Vendredi 31 décembre 2004

J’étais en forme, la dernière fois que j’ai écrit ici. On dirait que j’avais le moral ! Depuis, je l’ai un peu moins. Eh oui, je suis comme ça, je change très vite. De nouveau, je suis obsédé par ce même problème. Mais ça s’aggrave puisque, maintenant, je commence à y mêler B*. Le pauvre ! C’est vrai que ça m’inquiète : ce n’est pas normal, de penser à lui comme ça. Comment penser à autre chose ? Bon. Ce n’est pas clair, ce que je raconte, j’en suis conscient. Mais c’est naturel : comment pourrais-je m’exprimer clairement alors que mes idées mêmes sont confuses ? Je n’y comprends rien. Je suis un peu perdu.

Hier, je suis allé au CIO : le Centre d’information sur l’orientation. C’est à Saint-Germain. J’y ai rencontré une conseillère d’orientation pour qu’elle m’aide à y voir plus clair dans mon avenir (c’est une voyante que j’aurais dû aller voir !) Moi, ce que je voudrais, c’est entrer à l’école Estienne, une école d’arts appliqués. Le problème, c’est que c’est très difficile, très sélectif. Il y a une pré-sélection sur dossier (pour ça, ça va, mes notes sont plutôt pas mal), puis un concours. Et là, ça se corse. Ce que j’aurais voulu trouver au CIO, c’est une autre voie, une autre école, autrement dit : autre chose à faire, si je ne pouvais pas aller où je veux. Eh bien, non : il n’existe rien d’autre.

Il faut dire que je suis difficile. Rien ne m’intéresse. Moi, je veux faire de la bande dessinée. Mon rêve serait de tout laisser tomber maintenant et de réussir immédiatement dans ce métier. Bien sûr, ce n’est pas possible. Donc, comme métier « sérieux », et comme études, qu’est-ce qui m’intéresse ? Je ne vois que ça : les arts appliqués. Ainsi, je pourrais être graphiste, ou je ne sais quoi. C’est un boulot correct. Oui. Parce que, vraiment, je ne me vois absolument pas faire un boulot du genre, euh, je ne sais pas : un truc comme ce que les autres veulent faire ! L’ambition de la plupart des gens en ES (dont je fais partie) est d’intégrer une école de commerce. Quelle horreur ! Ou, pour ceux qui n’en ont pas les capacités, de faire une fac de droit, de sociologie, de psycho… Bof, bof.

Alors, je ne sais pas ce que je deviendrai l’année prochaine. Remarquez, dans un certain sens, j’ai de la chance. Je m’en rends compte. J’ai un bon niveau scolaire partout. Si je voulais, je pourrais même faire HEC ! Mieux vaut pouvoir et ne pas vouloir, que le contraire. Voilà : ce sera la morale du jour. Méditez bien là-dessus.

Tiens, un truc marrant. Ou plutôt : qui m’a laissé perplexe. Il y a deux ou trois jours, je causais à B* (encore lui) sur MSN et lui demandais ce qu’il avait eu à Noël. Il a eu des enceintes. Je lui dis « Mais, tu n’avais pas déjà eu ça, récemment ? Ça me dit quelque chose. » Il me répond que non. Mais peut-être m’avait-il parlé de son projet ? Ça s’est fini comme ça. Ce matin, je me suis souvenu que j’avais rêvé, peu de temps avant, que je causais avec lui sur MSN, justement. Il me disait qu’il avait eu des enceintes, qu’elles ne lui plaisaient pas, qu’il essayait de les vendre. Étonnement de ma part : « Tu ne préfères pas le dire à tes parents, pour qu’ils les changent ? » Il me répondait : « Non, ils seraient déçus. » J’avais donc rêvé du cadeau que B* aurait pour Noël. C’est dingue.

Ces derniers jours, pour la première fois, j’ai rêvé de situations où j’étais homo. C’est nouveau. C’était un rêve assez bizarre. J’étais dans un genre d’école ou de centre, où tout le monde l’était. Je ne me souviens plus du principe du truc, mais ça m’a fait tout drôle.

