Encore en douceur

C’est le jour, et pourtant je pense à nos nuits : pourquoi me manquent-elles déjà ? Serrer son corps contre le mien, ne plus parler ni penser, s’abandonner. M’abandonne-t-il ? Toujours j’ai aimé marcher dans la ville, parler au café avec lui. Mais déjà il manque la nuit. Elle me manquera. Nous marchons dans la ville, nous parlons au café. Rien n’a changé. Pourtant tout a changé. Tout est comme avant, oui, mais, avant, nous avions la nuit : le versant invisible qui éclairait tout le reste. Et le reste n’est ni sombre, ni terne, et je le sais : de quoi puis-je être déçu, ou frustré ? Je ne suis ni l’un, ni l’autre, heureux comme avec un ami, un peu bizarre pourtant. Lui, il dirait : « flottant ». Tant qu’on flotte, on ne sombre pas : vous voyez, aucun danger. Je vais bien. L’amitié est une bouée. Les amis de mes amis sont mes amis. L’amant de mon amant n’est pas mon amant, puisqu’il est l’amant de mon amant : je veux dire, de l’autre amant. Et la boucle est bouclée. Je ne suis plus au centre du monde ; je ne suis plus le maître du jeu — devant lui, j’ai failli dire : « maître du monde ». Bizarre lapsus, quand je n’ai jamais cherché à contrôler, à dominer ; je voulais que chacun trouve sa place ; j’espérais qu’aucun de nous ne subisse. Je deviens un maillon de la chaîne, une pièce équivalente à chacune dans le grand agencement, non plus ce pivot, cet axe de symétrie que j’étais malgré moi, au début, et pendant ces années où, souvent, je déclarais : « Je préfèrerais ne pas » — être le seul homme — dans ta vie — disais-je à l’un, disais-je à l’autre — dans la sienne, dans la sienne. Les amis de mes amis… Oui, mais mon amant est amoureux et nous ne sommes plus amants. Nous sommes ce que nous avons toujours été : des amis. Des amis qui s’aiment ? Des amis, donc. Mais connaît-on l’odeur de son ami ? De mes autres amis, non. Pas si bien que la sienne. Je penserai à nos nuits, comment ne pas y penser. Mais, me l’entendre dire aussi franchement — car je l’ai bien cherché : « Je t’embrasse comment ? » Et une bise sur la joue droite, et une bise sur la joue gauche. J’aime. J’aime : je ne quitte pas. J’aime qu’on me dise fidèle. Qu’on me reconnaisse cette qualité, que j’ai, que je veux avoir, qu’on me prête quelquefois sans me flatter. Fidèle : je reste. J’espère ne pas m’imposer. Ça ne pouvait pas durer toujours. Je le sais depuis le début. Et les années passent, alors, j’ai beau le savoir, ça devient irréel. Une sorte de présent qui s’éternise. Pourtant, on se le rappelle souvent, pour ne pas tomber de haut le jour où. Qu’il faudrait ajuster encore. Trouver d’autres équilibres. Nous décrétons la fidélité. Soit. Mais alors, si l’on ne se quitte pas, que faire ? Voir notre relation muter encore. Se transformer lentement, et soudain muter, oui, muter, j’utilise ce mot qui fait un peu peur, parce que, oui, on ne va pas se mentir, j’ai beau savoir, j’ai beau accepter, et même désirer tout ce qui se passe, ça me fait un peu peur. C’est la vie que je choisis : rien n’est figé, tout bouge, les désirs cherchent leur cadre. On ne sait pas ce qui se passera ensuite. Une certitude : personne n’en sortira blessé. Ça se passe en douceur, comme ç’a commencé : en douceur, encore en douceur.

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2 commentaires

  1. Bonjour monsieur,
    Puis-je savoir quelles autres ateliers d’écriture vous organisez à Paris prochainement car j’aimerais participer à un des vôtres.
    Merci pour votre réponse.
    Anne

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