Ce n’est pas ce qu’on appelle des palpitations, parce que ce n’est pas le cœur que je sens, au fond de ce creux que j’ai dans la poitrine, là où le sternum s’enfonce (je suis sûr que cet os touche mon cœur, mais ça, c’est mon idée à moi). Là, la chose que je sens palpiter, c’est sur le côté droit, alors que mon cœur est comme celui de la plupart des gens : à gauche. Le muscle qui gigote sans raison, très vite, est situé en surface : c’est un de ces muscles rangés entre les côtes, un de ceux qui couvrent l’autre, le plus important, celui qui pompe le sang. N’empêche : un truc pulse fort et vite dans ce creux où les côtes s’enfoncent, et j’aime pas ça.
Dans le métro, j’observe ce garçon très jeune, qui porte un polo à manches courtes. Ses bras sont minces, mais pas maigres. Secs, mais pas trop. Tendres. Le renflement du biceps est bien rond, mais pas gros (surtout pas), il forme une bosse bien nette au-dessus de la saignée du coude qui, elle, est toute fine. Rond, mais pas mou. Fort, mais pas brutal. Joli comme tout. Je pense que le corps d’Adrien, dans le texte qui m’occupe ces jours-ci, devrait être exactement ainsi. Il y a un passage qui me fait hésiter. J’y ai glissé un peu de cette sensualité, qui n’est peut-être pas celle que mon personnage serait capable de voir chez Adrien : je signale le petit os de la cheville, qui dépasse du vêtement. Je me dis maintenant qu’il n’est pas intéressant du tout, cet os-là, pour mon récit. Je vois maintenant à quoi ressemble Adrien, puisqu’il est assis sur ce strapontin dans le métro. Je ne le décrirai pas, dans ce texte, car ce n’est pas du tout mon sujet. Mais je sais maintenant qu’il est blond (je n’y aurais jamais pensé tout seul). Et je vois alors tout son corps en conséquence. Et Jules, mon personnage, est tellement obsédé par la sensation de son souffle, par les battements du cœur… Alors, son attention ne peut pas être captée par l’os de la cheville, c’est absurde. Il peut être ému par la petite tête de la clavicule, en revanche. Cette émergence ronde sous la peau tendre, la clé de voûte de la cage thoracique – ça aurait du sens.
Dans la rue Caumartin, une plaque signale l’immeuble où Stendhal a écrit La chartreuse de Parme en cinquante-deux jours. La frime. On arrive au théâtre : une placette à arcades, que je ne connaissais pas. Ce n’est pas trop mon quartier, ici. Pendant le spectacle, je pense : « ce gars-là, je l’ai déjà vu quelque part », car l’un des artistes sur la scène a une tête qui me revient. Mais, pas moyen de me rappeler quel endroit, quel film, quelle pièce. Quand tout est fini (on applaudit fort, longtemps ; mes mains qui tapent en décalé par rapport au rythme général : ç’a toujours été un problème pour moi, le rythme), je regarde dans le programme : son nom aussi me dit quelque chose. Mais ça ne me dit toujours pas où, quand, comment. Au bar du théâtre, on dit merci à L. de nous avoir invités, et on cause un peu avec M., mais très peu : je suis content de les voir, mais ils sont avec leurs amis et, nous, on est un peu timides. Pour rentrer, on change d’itinéraire. La pluie a cessé. Rue Danielle-Casanova, une plaque signale l’immeuble où Stendhal est mort.
J’ai commencé Temps profond, le journal de Denis Roche que m’a offert F. et dont G. m’a parlé en des mots élogieux. Au début, il écrit : « J’ai décidé que ce serait le prologue de mon livre parce que je crois que commencer un livre c’est comme aller frapper à la porte d’une tombe pour y faire entendre le bruit qu’on fait dehors. »
Frapper, tambouriner, battre. Palpiter.
Il ne fait pas chaud, dans la chambre, mais je baisse quand même le radiateur d’un cran ou de deux. Je dis à J.-E. : « On se fera un câlin, c’est plus écologique que le chauffage électrique ». À nouveau, ce soir, ce muscle qui tressaute, juste dessous mes côtes, ou entre elles, cette pulsation désagréable contre le sternum. Ce n’est pas le cœur, mais quand même.
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