De nouveau seul : François est parti hier. Je suis seul dans cette maison aux trois quarts vide (car je n’occupe qu’une seule chambre sur les quatre). Seul, aussi, dans cette ville où je fais un tour, afin de m’aérer les neurones et de reposer mes yeux du trop-d’écran – dans cette ville qui semble aux trois quarts vides, elle aussi. La rue où je réside est occupée par des commerces désoccupés, des vitrines à vendre ou à louer – ou bien : ni à vendre ni à louer, seulement à laisser vieillir sur place, à attendre – quoi ? Il faut dire que c’est dimanche, et que le dimanche à Luçon invite à la mélancolie. Surtout après les quatre derniers jours écoulés. Et puis, hier soir, j’ai revu Les lieux d’une fugue : quarante minutes d’une beauté triste dans de lents travellings désertiques.
J.-E. m’envoie une photo prise sur le quai de la Seine au niveau du pont d’Austerlitz. Je lui dis que, sur mon quai à moi, il n’y a pas tant de monde, car je me trouve sur les quais du port de Luçon (feu le port de Luçon). Et je photographie pour lui, en réponse, l’arrêt de bus qui semble aussi désœuvré que moi. Parfois, des automobiles circulent dans la rue. D’autres fois (plus rarement), des êtres humains non motorisés. Un grand chien noir fait le tour de la halle en me jetant régulièrement des regards inquiets : il se demande ce que je fais là.
Bon. En fait, aujourd’hui, je ne suis pas désœuvré du tout. Je fais semblant. En fait, je travaille. Je voudrais préparer la lecture dessinée du mardi 22 avec Benjamin, mais par quel bout la prendre ? Je parcours le manuscrit des Présents. Je mets de côté, mentalement, les passages qui pourront être lus – qui pourront avoir du sens pour les spectateurs. Mais, j’ai du mal à ne pas me laisser parasiter, dans ce travail, par une question idiote : les gens d’ici ont-ils compris que j’étais venu à Luçon pour écrire ? Toutes les personnes que j’ai connues, c’était à travers mes autres activités, celles que je fais avec cœur, certes, mais à titre accessoire, c’est-à-dire : les ateliers d’écriture. Savent-ils qu’en réalité, je suis écrivain ? et que je n’ai pas chômé pendant ma résidence ? et que je voudrais, maintenant, partager avec eux mon vrai travail : ce roman qui m’occupe jour et nuit (à mon bureau et dans ma tête) depuis plus d’un an.
C’est un dimanche à Luçon. On croit que la ville est déserte, qu’il ne s’y passe rien. Mais, peut-être, en réalité, que tout le monde est chez soi, concentré. Travaillant d’arrache-pied. Parce que, si les autres gens sont comme moi, alors c’est ainsi : leur vrai travail c’est celui qui reste caché, que personne n’a encore vu.
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