C’est un pic, c’est un cap

On traversait la forêt de Vouvant. Un panneau signalait la possibilité qu’une biche nous coupât la route : ça n’a pas manqué, une biche est sortie du bois, a traversé devant nous. Puis, un autre panneau, plus loin : « Attention enfants ». J’ignorais que des enfants sauvages pussent vivre en ces bois. On ne les a pas vus.

Au sortir de la forêt, une petite route bifurque, presque un chemin. Des arbres, encore, mais d’un autre type. Plus domestiques. Un genre de parc. Ils sont immenses, ils sont en feuilles, ils nous masquent la chose que nous sommes venus voir — moi, je ne sais pas encore ce que ce sera, car c’est une surprise. D’un coup, elle surgit. Comme la biche, un peu plus tôt.

C’est une très grande chose. Un truc immense. Une proéminence, un échafaudage, un derrick, une tour Eiffel, un château d’eau. Que dis-je ? C’est un chevalement. C’est ainsi que le nomme W.

Cette excroissance de béton posée sagement sur le sol est la manifestation visible (la partie émergée de l’iceberg) d’un phénomène souterrain dix fois plus profond : le puits dans lequel descendaient les mineurs — car ce chevalement est en quelque sorte la cage d’ascenseur dans laquelle ils se massaient, matin et soir, pour aller au charbon. Deux cents mètres de descente : j’en frémis. C’est effrayant, mais c’est abstrait ; j’ai du mal à réaliser, du haut de ma petite vie confortable, ce que cette distance représente. J’essaie de comparer avec une grandeur connue : deux cents mètres, ce serait comme la tour Montparnasse, mais à l’envers, sous le niveau du sol (ce ne serait pas bête, d’ailleurs, d’enterrer la tour Montparnasse — une idée à creuser).

Je me demande à quoi ressemblerait le paysage, vu de là-haut. Je dis :
« Il faudrait installer un escalier, une échelle.
— Il n’y a que les ouvriers qui travaillaient ici, et ceux qui ont rénové la structure, qui ont pu profiter de cette vue : laissons-leur ce tout petit privilège.
— Ah, mais ! je ne parlais pas de faire monter tout le monde, d’en faire une attraction. Ce serait seulement pour moi, pas pour les touristes.
— Tu es un touriste ! »

En quittant Épagne (car c’est le nom de ce lieu), W. nous fait passer par Faymoreau : les corons étagés en terrasses, les jardins, le jour déclinant sur le bocage. Nous reprenons la route, sans croiser ni biche ni enfant (les unes et les autres sont couchés, sans doute, à cette heure). En regagnant la plaine, le soleil a disparu.

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