Jeudi, je dessinais peinard Anatole. J’ai terminé la planche 7. Ça avance, mais pas vite, parce que je soigne le dessin. Tout à coup, j’ai eu une nouvelle envie ! Envie de me mettre en scène dans une BD, de dessiner des choses vécues, de mettre en images des anecdotes de ce journal par exemple. Ce n’est pas nouveau comme idée : je l’ai déjà fait, mais c’était trop prétentieux. C’était en grand format, à la plume, etc. Là, c’est dessiné très rapidement (vingt minutes par planche), au feutre, sans crayonné préalable, au format A4.
Et ça parle de quoi ? Devinez. Mon homosexualité, bien sûr. Il y a une introduction et une conclusion de deux pages chacune et, entre les deux, seize histoires d’une page. Soit vingt pages. La première a été dessinée jeudi soir, la dernière hier après-midi. Tout a été bouclé en moins de deux jours. Ça m’a pris subitement et ça a monopolisé mon esprit jusqu’à ce que j’ai fini. J’ai eu du mal à m’endormir, je ne pensais qu’à ça.
J’ai dessiné une couverture (rose). Je vais scanner toutes les pages, les réduire, les imprimer, les agrafer. Ça me fera un bouquin A5. Le petit livre rose d’Antonin. Je ne sais pas à qui je le montrerai. Je n’en ai parlé à personne. En tout cas, je suis content de moi : c’est autobiographique, mais ça reste lisible par d’autres, je pense.
À part ça, j’ai commencé à travailler pour le lycée. Incroyable ! Une heure hier soir, et autant aujourd’hui. Et ça ne m’a même pas répugné. J’ai fait des fiches en éco. Je n’en avais jamais fait.
J’ai lu dans le jardin Nic Oumouk, le dernier album de Larcenet. Des guêpes ont fait leur trou dans la pelouse.
Ce matin, je suis sorti acheter du pain, il faisait beau, j’avais mes lunettes de soleil à ma vue. Elles sont neuves. Elles sont classieuses, un peu frime. Mais, surprise : la boulangerie était fermée. Un faire-part de décès sur la porte. Merde. C’est peut-être la vieille boulangère que j’aimais bien. Je ne connais pas son nom… Ça me met mal à l’aise. Je n’aime pas ça. Mais je ne me laisse pas démonter, je vais à la boulangerie d’en face.
Plus tard
La première semaine des vacances est déjà terminée. Je ne me suis pas ennuyé un seul instant ! Entre Anatole et Depuis que je sais ce que je suis, et puis mes lectures, et un peu de travail, je n’en ai pas eu le temps.
Je n’ai vu personne, à part S*, quelques heures, ce mardi. Mais ça me convient. Il faudrait quand même que je voie Benoît, on ne se voit jamais… Mais c’est ambigu, ma relation avec lui : je ne sais plus s’il compte pour moi. À chaque fois qu’on cause un peu (c’est très rare), j’apprécie beaucoup. Pourtant, je ne le sollicite plus. La dernière fois qu’on a passé du temps ensemble, c’était aux vacances d’hiver, et j’avais été un peu déçu. Aurions-nous changé ? Peut-être qu’on se perd. Ce serait dommage. La dernière fois, il m’a emprunté des bouquins. Du coup, j’ai peur d’avoir envie de le voir uniquement pour les récupérer. Ce serait minable de ma part. Mais je ne sais plus… Ce serait trop bête de perdre un ami : je n’ai ai pas beaucoup.
Mon grand trip en ce moment, c’est : d’ici à la rentrée, il faut que je fasse mon coming out. Mais oui, c’est ça ! On y croit… J’ai pensé que je le dirais à M* par exemple, en lui disant que ce n’est pas un secret. Lui dire ça par MSN : je sais que j’en suis capable. Encore faudrait-il que je la rencontre sur MSN… Il faut que je vous dise : je l’avais bloquée, pendant longtemps (je l’ai débloquée il y a trois jours) pour une histoire de jalousie, hum hum… Du coup, on n’a pas tellement l’habitude de communiquer par ce truc !
Je me dis aussi : il faut que je termine Ours du soir, espoir et que je le fasse lire, comme d’habitude. Ce serait une bonne entrée en matière pour aborder mon homosexualité ?
