Comme la semaine dernière, j’ai été voir Yao. Je lui ai apporté mes BD (dont un exemplaire d’Anatole et les trois ours que j’avais tiré pour lui) et le sujet du concours. On a causé de mes BD, mais je ne suis resté que vingt minutes, car il avait un rendez-vous. Du coup, je ne lui ai pas parlé du concours. Je suis nul.
Je me suis fait engueuler par maman. Enfin, « engueuler » n’est pas le mot. Simplement, elle ne me comprend pas. Ce concours me pose problème, et je connais les sujets d’annales depuis des mois. Pourtant, je n’y travaille pas. Je m’y suis mis il y a dix jours seulement, mais je n’ai rien fait de bon. Je n’y arrive pas, mais je ne demande pas d’aide. Ça la dépasse. Moi aussi. Pourquoi est-ce que je suis comme ça ? De toute façon, maintenant c’est trop tard. Ça va être les vacances et je ne pourrai plus voir Yao. Ni le prof d’arts plastiques du lycée, que j’aurais pu essayer de voir aussi. Je suis incompréhensible. Pourtant, je veux réussir ce concours ! Je veux aller dans cette école.
Enfin… J’avoue que même ça, c’est un peu par défaut. Parfois, je me dis que ce n’est pas ça qu’il me faut. Et tout ce travail ! Ça me fait peur. Mais, étant donné que c’est le seul endroit où j’arrive un peu à m’imaginer, il faut que j’y aille. Il n’y a vraiment rien d’autre qui m’intéresse. Si j’échoue au concours, je vais me retrouver à la fac de lettres ! Quelle horreur. Et pourtant, je l’ai choisi : c’est le moins pire de tout ce qui peut s’étudier à la fac.
Ça m’a cassé, cette discussion avec maman sur le concours. « Discussion », c’est vite dit : c’est surtout elle qui a parlé. Je ne savais pas quoi dire. Pourquoi je ne me bouge pas ? Je ne sais pas. Alors, que voulez-vous que je réponde ?
Ça m’a cassé, alors que juste avant j’étais sur un petit nuage. Yao m’a dit beaucoup de bien de mon travail, il a apprécié mes BD. Il considère que c’est tout à fait publiable et que je pourrais chercher un éditeur. Moi, il n’en faut pas plus pour que je démarre, au quart de tour ! Je suis dans mes rêves : je me vois déjà publié à mon âge, laissant tomber mes études pour me consacrer à mon travail… Mais ça, je le garde pour moi. Je n’en parle pas à maman. Elle veut que je fasse des études. Elle a raison. D’ailleurs, je ne conçois pas de ne pas en faire. Ce ne sont que des rêves. Ce même genre de fantasme qui me prend quand C* me parle : son enthousiasme est très communicatif. Je sais que les gens qui me font ces compliments sont sincères, mais est-ce que je peux me fier à leur jugement ? Est-ce c’est réellement bon, ce que je fais ? J’ai peur de me monter la tête pour rien.
Je suis rentré à la maison tout guilleret, à chantonner dans ma tête « Je m’voyais déjà »… et maintenant, ça y est, le coup de cafard. Encore une fois, cette impression d’être écrasé. Toutes les galères qui me tombent dessus, le travail, tout me paraît insurmontable : ce fichu concours, le bac, mes préoccupations socio-identito-sexuelles, mes projets de BD qui fourmillent… Les choses se bousculent et, dès que l’une s’empare de moi, elle prend toute la place. Et les autres disparaissent. J’ai ces angoisses insurmontables : le concours est devant moi depuis des mois, il se rapproche de plus en plus vite et, au lieu de faire ce que je devrais, je me décourage et reste amorphe.
Le pire, c’est que j’en ai conscience. J’analyse, je décortique. Je le formule, je l’écris. À quoi ça rime ? Mes défauts, mes problèmes, je les retourne et j’y pense, mais je ne fais rien pour les résoudre. Je me complais dedans. C’est nul. Et voilà : encore, je l’écris ! Mais arrête donc ! Tu consignes tous ces trucs dans le journal, mais tu ne changes rien ! Tu perds ton temps. C’est vain.
Je vais arrêter là. Je vais bosser un peu. J’ai un oral d’espagnol demain : c’est le cadet de mes soucis.
Une dernière chose : je colle sur cette page le Riri le Clown du 29 mars. Je replante le contexte : ce jour-là, B* tirait une tronche terrible, qui m’a fichu le cafard toute la journée. Il n’a pas dit un mot pendant l’heure du déjeuner. Je ne pouvais pas le regarder, tellement ça me rendait triste. Je lui ai envoyé ce Riri, accompagné d’un mail qui disait que, s’il allait mal, il fallait qu’il en parle ; à moi ou à qui il voulait, mais il fallait faire quelque chose. Et j’ai reçu une réponse. Pour la première fois ! Une vraie ! De quatre lignes. Un exploit. Il me disait qu’il n’était pas déprimé, qu’il faisait seulement la gueule parce qu’il avait un mal de crâne terrible. Je m’étais trompé : ça m’a rassuré. Mal à la tête, à cause d’un ballon de basket reçu dans la gueule. Ah, bon ! À vrai dire, j’avais remarqué une marque rouge sur son visage : sous l’œil. Ça m’avait fait un drôle d’effet, cette tronche qu’il arborait, ces yeux tristes, ce visage sombre, et cette marque. Il est très beau quand il est triste. Et mystérieux, ce qui le rend plus séduisant encore.
Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no4 (À la découverte de la vie normale, 13 avril – 6 juin 2005), j’ai dix-sept ans.