C’est le moment du départ. Je suis en voyage et je dois rentrer chez moi. Il y a presque toujours ça, dans mes rêves : je quitte une maison dans laquelle j’ai vécu quelques jours. Et cette maison provisoire, je la vois en détail. Je peux la décrire. Pourtant, elle est différente à chaque fois. Il arrive qu’elle ait la forme d’une des maisons que mon corps, éveillé, a connue. Par exemple, la maison de Goudelancourt. D’autres fois (le plus souvent), c’est un intérieur recomposé à partir de pièces détachées, prélevées n’importe où et assemblées au petit bonheur. Il faut quitter cette maison. Cette nuit, je devais ranger mes affaires dans des valises. Le départ. J’ai raconté ce genre de scénario plusieurs fois. La nuit d’avant, c’était ça aussi. Je n’ai gardé aucune image de la maison que je quittais alors, mais je me souviens du trajet pour rentrer chez moi : je devais prendre un avion et, dans la file d’attente, je parlais italien avec un type (je galérais un peu). Ça aussi, ça m’arrive tout le temps. Non pas l’avion, mais d’essayer de parler italien. Ce n’est pas difficile de comprendre pourquoi : c’est la seule langue que j’ai vraiment cherché à apprendre, à l’époque où je suis parti en voyage à Rome. Là-bas, pendant un mois et pour la première fois, j’avais un appartement pour moi seul. J’étais « chez moi ».
Parfois, je dis « chez moi » à des gens pour désigner l’appartement où je vis. Cinq minutes plus tard, je dis « chez moi » à nouveau, pour parler de cette chambre où je passe la plupart des heures que je ne passe pas chez moi. Alors il faut que j’explique : ce sont deux lieux différents. Dans mes rêves, la question ne se pose pas, car je ne suis jamais dans cet appartement, ni dans cette chambre.
Quand il s’agit de rentrer chez moi, le sujet du rêve est seulement le voyage, ou l’impossibilité du voyage. Le film s’arrête avant que j’atteigne ma destination. Ce n’est la source d’aucune frustration, ni d’inquiétude : simplement, ce n’est pas le sujet du film. Il arrive toutefois qu’un espace intérieur, dans le rêve, s’appelle « chez moi ». Dans ce cas, ces scènes sont tournées dans cet unique décor : l’appartement du Pecq où j’ai grandi. Toujours. On ne ressort jamais le décor du quai de Béthune, où j’ai pourtant vécu quelques années, ni celui de la rue de Vaugirard. Invariablement, dans mes rêves, « chez moi » est resté bloqué au Pecq. Dans la vie éveillée, on voit facilement ma chambre d’enfant et d’adolescent depuis la rue, quand on longe la résidence : ma fenêtre est au rez-de-chaussée. Mais on ne peut pas s’en approcher sur Street View, car la Google Car n’a jamais exploré le fond de l’impasse. On aperçoit seulement mon immeuble, de loin, derrière les arbres.
Cette nuit, j’ai fait mes valises et j’ai quitté une grande maison. Je passais des vacances là, avec des gens. Il y avait ma mère, comme toujours. Pendant le voyage du retour, je me souviens d’un épisode dans un square : je rencontrais un garçon que j’aurais aimé voir dans n’importe quelles autres circonstances, mais pas celles-ci, car je venais de pleurer et ça se voyait sur mon visage. Plus tard, je devais passer un examen scolaire. Encore plus tard, j’étais dans la salle de bains. Elle était très encombrée. Je devais faire du ménage dans la pièce et, à la fois, me préparer (dans la perspective de cet examen). La chose importante, c’est que cette salle de bains ressemblait à celle de mon appartement d’aujourd’hui : celui de la rue de la Roquette. Cette scène avait donc lieu chez moi et elle était tournée en décors réels. Pas de transposition dans le passé, ni dans l’imaginaire. À l’intérieur de ma tête, c’était le même appartement que celui où mon corps dormait. C’est cela qui m’a étonné. Pour le dire simplement : j’ai rêvé que j’étais chez moi. C’est tout.
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