Le dimanche, je réside

« Et sinon, Montauban le dimanche, c’est vivant ? »

Je ne sais pas. C’est le premier dimanche que je passe ici et c’est la première fois, aussi, que le gouvernement ferme les cafés et demande aux gens de rester chez soi. Alors, ça fausse mes observations.

Je me suis éveillé tôt (les étourneaux, dans l’arbre : confinement ou pas, ils chantent) et j’ai repris ma lecture des Vies minuscules de Pierre Michon où je l’avais laissée hier soir. Je suis frappé par la ressemblance de certains récits de ce livre avec d’autres récits qui me sont personnels : des histoires que j’aurais pu raconter ; des relations que j’ai écrites, déjà, à propos d’autres personnages de ma propre famille. Il s’agit peut-être d’une coïncidence – comme elle est heureuse, alors ! – mais, plus probablement, c’est la dimension universelle du récit intime qui agit. L’auteur parle de lui, au plus profond et avec sincérité ; et moi, lecteur, ça me parle de moi.

Le puzzle recomposé par ce livre : combler, par l’écriture, les lacunes d’un récit biographique éparpillé ; reconstituer la vie de ceux qui nous ont précédé – ces vies qui n’ont coïncidé avec la nôtre que par un minuscule point de contact, mais qui ont contribué à la façonner. C’est assez proche de ce que j’ai voulu faire dans mon histoire de rue des Batailles, qui s’incarne en ce moment dans une forme de texte achevé, grâce à la confiance que me fait Daniel Damart : je reçois ce matin sa maquette du livre qui paraîtra dans sa maison et dont je parlerai, bientôt, en mots plus clairs. Dans ce texte, j’ai éludé par trois fois le mot « ça » devant l’auxiliaire avoir, en écrivant « ç’a été », « ç’avait », « ç’aurait ». Avais-je le droit de le faire ? Voilà la question que nous nous sommes posée, avec l’éditeur. Il a été question de ça dans nos messages, c’est-à-dire : de ç’a.

« Il y a du monde au bureau de vote », me dit J.-E. qui s’y rend à ma place, par procuration. Il faudrait que tout le monde y aille, ou bien qu’on l’annule, mais quel sens ç’aurait donc, un maire élu par les trois seuls péquins qui bravent la consigne du confinement ?

Je sors à mon tour. Montauban, ville fermée, comme toutes les autres en ce moment. Dans d’autres endroits, ça ne doit pas changer grand chose : je me souviens de Luçon le dimanche, où les consignes de distanciation sociale étaient naturellement respectées : jamais on ne voyait deux personnes dans la même rue simultanément.

Il fait très beau. Un temps à prendre un café dehors. Dommage. Je me suis assez promené, je vais prendre mon café chez moi. Il y a pire punition : mon appartement est beau et le soleil y entre gentiment, venant lécher le mur de ma chambre, chatouiller mon petit bureau. Je pense aux camarades qui voient toutes leurs activités rémunérées (dans les écoles, dans les librairies, dans les salons) annulées les unes après les autres. Il n’y a pas de chômage quand on est auteur : c’est la galère, et c’est tout.

Alors, vraiment, je ne me plains pas. Moi, ce que je suis venu faire à Montauban, ça reste autorisé. Mieux : c’est obligatoire. Car je suis en résidence pour écrire. Alors, je fais comme on nous le demande : je reste chez moi, je réside.

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