Il faut absolument que j’arrive à parler. Que je partage mes doutes. Ou simplement que je cause de moi et de tout ce qui se passe dans ma tête ! Je n’attends que ça, en causer. Mais je n’ose pas, c’est trop dur. Je ne comprends pas pourquoi. Si j’en parle à S* ou B*, qui sont au courant, je suis sûr qu’ils seront ouverts à cette discussion, puisque ce sont de vrais amis. Mais je n’y arrive pas. Je prépare souvent un scénario dans ma tête. Je me dis : « À tel moment, S* et moi serons seuls, alors je lui dirai ça, j’amènerai le sujet, l’air de rien. » Mais non, je n’y arrive pas. Je me défile au dernier moment.
Par moments, j’ai l’impression que S* aimerait qu’on en parle (quant à B*, difficile à dire : je le vois assez peu, en fait). Je pense qu’elle voudrait en causer, mais qu’elle ne sait pas comment. Elle se dit aussi, peut-être, que je ne veux pas en parler.
Hier, nos profs respectifs étaient absents. On va manger une heure plus tôt, puis on a une heure à tuer. Elle veut rentrer chez elle poser ses affaires et me propose de l’accompagner. Je me dis : « Chouette, je vais lui parler seul à seule. » Tu parles ! Je n’ai pas été fichu de dire quoi que ce soit. Pourtant, ç’aurait été facile, puisqu’on a parlé de sexualité. Elle m’a tendu des perches, peut-être, allez savoir. Je n’ai pas su les saisir.
À un moment, chez elle, elle m’a tout de même demandé, à vif : « Ça ne t’embête pas de savoir que tu n’aurais jamais d’enfants ? Je veux dire, pas avec la personne que tu aimeras ? » Je ne sais plus ce que j’ai répondu, mais je n’ai pas su prolonger la discussion. Quel con.
C’est amusant, sa manière de poser ce genre de questions. Elle me donne l’impression d’avoir cogité longtemps, puis, hop, enfin elle ose. Un peu comme cette autre fois, mercredi dernier, quand elle m’a demandé : « Au fait… C’est qui, le gars dont tu m’as dit qu’il t’avait « révélé » ce que tu étais ? » – parce que, quand je lui ai dit que je l’étais, je lui avait dit aussi que c’était en voyant un mec de ma classe, à la rentrée, que j’avais eu une sorte de révélation. J’ai répondu que c’était Étienne, et je n’ai pas su continuer sur ce sujet, cette fois non plus.
Ce midi, à la cantine, même dans les moments où la conversation retombait, je n’en ai pas profité pour dire ce que j’avais à dire. Je me suis dégonflé.
À vrai dire, c’est surtout à B* que j’aimerais parler. Je pense que c’est parce que c’est un mec, qu’il pourrait me faire part de ses propres impressions. Mais j’ai beaucoup de mal à le voir seul et, quand je le pourrais, je l’ai déjà dit : je perds mes moyens.
Alors, en rentrant du lycée tout à l’heure, j’ai fait quelque chose qui me déçoit : j’ai écrit un mail à B*. Je trouve que ça manque de courage. Et je m’en veux, un peu, de lui imposer mes soucis. Mais ça me fait du bien. Surtout, je lui ai écrit ce que je viens d’écrire ici : que je n’aime pas envoyer ce mail, mais que ça me permet de parler plus librement. Et que j’aurais préféré discuter avec lui face à face, plutôt que de tout lui livrer en bloc. J’ose espérer une chose : j’aimerais que, demain, il vienne me solliciter. Mais j’avoue que ça m’étonnerait. D’une, on n’aura peut-être pas l’occasion de se voir à deux. De deux, il est timide aussi, et il n’osera pas. Je sens que je vais devoir faire un gros effort pour me livrer, ces prochains jours ! Courage !
Demain, je n’ai quasiment pas cours. C’est la grève. Hier, c’étaient les postiers, aujourd’hui les cheminots, demain les profs. Ils sont assez nombreux à suivre la grève au lycée. Du coup, je n’aurai qu’un cours : éco de 17 à 18. Mais je viendrai à la cantine pour manger avec S* et B* – je suis sûr qu’il restera avec nous, puisque M* ne sera pas là.
Il faut dire qu’il se passe des choses bizarres entre eux, qui ne me plaisent pas beaucoup. Récemment, on avait l’impression que quelque chose allait se passer, c’était tellement flagrant, ils allaient sortir ensemble. Eh bien, non. Chacun des deux s’en défendait. Mais maintenant, on dirait que B* est bien accroché à M* et qu’elle en profite, qu’elle abuse de la situation. B* a tendance à la suivre, à rester avec elle. Quand elle le décide, ils font bande à part. On dirait qu’elle en fait ce qu’elle veut. Le pauvre. Je ne sais pas si on a raison de penser cela ; on se fait peut-être des films, mais les apparences laissent peu de doute. J’espère que B* n’est pas dupe. Ça me ferait mal qu’il se fasse avoir par cette fille, qu’elle lui fasse croire que quelque chose est possible, alors qu’elle n’en a nullement l’intention.
Ça ne me plaît pas du tout, et c’est un argument de plus pour m’inquiéter : j’ai l’impression que je suis jaloux. Ça me rend triste d’y penser. J’en veux à M*. Qu’est-ce que je lui veux donc, à B* ?
Cette nuit, j’ai rêvé qu’on était au lycée, avec B* et plusieurs autres personnes. Je parviens à isoler B*, je lui dis que je veux discuter avec lui. On va s’assoir ensemble quelque part et je lui raconte mes doutes, mes inquiétudes, tout ce que j’ai écrit ces derniers jours dans le carnet. Et il a été de bon conseil : il m’a dit que je devais arrêter de me prendre la tête. Que si j’ai envie que les autres soient au courant, eh bien, je n’ai qu’à le leur dire. Et si je m’aperçois plus tard que je me suis trompé ? Eh bien, ce n’est pas grave, je n’aurai qu’à le dire aussi. À propos de mon autre inquiétude (si une fille s’intéresse à moi et tente de me séduire, je pourrais me rendre compte que je ne suis pas fermé à ça, mais si elle me croit pédé, elle n’essaiera rien), il me dit que rien n’est moins sûr : si elle est déterminée, elle essaiera quand même. Il n’a pas tort. Un homo qui tombe amoureux d’un mec hétéro, il peut tenter sa chance : même si l’autre se croit hétéro, il n’est peut-être pas hermétique à l’idée d’essayer avec un mec. Ça peut arriver. Bon, ce rêve était à la fois réaliste et très cohérent (pas de changement de décor impromptu, ni d’inversion de personnages).

Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no3 (Finalement, c’est comme tout, on s’y habitue, 19 janvier – 15 mars 2005), j’ai dix-sept ans.