Coup de cafard. Ennui profond. Contrôle de maths. Les dérivées. Truc qui sert à rien. Je n’aurai jamais besoin de calculer une dérivée dans ma vie. Sauf dans certains métiers que je ne veux surtout pas faire. En français : étude d’un texte de Lambeaux. Un beau livre. Cette étude gâche tout le plaisir. Extrapolations et interprétations à la n’importe-quoi. En plus, tout tourne autour du religieux, et c’est idiot, puisqu’on sait que dieu n’existe pas. Puis, une heure de perm. Discussion. Je m’aperçois – comme si je ne le savais pas déjà – que le monde est pourri. J’ai discuté avec des gens de droite. « Pourquoi payer des chômeurs à ne rien faire ? Pourquoi faire payer des impôts aux riches ? » Ça me tue. Comment peut-on être aussi égoïste et borné ? Puis, discussion sur les études. Où je m’aperçois – comme si je ne le savais pas déjà – que sans argent ni piston on n’arrive à rien. Les riches se paient des écoles chères. Font de bonnes études. Ont un bon boulot. Gagnent de l’argent. Sont encore plus riches. Ça me tue. Puis, cours d’anglais. À m’ennuyer comme un rat mort. Une heure de plus de perdue dans ma vie. Comme si elle n’était pas déjà assez courte comme ça. Puis une heure – non, une demi-heure – pour manger. Dans de la vaisselle en plastique, parce qu’une partie du personnel est en grève. Ils ont bien raison. Il ne faut pas se laisser faire. Puis, une heure de SES, où la prof explique ce que j’ai déjà compris. Une heure pendant laquelle, en tentant de clarifier les choses, elle embrouille ceux qui n’avaient pas compris avec des exemples foireux. Encore une heure de perdue. À la sortie, S* retrouve W*. Moi, je retrouve personne. Pourquoi ? Ça, je ne me l’explique pas. Je ne connais personne d’autre dans mon cas. Ceux qui sont toujours restés seuls sont les losers qui se sont fait rembarrer à chaque fois. Pas moi. Je n’ai jamais proposé quoi que ce soit à qui que ce soit, pour la simple et bonne – ou plutôt terrible – raison que je ne suis pas amoureux.
À 14 heures, je rentre à la maison. Je dessine. Heureusement que j’ai ça. Sinon, ce serait l’ennui mortel à sauter par la fenêtre. Même du rez-de-chaussée – c’est le geste qui compte.
À la radio, on ne parle que des attentats d’hier à Madrid. Deux cents morts. Encore un truc qui me donne une bonne raison de ne pas me réjouir. Par contre, à cause de ces attentats, ils vont peut-être annuler le voyage en Espagne prévu dans un mois, auquel je ne participe pas. Parce que je n’ai rien à faire là-bas. Avec ces gens. Les gens de ma classe. Je n’ai rien à leur dire. Sauf quelques uns : combien ? Allez. S*. B*. M*. Qui d’autre ? Difficile… Arthur ? Oui, peut-être. Nicolas… ? Euh… non, finalement, je ne garde que les trois premiers. Voilà pourquoi je ne pars pas. Et aussi parce que ça coûte trop cher. Je sais que maman aurait accepté si j’avais voulu, mais ç’aurait été difficile pour elle. S’il faut choisir, je préfère qu’elle garde l’argent pour qu’on parte en voyage ensemble. De toute façon, je n’ai pas envie d’aller là-bas. Trajet de douze heures de car. L’horreur. Et dormir dans un hôtel. Dans la chambre de qui ? Qui serait avec moi ? Vraiment, je ne préfère pas. Visiter le musée Dalí, c’est intéressant, mais je peux vivre sans.
Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no1 (« Journal, 14 août 2003 – 15 juillet 2004 »), j’ai quinze et seize ans.