La chance (mais pas que)

Quelqu’un me demande quelle joie me procure l’écriture. C’est un mot que je n’utilise pas beaucoup : joie – et qui est pourtant dans le titre d’un billet récent. Je suis pris au dépourvu et, même si je ne me sens pas obligé de répondre à ce message avec tant d’exactitude, je prends le temps de formuler quelques phrases. Pour lui, peut-être (mais je ne le connais pas). Pour moi, alors. Je lui dis que je ne me pose jamais la question ainsi. Que l’écriture n’est pas une activité qui, en soi, me fait éprouver une émotion plutôt qu’une autre. Qu’elle n’est pas vraiment une activité. Elle est une façon de comprendre et de mettre en forme une émotion, quelle qu’elle soit. Parfois, je suis triste, ou inquiet. Parfois, plus proche de cet état heureux. Je suis en vie, quoi. Et à chaque instant, en même temps que je vis, j’écris – dans ma tête, à défaut d’écran ou de papier. Cela, de manière de plus en plus consciente, depuis quelques années, mais probablement depuis toujours. Alors, de savoir si c’est cela qui est la cause de la joie ou une source d’inquiétude, ou seulement le symptôme de l’une, puis de l’autre… Qui, de l’œuf ou de la poule.

J’ai rencontré quelqu’un avec qui le mot « ambition » a été prononcé. Savoir si on en a, ou pas. Je lui ai dit que j’étais comblé. Que j’avais tout, rapport à mon écriture et à mon intention de continuer ainsi. Si j’ai une ambition, alors, c’est que cet état perdure : qu’on me fiche la paix, qu’on me laisse occuper la plus grande part de mon temps comme je l’occupe aujourd’hui. Et que quelques fidèles continuent de s’intéresser à ce que je fais. Que « ce que je fais » soit suffisamment visible pour que d’autres curieux arrivent de temps en temps, quitte à repartir ensuite. Qu’ils aient pu, au moins, être au courant. Avoir des milliers de lecteurs ? Je ne suis pas contre. Mais comme c’est riche, déjà, et précieux, de savoir ces yeux posés sur ce que je fais, ces yeux qui y trouvent un intérêt, peut-être une beauté, ou le reflet d’une émotion – des gens qui me comprennent et m’encouragent. J’en ai quelques-uns. Je m’estime très chanceux. Et, dans ma petite vie d’aujourd’hui, cette chance s’articule bien avec des choix que j’ai faits (ma façon de travailler, mon emploi du temps). Ça se goupille bien. Il y a ces choses que j’ai choisies ; et d’autres que j’aurais pu désirer en vain, mais qui sont là, je ne sais pas par quel hasard. J’aurais pu rêver d’avoir J.-E. à mes côtés, et il aurait pu ne jamais exister pour autant ; mais il est là. C’est pour ça que j’ai dit l’autre jour à quelqu’un : « Je suis comblé ». Je n’ai pas dit : « Je suis heureux », parce que c’est autre chose. Disons : j’aime ma façon d’être vivant.

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1 commentaire

  1. Oh oui, Antonin, tu peux en être persuadé, il y a bel et bien de l’émotion à te lire….et j’ai hâte de découvrir ce roman à venir.

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