Noms de lieux : les gens qu’on aime

Elle n’a pas tenu longtemps, la rue Robespierre, à Paris (il en était question ici). En revanche, nous aurons bientôt un quai Jacques-Chirac. Moi, j’aime mieux Robespierre. Mais c’est comme ça. Hier, de passage à Saint-Denis, je suis passé par le square Robespierre qu’ils ont là-bas, qui n’est pas très joli, qui n’est remarquable en aucune façon, qui n’était pas plus luxuriant qu’un autre – juste parce que son nom me plaisait. Il y a ce buste, dans un coin. Un buste avec un nœud de cravate assez gros pour dissimuler la marque laissée par la guillotine.

Plus tard, je reçois un message de M., sans rapport avec ma promenade dionysienne. Il me raconte que, dans sa ville, il y a un pont. Il s’est souvent accoudé au parapet de ce pont (dans une attitude que j’imagine volontiers mélancolique), parce que ce pont porte le nom d’un poète qu’il aime. Il a passé du temps, aussi, les jambes ballantes au bord du fleuve, à lire la poésie du grand homme. Et soudain, patatras : il s’est aperçu qu’il avait mal lu le nom du pont, un an plus tôt. Que celui-ci ne s’appelle pas du tout comme le poète. Que sa dénomination rend plutôt hommage à un militaire. Un militaire ! Il m’a fait part de son dépit – de sa déception. Pour lui, c’était comme une trahison. D’abord, j’ai souri. Et puis je lui ai dit combien je comprenais son émotion, parce que c’est exactement le genre de trucs que je fais, moi aussi : aller dans un lieu parce qu’il porte le nom de quelqu’un que j’aime. Par exemple, quand je passe par ce quartier qu’on appelle « la campagne à Paris », je m’arrange pour en redescendre par la rue Georges-Perec.

Hier, si j’étais à Saint-Denis, c’était pour visiter le collège Elsa-Triolet, où je travaillerai bientôt avec une classe de sixième. Eh bien, avant de venir, j’ai lu un roman d’Elsa Triolet. Pour m’imprégner. Alors qu’elle n’a sûrement aucune responsabilité dans ce collège, on est bien d’accord. Elle était même morte bien avant qu’on envisage de le construire. Mais tout de même, le nom ! Alors, j’ai lu Roses à crédit, dont je gardais le vague souvenir que J. avait été obligée de le lire quand elle était au lycée. J’ai lu ce roman sans contrainte, moi, aussitôt que je suis tombé nez-à-nez sur lui dans une boîte à livres. Je l’ai aimé. Je raconte ça à M. hier soir : que j’ai lu le livre d’une femme dont le nom a été donné au lieu où j’avais rendez-vous. Et j’ai pensé que, comme lui avec son pont, j’aurais été bien embêté si je m’étais aperçu, finalement, qu’il s’appelait en réalité collège Marguerite-Duras (parce que j’aime pas trop Marguerite Duras).

Il y a encore (mais c’est une espèce en voie de disparition) certains lieux qui ne rendent hommage à personne – qui portent seulement le nom du lieu-même. Par exemple : la bibliothèque Saint-Éloi est située dans le périmètre du square Saint-Éloi, de la cour Saint-Éloi et de l’église Saint-Éloi. Alors, comme c’est exactement le quartier où j’ai situé L’épaisseur du trait, je suis content de pouvoir parler de mon livre (le 7 novembre prochain) dans un lieu qui porte le nom de la rue où vit Alexandre. Ça a du sens, pour moi. N’allez pas croire pour autant que je serais malheureux d’être invité dans un lieu qui s’appellerait, par exemple, bibliothèque Jacques-Chirac – mais bon, quand même, ce ne serait pas pareil. Je suis sûr que vous voyez ce que je veux dire.

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