Tout revient à ça. Ça m’obsède. Il y a des fois où je suis vraiment mal. Parfois, je me dis que, si tout le monde était au courant, je me sentirais mieux. Mais je ne veux pas que ça se sache. Parce que (c’est con, hein ?) j’ai encore des doutes. Imaginez si je faisais mon coming out, comme on dit, et que je me rends compte ensuite que je me suis trompé ? J’aurais pas l’air con, tiens ! Il y a quelque chose qui m’intrigue. Si j’étais homo, logiquement, ça devrait me dégoûter, ou au moins me gêner, me faire une impression bizarre, de m’imaginer avec une fille. Pourtant, pas tellement. Alors, je pense avoir trouvé une explication. Si, sur un plan purement sexuel, l’idée de l’amour avec un mec me cause une impression bizarre, et qu’avec une fille ça ne me repousse pas, c’est peut-être simplement une question d’habitude : à force de voir à la télé, au cinéma, des couples faire l’amour ? Du coup, ça me semble normal. Alors que, des rapports homo, on n’en voit jamais. Du coup, ça reste intriguant pour moi… Oui, ça doit être ça.

Tout de même, oui, ça y est, ça ne peut pas ne pas être : je suis attiré par les mecs, c’est certain. Dès qu’il passe un beau mec quelque part, ça me met dans un drôle d’état. C’est pas facile à décrire. Bon, il y a d’abord le truc basique de regarder le mec et de me dire : « Mhm ! Il est pas mal, lui ! » Mais il y a aussi ce sentiment, plus triste et désagréable, de me dire, confusément et dans le désordre : « il est bien mieux que moi, je ne ressemble à rien », et « de toute façon il n’aime que les nanas, ça ne sert à rien », et puis « je suis sûr qu’il a quelqu’un, le salaud, et même pas moi », et encore plein d’autres trucs, qui ne sont pas faits pour me remonter le moral.

L’autre problème, purement statistique, c’est une question de probabilité. Supposons une proportion de 5 % d’homosexuels dans une population donnée. J’ai donc une chance sur vingt pour que le mec qui m’intéresse soit susceptible de l’être par moi. Ensuite, combien de chances qu’il s’intéresse réellement à moi ? Autant que n’importe quel hétérosexuel, certes, mais je pars avec un lourd handicap qui divise d’emblée mes chances par vingt.

Théoriquement, rien qu’au lycée, si on considère cinq cents mecs (il y a mille élèves), il devrait y avoir vingt-cinq homos. C’est pas beaucoup. Mais tout de même ! Où sont-ils ? Je ne les connais pas. (Remarquez, eux ne me connaissent pas non plus.)

Même dans mes lectures, cette obsession me poursuit. J’ai lu Si le grain de meurt, l’autobiographie de Gide, rien que parce que j’avais lu que Gide était pédé.

Tout, tout et n’importe quoi me ramène à ça. Je croise un mec : je me dis qu’il est pas mal : hop, ça me le rappelle. Je croise une nana : je me rends compte qu’elle ne me fait aucun effet : hop, encore une fois, ça me le rappelle. C’est ainsi quand on a une idée fixe : le moindre événement, le plus insignifiant, est interprété pour renvoyer à cette idée fixe.

Bon, on arrête là d’en parler ?

À part ça : plus que deux jours de vacances. Demain, on est en 2005. Je ne fais rien de particulier, ce soir. Je ne suis pas fan de la fête, et encore moins de la fête imposée à date fixe. De toute façon, je ne suis qu’un ermite, un ours mal léché, je vais finir misanthrope, ça ne va pas traîner. En quinze jours de vacances, je n’aurai vu quasiment personne ! S* uniquement, venue ici avant de partir à Madrid, et une autre fois, avant-hier, à son retour.

Au fait : je n’ai pas parlé de Noël. Comme d’habitude, le 24 au soir, nous sommes restés tous les trois. Le lendemain, on a invité mamie. Mes cadeaux ? Oh, oui : j’avais fait une liste de BD, comme à mon habitude. J’ai eu l’intégrale des années Pilote du Concombre masqué. J’adore (vous le savez déjà). Je suis content de voir que Dargaud a eu, enfin, la bonne idée de les rééditer, après toutes ces années où les fans cherchaient désespérément les albums introuvables. J’ai eu aussi Slaloms, le troisième Lapinot, et Les eaux lourdes, le deuxième Entremondes des frères Larcenet, eu un autre Trondheim, et Le miracle de la vie de Clarke. Et je ne devrais pas tarder à recevoir un modem ADSL, car l’abonnement ADSL est également un de mes cadeaux !

Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no2 (Angoisse du doute, malaise de la certitude, 15 juillet 2004 – 17 janvier 2005), j’ai seize ans.

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