Comme il habite près de la gare Montparnasse, L. m’a proposé de déjeuner chez lui avant d’attraper le Luçon-Express. L’idée était bonne, mais, dans ma tête, est apparue l’image lamentable de moi-même soulevant ma valise avec peine jusqu’au sixième étage où vit L. et, à cause de cette image, j’ai préféré renoncer. Parce qu’elle pèse des tonnes, ma valise : elle est bourrée de bouquins. Alors, tant pis pour les petits plats de L. : je l’ai retrouvé à la pizzeria, impasse de la Gaîté. Le déjeuner était gai (pas seulement à cause du nom de la rue), puis il m’a accompagné à la gare, mais pas jusque sur le quai : on aurait pu apprécier qu’il aille jusque sous les fenêtres de mon wagon agiter son mouchoir, à l’ancienne – mais c’est impossible désormais, parce qu’il y a ces portiques idiots qui vous barrent l’accès au quai, et qui vous gâchent vos adieux romantiques.
Le train, il y en a que ça berce. Moi, non. Je ne dors jamais dans le train : je suis trop excité pour ça. Sauf dans les trains de nuits, parce qu’il faut bien. Le plus souvent, je regarde par la fenêtre. Cette fois, j’ai tout de même lu mon livre. À côté de moi, un homme mâchait bruyamment des crocodiles en guimauve, imitation plastique. J’ai refusé poliment de les partager avec lui.
À Nantes, figurez-vous qu’il n’y a pas d’escalier mécanique pour descendre du quai, ni pour monter sur le suivant. On se trimballe la valoche comme on peut. Moi, j’avais une grosse demi-heure à tuer, et le jardin des Plantes est juste en face. Et figurez-vous qu’il est plus confortable de se promener avec une valise dans le jardin des Plantes que dans la gare : maintenant, vous savez. J’y ai vu les chèvres et les poules. Et les sculptures végétales de Claude Ponti. Et je me suis rappelé l’unique fois où je suis venu à Nantes, et je n’étais pas triste d’y penser, car c’était un souvenir heureux. L’heure de mon train approchait et je me suis dit : tiens, je vais jeter un œil au café de la gare, parce que je m’en souviens comme d’un lieu important de ma petite existence : c’était le jour de Noël et presque tout était fermé à Nantes, à l’exception des restaurants où nous n’avions pas pris de réservation, alors nous avions échoué dans cet endroit inattendu : le café de la gare. Et nous avions passé plusieurs heures au chaud, cet après-midi de Noël, au café de la gare. C’était bien. Bon, aujourd’hui, j’ai jeté un œil, et puis j’ai rien vu : ce café n’existe plus : le côté où il se trouvait (dans mon souvenir) est en travaux. Tant pis ou tant mieux.
Dans le Luçon-Express, il y a un chien rangé dans le sac de sa propriétaire, posé sur la tablette. Seule sa tête dépasse, ses yeux sont fermés : il roupille. Quand je vous le disais : le train, il y en a que ça berce. Moi pas. Je regarde dehors : les paysages me semblent familiers. On approche du but, et je reconnais l’église des Magnils-Reignier, et la piste cyclable empruntée au mois de mai, qui longe la voie ferrée. Je suis attendu par A., qui me dit que j’arrive juste quand le soleil revient. Je lui demande ce qui a changé à Luçon depuis le printemps : apparemment, pas grand-chose. Je me dis : tant mieux.
À la maison (oui : « à la maison », je le dis déjà – ou à nouveau), j’installe cette petite table sous la fenêtre de ma chambre : c’est exactement le genre de bureau que je voulais, c’est chouette, on me gâte. Et je feuillette le livre que je découvre à l’instant. Le livre, mon livre – et c’est étrange d’avoir entre les mains cet objet que j’ai conçu sur mon écran. Le livre, c’est Je connaîtrai Luçon, j’en avais parlé ici. Je le regarderai ce soir avec plus d’attention : là, je file, je suis attendu pour dîner.
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