J’ai essayé d’écrire un truc, j’ai peiné une heure sur deux phrases, puis j’ai laissé tomber. Ce n’est pas ce weekend que j’enfourcherai le tigre : on fait ce qu’on peut. Par exemple, on peut lire quelque chose de marrant. T. me disait que Vercoquin et le plancton était l’un des seuls livres qu’il avait pu « lire convenablement » ces jours-ci ; j’ai fait comme lui.
Je suis retombé cette semaine sur les listes de livres que je tenais, adolescent ; j’ai interrompu cette habitude ensuite, puis l’ai reprise sur ce blog, publiant chaque mois les titres de ceux que j’ai terminés. Cette liste me dit que j’ai découvert Boris Vian à quatorze ans avec L’écume des jours et J’irai cracher sur vos tombes, puis j’ai lu L’arrache-cœur à quinze ans, L’herbe rouge, Les fourmis et Trouble dans les Andins à seize, c’est-à-dire la même année où j’ai connu Georges Perec – j’ai lu W ou le souvenir d’enfance, La disparition, Un cabinet d’amateur, La vie mode d’emploi, Les choses, Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ? et Les revenentes en 2004. C’est beaucoup à la fois, mais il faut dire que je n’avais pas de vie sociale en 2004 : ça aide. C’était l’année des Faux-monnayeurs aussi, et de Queneau. Je viens de lire Le côté de Guermantes ; j’avais lu Du côté de chez Swann en 2007. Je prends mon temps.
Est-ce que c’est bien, ou pas bien, de ne pas changer ? J’ai parcouru des carnets que je n’avais pas ouverts depuis quinze ans : à de rares exceptions près (le carnet qui couvre une période spéciale, que j’ai voulu reparcourir plusieurs fois), je n’ai jamais relu mon journal. Or, je suis tombé sur des réflexions que je pourrais réécrire telles quelles, sans rien changer.
Après avoir lu Les présents, L. m’a écrit : « un ancrage absolu dans le refus de grandir (et qui peut-être te définit véritablement, mais je n’arrive pas à le croire : c’est normal de ne pas être un petit garçon à plus de trente ans). »
Il a raison : je ne suis plus un petit garçon. Mais je suis encore vachement proche du type de seize ans qui lisait Vian et Perec, et du type de quinze ans qui écrivait, par exemple :
Jeudi 14 août 2003
Ça faisait longtemps que j’avais ce carnet. Je l’ai ressorti et me suis dit : « Il faudrait que je m’en serve. » Voilà, c’est ce que je fais. Je ne sais pas trop pourquoi j’écris. C’est bizarre. Ça ne sert à rien, mais j’aime bien.Lundi 17 novembre 2003
Je suis malade. Je n’ai pas été au lycée. S. m’a appelé ce midi et m’a dit qu’il y avait dix absents dans la classe. J. me dit qu’ils ne sont que quinze présents dans la sienne… Une épidémie ?Dimanche 23 novembre 2003
Jeudi, donc, on a été à Guise. Quatre heures pour l’aller, quatre heures sur place, quatre heures pour le retour. Le car est passé par tous les bleds. Pour tuer le temps, au retour, on a eu droit à un navet américain avec Mel Gibson et à un film japonais intello auquel je n’ai rien compris.
Le familistère, c’était intéressant. Par contre, l’usine, c’était assez bizarre. On avait l’impression d’être au zoo. On regardait les ouvriers bosser. La guide nous faisait les commentaires : « Surtout ne pas donner à manger aux animaux. » Déjà qu’ils font un boulot de con, huit heures par jour, dans le bruit, la chaleur, du mal à respirer… Si en plus il y a des touristes qui viennent les emmerder, tu parles d’un travail ! Et ils sont payés le SMIC pour ça. C’était très gênant. En plus, ils fabriquent des cuisinières en fonte qui seront vendues cinq mille euros.
Dans Des étés camembert, le Daniel Bourrion de seize ans ne fabrique pas des poêles Godin, mais des camemberts industriels à la chaîne. Je l’ai commencé ce matin. Je n’aurai certes pas enfourché le tigre, mais, au moins, j’aurai fait comme Robinson : j’ai été chercher dans la cale « du fromage, des choses très concrètes ». Le jambon, merci, je n’en mange pas.