Ou le mien, ce qui semble revenir au même

Ça commence encore par un départ. Il faut rassembler nos affaires pour quitter la maison (c’est-à-dire l’appartement du Pecq, comme d’habitude). Les portes-fenêtres sont grand ouvertes : je sens le beau temps au-dehors. Je dois décider comment m’habiller pour la journée : je porte une chemise sur un t-shirt, et c’est trop. Je me demande s’il vaudrait mieux ne porter que l’un, ou que l’autre. Cette question est importante, car elle focalise mon attention sur ma peau. Il faudra que je me déshabille devant les autres, mais cela ne me cause aucune honte. Seulement du plaisir. Non pas le plaisir de l’exhibition ; plutôt celui, plus innocent, provoqué par la conscience de ma propre nudité dans l’espace extérieur (l’air, le soleil).

Plus tard, nous entrons dans un restaurant. Parmi les amis qui m’accompagnent, une seule personne est identifiable : ma sœur Juline, dont le rôle est parfois joué par C., mon amie et colocataire d’autrefois — il s’agit, dans tous les cas, d’une personne avec qui j’ai vécu. Pour entrer dans ce restaurant, il faut commencer par enjamber une balustrade en faisant de grands pas, puis descendre quelques marches vers la salle semi-enterrée, comme en Italie. Au moment où j’effectue cette acrobatie, une des amies de la troupe me chatouille l’entrejambe, sans intention sexuelle, juste pour m’agacer. Ce geste a certainement des conséquences, car je me trouve ensuite sans pantalon ni sous-vêtements, vêtu d’un unique t-shirt. Pour l’instant, cette nudité n’est pas un problème. Nous nous plaçons autour de la table. L’événement est organisé en l’honneur d’un garçon que j’aime beaucoup. C’est un ami dont je suis très proche, ou peut-être un amant ; ou encore, un ami dont je voudrais être l’amant. Les gens nous associent naturellement : nous formons une paire. Il est mon alter ego : je lui consacre toute mon attention, comme à un autre adoré, et je m’identifie à lui comme s’il était moi. J’accueille l’un des invités : un garçon très beau, roux, avec un nez pointu et des yeux qui brillent. Il a l’air timide et malicieux. Je pense aussitôt à mon ami : ce serait formidable qu’ils s’attirent l’un l’autre. Je voudrais leur faire plaisir. Alors, je suis heureux de voir le bel inconnu choisir ce fauteuil, à la droite de mon ami. Moi, je m’assois par terre, à sa gauche.

Deux femmes apportent un gâteau et entonnent une chanson : c’est l’anniversaire de mon ami — ou le mien, ce qui semble revenir au même. La chanson contient des prénoms féminins : je comprends que ce sont ceux des patronnes du restaurant, qui nous offrent les pâtisseries. Il va falloir que je souffle les bougies, c’est inévitable. Mais la table est immense et le gâteau est loin de moi. Je serai obligé de me lever… Or, je n’ai pas de pantalon, ni de caleçon. Tant que je reste assis par terre, ce n’est pas gênant, car les convives de l’autre côté de la table ne voient rien ; et ceux qui sont près de moi, non plus, car j’ai tiré mon t-shirt pour couvrir les parties qui risqueraient de les déranger. La chanson se termine. Je ne sais pas comment je vais me sortir de cet embarras.

Une ellipse. Au début du rêve, il était question de départ. À la fin aussi. Je me promène sur un quai, au bord de la mer, le soir avec un garçon. Peut-être mon alter ego du restaurant. Soudain, quelqu’un déboule : l’amie de tout à l’heure. Elle court aussi vite qu’elle peut, portant ses bagages sur son dos. Je me souviens comme nous avons couru un jour, J.-E. et moi, sur le port de Piombino : un bateau larguait les amarres, et nous craignions que ce fût le nôtre. Une scène similaire se joue ici : cette amie doit embarquer sur un bateau qui s’en va, juste quand elle atteint le bord du quai. Nous l’observons. Le bateau disparaît. Elle reste immobile un instant, puis elle tombe à l’eau. Est-ce un accident ? L’a-t-elle fait exprès ? Je m’approche, je m’accroupis sur la margelle de pierre, je la sors de l’eau en agrippant son bras. Quand elle se retrouve debout face à nous, dégouttant sur le pavé, je lui demande si elle a sauté volontairement. Elle répond : « Bien sûr ! » Et elle rit.