Il y avait d’abord cette histoire de bilan, où la sécu me voulait du bien : « on va observer votre corps pour voir si tout va bien ». J’avais trouvé ça plutôt naze, je l’avais dit. Puis, j’ai reçu les résultats par la poste et, sans surprise, c’est à l’avenant : un peu naze aussi.
C’est un rapport de quelques pages, à côté duquel une feuille d’impôts est un morceau de poésie pure. Ça commence par cette phrase :
« Le bilan ci-après ne montre pas, dans son ensemble, d’anomalies remarquables. »
Mais, arrêtez-moi si je me trompe : ces mesures chiffrées qu’on a faites de mon corps (assorties d’aucune question d’ordre émotionnel), ces données mathématiques, physiques, chimiques, ne relèvent-elles pas de sciences exactes ? « Le bilan ci-après, dans son ensemble », disent-ils : est-ce à dire que, dans l’ensemble, je vais plutôt bien ? Mais cela, je le sais déjà, merci. Je le sais, car je le dis tous les jours : « Comment vas-tu ? – Ça va », et, en disant cela, je sous-entends que, dans l’ensemble, ça va, mais que peut-être certains points plus précis me perturbent, dont je ne parlerai qu’à mes intimes. Car on n’expose pas à tout le monde ses tracas physiologiques, ses inquiétudes domestiques ou métaphysiques, ses histoires de cœur.
« Dans l’ensemble, vous allez bien », disent-ils. Cela pourrait signifier que, quand on y regarde de plus près, ça ne va pas. La phrase est ambiguë. Et, aussitôt, ils en remettent une couche : « pas d’anomalie remarquable ». Quel sens donnent-ils à « remarquable » ? Ce mot peut exprimer la qualité exceptionnelle, énorme, de ces anomalies que je n’ai pas (suggérant que j’ai, en revanche, d’autres anomalies mineures), ou bien, il peut signifier, au sens strict : « ce que l’on remarque ». Ils disent donc, les gens de la sécu : « les anomalies que nous savons voir, nous » – sous-entendu : « il existe plein d’autres anomalies, mais on ne les a pas remarquées ». Imaginez, si j’étais du genre anxieux, combien une phrase aussi floue compromettrait ma sérénité.
Une page marrante : celle des analyses chimiques. Les substances que j’ai dans le sang. Des chiffres totalement abscons, mais, pour chaque, ils indiquent la fourchette de normalité. J’ai vérifié : mon chiffre à moi est toujours dedans. Je suis dans les clous. Sauf pour un chiffre, un seul, où je suis au-dessus : le « cholestérol HDL ». Je suis nettement au-dessus, même. Ah bon ? Mais, le cholestérol, n’est-ce pas ce truc qu’on attrape en bâfrant des rillettes à tous les repas ? Moi qui ne mange pas d’animaux, c’est à n’y rien comprendre. Il y a le fromage, certes, mais il faudrait que j’en avale une brouettée chaque jour pour avoir du cholestérol, non ? Ils n’expliquent rien, sur la feuille, les gens de la sécu, et c’est sur le web que j’ai trouvé la lumière. Le cholestérol HDL, c’est « le bon cholestérol », car c’est comme dans les westerns : il y a le bon et la brute – quant au truand, c’est celui qui trafique les chiffres de ses analyses. Alors, si j’en ai trop, ça veut dire que je vais bien.
La plus belle page est celle avec les dessins : l’électrocardiogramme. Ils me disent (en substance) : « ça fonctionne pas trop mal, ne vous en faites pas ; ah, attendez, il y a juste cette histoire d’arythmie sinusale, mais c’est rien du tout ». Ah, bon. Merci docteur. Est-ce cela qu’on appelle : jargonner ? Alors, moi, je décompose bêtement le mot : a-rythmie ; a privatif devant rythme ; le rythme du cœur qui est détraqué. Rien d’inquiétant, vraiment ? Sinusale : comme la courbe sinusoïde des lointains cours de lycée ? Une courbe régulière, alors. Qui monte, qui descend. Un rythme normal, donc. Pas détraqué du tout.
Je cherche. Et j’apprends comment fonctionne mon cœur. Il paraît que ce n’est pas le cas de tout le monde, mais que, moi, quand j’inspire, quand je gonfle mes poumons, je fais affluer le sang dans le cœur par les veines caves ; et mon cœur, grossi de sang, s’accélère. Quand j’expire, il ralentit. Vous ne faites pas ça, vous ?
Voilà ce qu’il m’apprend, ce bilan de la sécu. Que mon cœur palpite plus fort quand l’air du dehors, chargé d’oxygène, emplit mon corps. Que les battements de mon cœur varient au rythme de mon souffle. Et que ça porte un nom : arythmie sinusale. Une histoire de cœur, donc. De rythme et de souffle, de vie qui palpite et qui varie – et des mots pour le dire : une sorte de poésie, hermétique quelque peu, mais poésie quand même.