Désir quand même (inventaire)

Envie de pas grand chose. Tristesse diffuse. Joie de trouver une écriture amie, sur une enveloppe, dans ma boîte aux lettres. Honte de ne pas répondre à d’autres messages, laissés en friche depuis trop longtemps, alors que j’avais aimé les recevoir quand ils sont arrivés. Joie de participer bientôt à un événement avec des vrais gens, si tout se passe bien, grâce aux camarades de Papier Machine. Déception, par anticipation, de voir tout annulé une fois de plus. Plaisir de voir que ma curiosité est contagieuse : à force de poser à tout le monde des questions sur Jean Vaudal, on me répond que mes recherches ont du sens, et que mon article vaut le coup d’être écrit. Vertige devant le grand vide qui me dit, à propos de tout, et surtout de n’importe quoi : « À quoi bon faire ça ? » Joie de parler avec Nicolas de son texte magnifique, qui complètera la saison 3 de nos « Histoires pédées ». Frustration de mener cette conversation sur un écran, comme une réunion de travail, alors qu’elle aurait dû ressembler à une soirée au bistrot. Douceur des heures passées inaperçues, et des bières bues chez G. et E. sans penser à dehors. Frustration de devoir partir si vite, quand je comprends que le temps est passé quand même et que surgissent les mots : « couvre-feu ». Plaisir d’avoir été choyé, dans l’intimité et la chaleur, pour mon anniversaire discret. Tristesse de n’avoir pas soufflé mes bougies avec ma mère, comme nous en avions pris l’habitude au fil de mes vingt-neuf premiers anniversaires. Émotion d’entendre Juline commenter le dessin qu’elle a fait pour moi, en disant : « Ici, ce sont les parents. » Frustration de ne pas l’avoir célébré dans le bruit et la foule, alors que je n’ai jamais eu l’habitude de le faire : devant l’impasse, j’éprouve le désir urgent de ces fêtes impossibles. Effort agréable, mais effort tout de même, de composer un planning pour ma résidence : il faut se projeter pour ne pas moisir. Peur que mes idées d’atelier n’excitent que moi, et laissent les élèves froids. Joie de sentir encore une fois (dans l’œil de quelqu’un, puis dans celui de quelqu’une) la petite étincelle s’allumer. Tristesse d’entendre parler de ces élèves qui, bourrés de qualités (comme tous les êtres humains), se laissent partir à la dérive, par la faute de tout le monde à la fois et de personne en particulier. Désir de pas grand chose, désir quand même. Colère contre tout. Surprise de sentir que le corps marche encore quand la tête ne tourne pas rond : goûter un rayon de soleil, manger, faire l’amour. Dégoût de tout ce qui me dégoûtait déjà : rien ne change, rien ne s’arrange. Plaisir minuscule de porter mon chapeau sous la pluie, plutôt qu’un encombrant parapluie, depuis que j’ai fait couper mes cheveux : j’évite le chapeau lorsqu’ils sont trop longs, car il les aplatit et me fait une tête horrible (au lycée, merci). Agacement, tout de même, à cause de cette petite pluie qui s’immisce : nous avons si peu d’endroits où nous abriter, quand tout est fermé. Plaisir d’imaginer ce geste, qui serait partagé par plusieurs personnages de Rue des Batailles : ébouriffer ses cheveux pour relever un épi écrasé, c’est-à-dire : un tic qui s’efforce de rétablir le désordre, plutôt qu’un tic qui, au contraire, chercherait à lisser une mèche indomptable. Perplexité devant la complexité de mon propre plan de travail. Envie d’écrire quand même.

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