Je viens de finir Voyage à motocyclette. Comme d’habitude, j’aurai du mal à dire le bien que j’en pense. J’ai aimé. Sauf un truc. Une seule critique. C’est du pinaillage, mais je suis pointilleux sur cette question. À un moment, Guevara parle d’un type en disant qu’il est probablement « inverti », puis « perverti sexuel ». Dommage. Surtout que ça n’apporte rien à l’histoire. C’est purement gratuit.
Cet après-midi à Saint-Germain, j’ai commandé Comme des lapins. Ça y est, j’ai osé. C’est pas trop tôt. Et j’ai acheté Le bateau ivre de Rimbaud en Librio, ça ne m’a presque rien coûté. C’est tellement beau, ça me sidère. Le type écrit ça à mon âge. Et à vingt ans, pof ! c’est fini.
Deux détails amusants. Le premier : jeudi, en cours de sport. Je suis rentré du stade à pied, avec Mathieu. Il m’a demandé quel effet ça me faisait, de me retrouver dans les vestiaires de sport, comme ça. Parce que lui, il me dit qu’il aurait du mal à se contrôler s’il se retrouvait dans les vestiaires des filles. Je lui ai répondu que ce n’était pas désagréable, ma foi, de pouvoir mater impunément. Mais que c’est gênant, aussi, parce que je suis assez pudique. Et parfois, ça peut être dur, quand je suis dans un moment de déprime… Voir les beaux mecs à portée de main, sans y avoir droit…
Le deuxième : hier, avec Flore. On parlait du film Un amour à taire, qui l’a bouleversée elle aussi. Elle dit qu’elle a changé d’avis sur l’homosexualité. Non pas qu’elle était « contre » avant de voir le film, ni choquée, mais elle se sentait « gênée » comme on peut l’être par une chose qu’on ne connaît pas. Grâce au film, elle a « évolué ». Elle m’a dit aussi que ça lui avait fait bizarre de voir les deux hommes s’étreindre. Le manque d’habitude. Parce qu’elle ne connaît pas d’homos, m’a-t-elle dit. J’ai corrigé : « Tu en connais sûrement sans le savoir. » Je me suis arrêté là et on est entrés en cours. Je pensais lui dire, pour moi, mais finalement je n’en ai pas ressenti le besoin.
C’est à Adeline que j’ai envie d’en parler. J’apprécie de plus en plus cette fille. Elle a un abord extravagant, extraverti, elle parle facilement. Ça m’arrange, les gens comme ça : c’est plus simple pour faire connaissance. Récemment, elle m’a parlé d’elle, de tout. Elle est intéressante. Beaucoup de gens ne le savent pas, parce qu’ils s’arrêtent à son apparence exubérante et futile. Moi, j’ai confiance en elle, alors je lui dirai ça, un de ces jours. Je crois qu’elle a confiance en moi aussi, parce qu’elle m’a dit quelque chose de très personnel qu’elle m’a demandé de ne pas répéter : pendant les vacances, son frère a eu un accident, il est resté une semaine dans le coma. Merde. Après coup, j’ai trouvé que cette confidence était flatteuse : elle me juge apte à recevoir ces choses intimes, je suis digne de confiance.
Cet après-midi, M* et B* vont ensemble – j’insiste sur « ensemble » – aux Portes ouvertes de l’école où ils veulent tous deux aller : une école de commerce à La Défense. Je ne peux pas m’empêcher d’être jaloux. Quand M* m’a dit ça hier, j’ai eu un pincement au cœur, littéralement : une sensation furtive dans la poitrine. Ça paraît con à dire, mais je le dis, parce que ça confirme encore mes sentiments envers B*. C’est une réaction physique. Autant ça pourrait être artificiel de penser à lui tout le temps (je pourrais me mettre des idées en tête), autant là c’est physique, c’est involontaire. C’est authentique.
Autre chose. J’ai arrêté les séances de kiné depuis un mois (j’ai fait six séances) parce que mon entorse semblait guérie. Mais j’ai toujours (ou « à nouveau ? ») mal. Je suis retourné voir le kiné hier, alors. Il m’a donné rendez-vous pour mardi prochain.
J’ai appris un truc. Une injustice de plus, une discrimination à la con. Les homos n’ont pas le droit de donner leur sang. L’homosexualité est considérée comme un comportement à risque, au même titre que l’usage de drogues par exemple. C’est absurde. C’est une disposition héritée de l’époque où les homos étaient très touchés par le sida. Enfin bon, remarquez : ça ne me concerne pas. D’une, parce que je suis mineur, je n’ai de toute façon pas le droit de donner mon sang. De deux, parce que je suis certes homo, mais non pratiquant.
Ce carnet se remplit rapidement, comme le précédent. J’ai pris goût à l’écriture. Il va bientôt être terminé. J’avais pensé à un titre. Je le trouvais bon. C’était : « Nouvelles interrogations et début d’… » mais je n’ai pas trouvé le mot. J’ai cherché dans le dictionnaire le substantif du verbe « assumer ». Ça n’existe pas ! J’aurais pourtant aimé un titre comme « Nouvelles interrogations et début d’assumage »… ou « assumation »… Tant pis. Alors, je vais faire sobre. Du genre : « Finalement, c’est comme tout, on s’y habitue. » C’est pas mal aussi.

Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no3 (Finalement, c’est comme tout, on s’y habitue, 19 janvier – 15 mars 2005), j’ai dix-sept ans.