J’ai pris des nouvelles de Jean et de Jacques, que j’ai rencontrés la semaine dernière dans le registre de recensement militaire de la classe 1870. On le sait : ils sont nés en 1850 à Montauban et ils ont été enrôlés ensemble. Je suppose qu’on les a envoyés aussitôt à la guerre, mais ils n’y sont pas morts : le « J. Larroque » mort, sur le monument, c’est l’autre Jean, celui de Molières. Alors, que sont-ils devenus, Jean et Jacques de Montauban ?
En 1870, Jean a vingt ans, il mesure un mètre soixante-et-un, il vit chez ses parents laitiers à Chaume, à l’est de Montauban. Il débute son service militaire. Huit ans plus tard, il est caporal « dans la réserve de l’armée active » : il est rentré chez lui depuis quelques années déjà. Chez lui, c’est toujours chez ses parents, mais désormais à Landebasse : un autre faubourg, encore un peu plus à l’est. Les parents y ont acheté un petit lopin, ils sont devenus « cultivateurs propriétaires ». Le lieu dit « la Lande basse » existe toujours, il est resté rural, mais l’autoroute A20 passe en travers.
Je voulais savoir si Jean s’était marié, alors je l’ai cherché dans la botte de foin : des Larroque à Montauban, il y en a, à la pelle – un peu comme si vous cherchiez un Crenn à Saint-Pol-de-Léon, si vous voyez ce que je veux dire. Je vois passer des tas de Jean Larroque, puis, d’un coup, je me dis : c’est lui. Une intuition. Un Jean Larroque épousant Jean Marty – ah non, j’ai mal lu : je pensais au Jean Marty de l’autre jour, mais ça ne peut pas être lui puisqu’il est mort, et parce qu’on ne s’épouse pas entre hommes en 1878… C’est de Jeanne Marty qu’il s’agit. N’empêche : le nom m’a attiré et ne m’a pas trompé : c’est bien le Jean que je cherchais. « Jean et Jeanne », donc. Jeanne a quatre ans de moins que Jean Larroque, elle est couturière, elle habite aux Oliviers. Il existe une rue des Oliviers au sud de la ville, au bord du Tarn : c’est sûrement le même lieu. Jean et Jeanne ont pour témoins le frère de Jean, ainsi qu’un tailleur et un libraire ; et puis le nommé François-Auguste de France-Mandoul, lieutenant de vaisseau en retraite, chevalier de la Légion d’honneur. Celui-ci a été fait prisonnier en Algérie pendant la guerre d’invasion coloniale, quarante ans plus tôt, et il a publié un bouquin juste après sa libération : Les prisonniers d’Abd el Kader, ou cinq mois de captivité chez les Arabes. Une sorte de « journal de confinement », comme on dit aujourd’hui. Comment Jean, qui était laitier à vingt ans, se retrouve à vingt-huit ans (tout charpentier de son état) à compter une sommité décorée parmi ses amis ? Est-ce cela qu’on appelle : l’ascension sociale ? Quand le vieux passe l’arme à gauche, dix ans plus tard, c’est Jean qui déclare sa mort à la mairie. Voilà : c’est tout ce que je sais de Jean Larroque.
Et Jacques, alors ? S’il s’est marié, ce n’est pas à Montauban : pas de trace dans le registre. S’il est mort, ce n’est pas à Montauban non plus. Mais il y a une vie possible en dehors de Montauban ! (J’ai tendance à l’oublier : à cause du confinement, sans doute). Non, Jacques, je ne sais pas ce qu’il est devenu. Et je n’oublie pas qu’il était « faible de constitution », à vingt ans, alors je m’inquiète pour lui.
À la même époque, à Paris. La seule chose que je sais de Jules, Napoléon, Prosper Forthomme, c’est qu’il a fait un fils, qui est devenu l’arrière-grand-père de ma mère. Puis qu’il a disparu. Et c’est tout. Le reste, je l’ai inventé en écrivant la Lettre ouverte à celui qui ne voulait pas faire long feu qui paraîtra aux éditions Le Réalgar, et dont je lis les premières lignes ici :
Quelle histoire ! Des Larroque et des Marty, c’est pléthore à Montauban..Peut-être qu’un des lecteurs y aura retrouver quequ’ ancêtre et nous renseignera ….
Merci pour l’avant-première de votre livre !
Sylvie