L’argent là où il est

Un truc qu’on aime quand on participe à une formation : rencontrer des gens qu’on ne connaît pas. Mais, j’entre à l’hôtel de Massa pour cette session organisée par la SGDL, et je tombe sur qui ? sur E., que je connais depuis des années. Tant pis. Non : tant mieux, car cela me fait plaisir. Il est venu pour s’informer sur ses droits, échaudé par son éditeur qui l’avait escroqué – cet homme-là ne m’a pas laissé que de bons souvenirs non plus, mais différemment.

La plupart des gens qui sont autour de la table ont eu de mauvaises expériences avec leurs éditeurs. Je m’interroge : est-ce à dire que je suis verni ? Lorsque je me présente, je dis que je suis heureux de travailler avec les miens. Je n’ai pas de problèmes, seulement des questions. Parce que cela fait un an et demi que je n’ai aucune autre activité, aucun autre revenu que ceux qui touchent de près ou de loin à mon écriture, même si ça me paraît fou de le dire, et que je n’arrive pas encore, pour autant, à comprendre comment tout ça fonctionne. Tout l’argent que j’ai reçu a pris la forme de « droits d’auteur », mais je n’ai perçu que quelques centaines d’euros par la vente de mes livres, et tout le reste, eh bien, par le biais du « reste ». Je me demande si cet équilibre entre mes revenus artistiques et mes revenus accessoires tient la route. Les explications données par les gens de la SGDL sont limpides, et je comprends soudain que les six mille euros que j’ai touchés en résidence, et qui représentent la plus grande part de mes revenus de l’an passé, sont à ranger du côté de l’artistique, et je range « le reste » du côté de l’accessoire. Ce dernier reste donc nettement inférieur à l’artistique : je suis dans les clous. J’ai même la surprise d’apprendre que, par miracle, j’ai probablement validé des trimestres de retraite en 2019, sans le savoir. Oh, joie ! Si, le moment venu, je ne suis plus vivant, je les offrirai à la société : vous en ferez ce que vous voudrez.

Au fait : je n’ai pas dit devant tout le monde que mon projet secret pour atteindre la fortune, c’était de dealer des fanzines pornos, mais je vous le dis à vous : les Histoires pédées s’achètent ici, à portée de clic.

Autour de la table : des auteurs souvent échaudés. Voire, pour quelques uns : amers. Ils ont eu des mésaventures. Moi, je ne peux pas me plaindre de mes éditeurs, bien au contraire. Mais, même avec des éditeurs réglos, et même si ceux-ci me payaient encore plus, même s’ils me donnaient toute la marge qui est la leur (par abnégation, pour la beauté du geste), et même si mes livres se vendaient trois fois plus, et même, et même, et même… Je ne gagnerais, de toute façon, pas assez pour vivre, si je me contentais d’attendre que mes livres se vendent. Mes livres, en tant qu’objets commerciaux, ne génèrent pas assez d’argent, quelle que soit la répartition du chiffre d’affaire : même s’il est bien partagé, un petit gâteau ne peut produire que de petites parts. Mes éditeurs ne sont pas riches, et le genre de libraires qui s’intéressent à ce que nous faisons ne sont pas très riches non plus. Évidemment, ce sont les ateliers d’écriture, ainsi que cette précieuse résidence qui ont mis des sous dans ma tirelire, l’année dernière. Mais alors, si on ne peut pas piquer dans les poches des éditeurs pauvres pour renflouer les auteurs pauvres, dans les poches de qui doit-on se servir ?… À la même question s’impose toujours la même réponse : « dans les poches les plus pleines », c’est-à-dire : celles auxquelles on ne s’attaque pas souvent. Prendre l’argent là où il est.

Cette photo d’illustration est complètement hors de propos : je vous le promets, ce n’est pas moi qui ai volé ce petit Rodin pour le revendre sur le Bon Coin et me faire de l’argent de poche : le socle était déjà vide quand je suis entré à l’hôtel de Massa.

Pour gagner des sous, je vois deux solutions : revoir ce système de fond en comble (je parle du capitalisme, bien entendu) ou travailler dur, dans les quelques trous de souris qu’on nous laisse. À court terme, j’adopte la seconde solution. Mais, si j’aime tellement cette deuxième option (ai-je assez dit combien j’aimais ces ateliers d’écriture, notamment celui de Saint-Denis qui se termine demain ?), ce n’est pas pour autant que j’oublie la première, qui ne perd rien pour attendre.

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