. Je le lis avec cœur. Je fais comme si ce n’était pas mon personnage qui s’exprimait, mais moi-même, et que c’était à J.-E. que je m’adressais (c’est mon astuce Actors Studio).

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1 commentaire

  1. Je découvre votre texte ce matin ! Quelle tristesse cette réaction (Allez dégage).
    Moi, ce matin, balade dans mon “périmètre autorisé !” et là, surprise, je me vois offrir deux belles roses délicieusement parfumées par un couple de gentils voisins, entrain d’arroser leurs rosiers.
    Comme quoi …. Il reste des gens sympas, courtois !

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