Montauban, espace-temps

Le temps était gris, le temps était à la pluie. Puis le ciel s’est dégagé, enfin : cet après-midi, deux heures libres, pendant lesquelles il fait jour. Je voudrais découvrir la ville, un peu.

Le temps est passé, mais pas trop vite : partout ces mêmes maisons de brique rose. Pas de construction moderne, le vingtième siècle n’existe pas. Le vingt-et-unième, si : le temps est bien présent, car ce centre-ville est vivant. Les temps se superposent ou se juxtaposent : sur les vitrines des magasins, on n’a pas effacé les petits bouts de littérature calligraphiés à l’occasion du festival Lettres d’automne. Un an, deux ans, trois ans plus tard, ils restent lisibles. Accompagnés d’une date. Je rencontre quelqu’un qui m’explique que la ville a été fondée en 1144. Je lui dis : « Vous préparez donc déjà une grande fête pour 2144 », parce que je trouve l’idée marrante. Fêter le millénaire. Mais, en vérité, j’espère que nous serons tous morts à cette date. La fête, ce sera pour les suivants, s’il y en a.

Je parcours des espaces, à l’horizontale, sur la surface de la ville – j’ai demandé un plan à l’office de tourisme, choisissant le modèle dit « administratif » avec toutes les rues, mêmes celles où les touristes ne vont pas. Je marche dans des rues et sur des places. Sur un boulevard fraîchement rénové, deux jeunes arbres ont été plantés à l’emplacement de deux acacias morts. Ces deux acacias, de leur vivant, ont porté les corps morts de quatre hommes, pendus le 24 juillet 1944. Un mémorial essaie de ralentir l’oubli, à défaut de retenir le temps.

On creuse l’espace, à la verticale. La place de la cathédrale est un vaste trou. Des panneaux vantent le futur radieux promis aux riverains : « Votre nouveau parking ». On se projette dans l’avenir. Au-dessus du parking, ce sera un square, comme autrefois, paraît-il (une image du passé). J’atteins une sorte de belvédère : je me trouvais donc en altitude sans le savoir. À mes pieds, une vallée. Un creux. J’avais repéré sur le plan : « Jardin des plantes », et au milieu de ce jardin coule le Tescou, affluent du Tarn. Dans les allées, je rencontre un chat, je le prends en photo. Il animera mon Instagram, sa bobine nous changera des vieilles pierres, des vieux papiers, des portraits d’hommes morts il y a plus de cent ans. Il sera l’animal vivant, témoignant de ces jours tellement vivants, tellement denses que je passe dans cette ville.

Je franchis des espaces. Je traverse le Tescou : sur l’autre rive, je me trouve en terre Osage et Cherokee. Il y a près de deux cents ans, des membres de ces nations ont franchi l’Atlantique, se sont perdus en terre d’Europe, et ont pu regagner leur pays « grâce à la générosité des Montalbanais ». En souvenir, un petit bout de pelouse leur a été offert : « Ami visiteur, vous êtes ici en terre indienne », dit la stèle. Elle dit « vous ». Il me semble que l’hommage aux quatre résistants pendus s’adressait à moi en me tutoyant.

Mon séjour est terminé, je rentre à Paris. Je franchis le Tarn, je traverse la Ville-Bourbon, je monte dans le train.

Le temps est passé à toute vitesse ; je suis passé au travers.

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