Il faut que j’arrête avec cette obsession. Le fait d’écrire là-dessus (et maintenant, de dessiner), ça me met le nez dedans et j’y pense encore plus. Mais ça ne me déprime pas ! Je suis cool.
Un autre de mes grands trips du moment : devenir pote avec Florian d’ici à la fin de l’année. Hum ! Tu te réveilles un peu tard, l’ami ! L’année est terminée, il n’y a plus que trois semaines de cours ! Fallait y penser avant.
Sur les pages précédentes, j’ai dessiné. Je sais pourquoi j’ai eu envie de faire ça. Je suis en train de lire le Journal de Julie Doucet, un journal dessiné. C’est Benoît qui me l’a donné il y a longtemps, je ne le lis que maintenant. Il me l’a donné parce qu’il l’a acheté, mais pas aimé. Il me l’a filé, sachant que j’aime plus que lui les machins d’auteur.
Souvent, je m’imagine être un vrai auteur de BD, dès aujourd’hui. C’est très concret. Pour commencer, je me vois photocopier à grande échelle une de mes BD (Les vacances de Torink, c’est ce qui me paraît le plus commercial) et imprimer la couverture en couleurs chez un imprimeur. Techniquement, j’ai pensé à tout. Une fois assemblé (agrafé), j’irai démarcher les libraires (l’Univers du livre, la Marque jaune, la Maison de la presse du Vésinet) et je déposerai des exemplaires chez eux. Je leur proposerai une séance de signature. Ça se vendrait assez bien. Ou alors, je créerai mon propre fanzine, que je ferai entièrement seul. Je le photocopierai et le vendrai autour de moi, et le proposerai aussi aux libraires. Comme Trondheim avec son Approximate Continuum Comics Institute. D’autres fois, je me vois carrément édité. J’enverrais mes projets à un petit éditeur indépendant, comme l’Association, Ego comme X, les Requins Marteaux, Cornélius, les Rêveurs ou je ne sais quoi. Ou à un magazine : Ferraille, Psikopat ou Fluide. Ça fait du bien de rêver.
Mon mois de juillet, je vois ça d’ici. Je vais rester seul. S* va travailler : elle part bosser à Madrid. Et qui d’autre, hein ? Je n’ai pas de copains. C’est malin.
Et je n’ai pas cherché de travail. Je culpabilise… Je suis fainéant et j’ai honte. Je sais que ça aiderait beaucoup maman à payer mes études (qui coûtent assez cher, malgré leur gratuité).
Alors je vais passer mon mois seul. J’aurai tout mon temps libre pour ma lancer dans un grand projet de BD. Sinon, je ne peux pas : ça prend trop de temps et, aussi, trop de place dans mon cerveau. Alors, je me limite à des Anatole de quelques planches. Ou, comme je viens de le faire, ce projet de vingt pages autobiographiques : il n’y a pas de scénario construit (des anecdotes ou des réflexions d’une page) et c’est dessiné très rapidement. Si je veux faire quelque chose d’ambitieux, j’ai besoin de tout ce mois.
Une dernière chose à propos de ce Depuis que je sais ce que je suis : je suis content, parce que c’est un premier pas vers une déprime constructive. J’explique. Je veux bien vivre des choses difficiles, si je peux en ressortir quelque chose. Par exemple : si Baudelaire avait toujours un bon moral, on n’aurait pas eu Spleen. Si c’est pour faire ça, je suis d’accord : le malaise constructif. Là, j’ai réussi à créer quelque chose à partir de mes expériences vécues, pas toujours gaies. Ce que je n’aime pas, c’est la déprime accablante, qui rend amorphe, qui ne sert même pas à créer.
Je viens de numéroter les pages de ce carnet. J’aime bien séparer les pages qui restaient attachées au niveau des trous de la spirale. Ça fait un bruit. Jusqu’à ce que je sépare ces pages pour la première fois, elles n’avaient jamais été séparées : elles étaient comme scellées, depuis leur fabrication, et elles ne le seront plus jamais. On ne peut les séparer qu’une fois.
Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no4 (À la découverte de la vie normale, 13 avril – 6 juin 2005), j’ai dix-sept ans.