Le pays joyeux des monstres gentils

J’avoue : pour parler des enfants, j’ai tendance à dire quelquefois : « les monstres » ou « les petits monstres ». Ça ne veut pas dire que je ne les aime pas. Le fait qu’ils soient des monstres ne m’empêche pas de les trouver mignons. Car il existe des monstres gentils, le savez-vous ?

Eux, ils le savent : ils me l’ont dit. J’écrivais au tableau des mots que les élèves me lançaient, en réponse à ma question : « C’est quoi, un monstre ? ». Et, après m’avoir dit qu’il était étrange et inquiétant, ils ont ajouté : « mais il n’est pas forcément méchant, il peut être gentil ». Ouf ! Même chose pendant les deux séances, ce matin au collège de l’Anglée et cet après-midi au collège Saint-Paul. Car, oui, il y a deux collèges à Sainte-Hermine : le phénomène est bizarre, mais, en Vendée, il n’est pas rare, et donc pas inquiétant – on ne peut donc pas dire que c’est monstrueux. Le monstrueux est venu progressivement, lorsque les monstres (les enfants) ont commencé d’inventer leur monstre (leur créature de fiction). C’était le thème de l’atelier d’écriture. Chacun a pioché un morceau d’animal, au choix, parmi les pattes, les ailes, les têtes et les tentacules que j’avais apportés (je parle d’images, bien sûr : moi qui suis végétarien, vous pensez que je n’aurais pas porté avec moi des pièces de boucherie). Et ils ont dessiné une chose vivante à partir du fragment de bestiole, en cinq minutes chrono. Pas le temps de fignoler le coloriage, hein : on est là pour écrire, tout de même, ce dessin n’est que le point de départ – et la séance est courte, trop courte. Je profite de ce que le temps nous soit compté pour prendre le temps, tout de même, de perdre encore du temps : juste pour leur expliquer les joies de la création sous contrainte : « On a une heure pour écrire une histoire, magnez-vous ! »

C’est C. qui m’accompagnait dans cette expédition à Sainte-Hermine : au déjeuner, il m’a dit : « Tu te rends compte, la dernière fois que j’ai mangé à la cantine d’un collège, c’est il y a quinze ans, quand j’étais moi-même au collège ». C’est implacable de logique. Moi, bizarrement, je me suis déjà livré à cette expérience plusieurs fois, depuis. C’est bizarre, oui, bizarre. Est-ce monstrueux pour autant ? Je ne sais pas. Cela dépend du menu, sans doute.

J’étais content, dans l’une de ces classes de sixième, de retrouver deux mômes que j’avais connus au printemps dans leur école primaire. Ils m’ont fait ce plaisir – presque ce cadeau – de me reparler de cet atelier, en des mots si précis que j’ai compris qu’ils avaient aimé ce moment et qu’ils en avaient retenu des détails sensibles, des petites choses fragiles qui ressemblent à des étincelles. Alors que, pourtant, dans le déroulé de cet atelier de printemps, je peux maintenant l’avouer : ça n’avait pas été évident. Je veux dire : l’étincelle, elle était bien cachée. Mais ça ne voulait pas dire qu’elle n’existait pas : je le comprends aujourd’hui. Quand bien même elle n’aurait fait que passer fugitivement, « entrant par une oreille et sortant par l’autre », elle a déposé sur son passage, à l’intérieur des têtes de ces petits monstres, une graine. Qui germe tranquillement. Et moi, je fais n’importe quoi avec mes métaphores, ce soir, mais c’est parce que je suis fatigué. J’ai peu dormi, la nuit dernière.

Bon, pour la faire courte : aujourd’hui j’étais à Sainte-Hermine. Les mômes ont écrit des histoires de monstres et ces histoires, à leur insu, vont germer dans leur tête comme des graines, et se transformer en mots. Les mots vont mûrir et, à la fin, ils deviendront un livre (oui, oui). J’ai eu affaire, donc, à une variété de monstres évolutifs : une espèce pas facile à cerner, certes, mais passionnante.

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