La piscine, ça a toujours ce côté fascinant et dégueu à la fois. Fascinant, parce que les corps (y compris les plus beaux) y sont presque nus, et en mouvement. Dégueu, parce que tous les corps (y compris les moins désirables) trempent dans la même eau, qu’ils digèrent et transpirent à travers toutes leurs porosités.
Il y a un truc un peu comme ça, dans Le héros et les autres :
« Martin observe de loin les corps souples, effilés, élastiques, qui courent au bord du bassin (alors que c’est interdit), qui se hissent à la force des bras sur l’échelle du plongeoir (comme si les marches ne servaient à rien), qui fendent la surface de l’eau (est-ce que ce sont toujours les mêmes gouttes qui glissent sur la peau de chacun ?), qui ressortent mouillés et galvanisés (les muscles aguerris par l’effort fourni).
[…]
L’eau bleue de la piscine le dégoûte : le corps de tout le monde y a trempé. Elle a été digérée et rejetée mille fois, et encore plus souvent par le dispositif de filtrage et ses additifs chimiques. »
Pour pousser un peu plus loin, quand j’ai vu que le thème de Dissonances était « impur », j’ai écrit un texte que j’ai appelé « Molécules ». Et, puisqu’une piscine c’est rectangulaire, eh bien, j’ai écrit un poème rectangulaire. En vers justifiés, quoi.
molécules les copeaux détachés arrachés de la peau usée râpée contre les carreaux les parois blanches ça ne se voit pas à l’œil et pourtant je sais le corps beau malgré eux malgré les fragments les cellules renouvelées les débris et chutes bouts de corps morts échappés du corps vivant corps avalés digérés par les corps des autres amas de molécules cellules déchets minuscules les peaux les muscles les os de tout le monde et dedans les siens bien assemblés tout beaux beaux et forts comme lui car lui n’a pas peur d’y tremper de mêler ce beau corps à la soupe à la dégoûtation de la piscine tandis que moi je n’y vais pas je surplombe je reste au bord je le vois je le regarde je l’observe je veux être lui ou être avec lui c’est la même chose troquer contre mon corps un seul bout du sien créer de la place en moi pour le faire entrer pour avaler de lui ce qu’il ne me donnera pas je devrai bien plonger à mon tour et me noyer tacher le désir le tremper dans les molécules
Je viens de recevoir mon exemplaire de Dissonances, alors, je ne vais pas vous mentir, je ne l’ai pas encore lu. Mais pour le lire, vous, c’est là que ça se passe.
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