Voilà, j’ai donc eu ma Journée d’Appel hier. J’avais apporté un carnet pour m’occuper. J’agrafe les pages à la suite de celles-ci. Ensuite, le soir, on a été tous les trois à la pizzeria de Saint-Germain et on a bien rigolé. J’aime les soirées comme ça.
pages agrafées
9 heures moins le quart… « Qu’est-ce que je fous là ? » : c’est la question qui transparaît sur le visage de tous les jeunes qui sont ici… Ambiance sinistre. On attend.
On nous propose gentiment un petit déjeuner : croissants et jus d’orange. Non, merci, ça ne me dit rien.
À 9 h 10 (dix minutes en retard), on entre. Chacun a une place attribuée. Les trois militaires qui s’occuperont de nous se présentent. Je n’ai pas retenu leur grade, j’avoue ne rien y connaître. Il y a un réserviste, qui a sorti le bel uniforme rien que pour nous. Il a l’air assez gradé. C’est un petit rigolo. Il y a une nana, de la marine, quelque chose comme lieutenant. Et il y a un sous-fifre, qui n’interviendra pas. Il n’est là que pour distribuer et ramasser les feuilles. Chacun à sa place ! C’est un jeune. Habillé autrement, il ne serait pas trop mal. Mais les militaires, c’est pas mon genre : le pantalon de treillis et les bottes, c’est pas seyant. Les gradés par contre, ils sont bien dans leur uniforme classieux, la belle veste et tout. Mais ça reste un uniforme.
Nous aussi, on doit se présenter. Nous sommes quarante-cinq et, chacun notre tour, nous déclinons notre nom, notre âge, et ce qu’on fait dans la vie. C’est pour faire connaissance, pour briser la glace. Peine perdue : l’ambiance reste assez sinistre. Et ce n’est pas moi qui engagerai la conversation, vous me connaissez.
Ah ! On entre dans le vif du sujet. On nous montre un DVD sur la citoyenneté. Les banalités habituelles. Remarquez, c’est toujours utile. C’est le rigolo qui fait les commentaires, puis qui pose les questions. Il aimerait bien qu’on participe un peu. Mais, à part un, on reste amorphes. Moi, j’ai fini par répondre à une question à un quiz : l’âge minimum pour se présenter à une élection municipale, c’est dix-huit ans. Super. Il m’offre un crayon avec le logo JAPD et « Ministère de la Défense ». Je l’avais déjà, puisqu’on en donne d’office un à chacun. Mais c’est pour motiver les troupes.
10 h 10. Pause. On sort, mais quasiment personne ne parle. C’est long, cinq minutes dans ces conditions.
On rentre. Ce sont les tests de français, d’une difficulté inouïe. Le premier consiste à indiquer si deux mots se prononcent de la même manière : « maison » et « mézon », oui ; « arbre » et « artre », non. Le deuxième, on doit dire si un mot existe ou non : « lapin », oui ; « pijjul », non. Au début, ils nous prennent pour des cons ; à la fin, j’admets qu’on puisse hésiter, par exemple sur « simiesque ». Certains des mots inventés sont rigolos, on se croirait chez Boris Vian. J’avoue, c’est bien trouvé. Ensuite, les tests de compréhension de base : lecture d’un programme de cinéma, et questions sur un extrait d’Un sac de billes.
On reprend le DVD. Cette fois, c’est la nana de la marine qui fait le speech. Les différentes missions de l’armée. On n’apprend pas grand chose, on s’ennuie pas mal. Deux fois, la nana nous lance un « On est contents d’être là » enthousiaste et ironique. Bon, ils se rendent compte qu’on se fait chier, c’est au moins une bonne chose : ils sont lucides.
Midi moins le quart. On va manger. La bouffe est pas mal, ça va. Je m’installe à côté de deux filles qui se connaissent et qui discutent, mais on n’échange pas un seul mot. Je mange vite et je sors. Il faut attendre jusqu’à 13 heures. Alors j’attends. Je vais à l’arrêt de bus pour voir les horaires du retour. À l’aller, maman m’a accompagné en voiture.
Puis je vais m’assoir seul dans un coin, à l’écart. Et j’écris.
À 13 heures, ce sera une initiation au secourisme avec la Croix-Rouge. Ça au moins, c’est utile. Puis, une présentation des différents métiers de l’armée. Peut-être que des pigeons se laisseront monter la tête et seront tentés par une carrière… Des paumés, sans diplôme, qui voient là la seule issue possible. C’est malheureux.
Dans mon groupe, il y a une fille qui a prévu d’intégrer l’armée. Sinon, les autres s’en foutent. Et quelques uns (les seuls qui parlent) critiquent et crachent sur l’armée. C’est amusant. Parmi eux, un type genre baba cool qui plane en permanence ; et une pseudo-racaille versaillaise (ça existe donc !)… Ceux-là se sont regroupés dès le début. Affinités électives. On y cause cannabis. D’ailleurs, on nous l’a rappelé : pas de pétard dans la base ! Ne pas provoquer le gendarme sur son territoire ! Bien sûr, il y a toujours des cons pour le faire. Juline m’avait raconté ça, pour sa propre Journée d’Appel.
17 h 30. Ça y est, c’est fini. Depuis plus d’une heure. Là, je suis à Versailles, devant la gare des Chantiers, j’attends mon bus pour Saint-Germain. L’après-midi a été plus sympa. Grâce au secourisme sans doute. Quand on doit manipuler un mec pour le mettre en « position latérale de sécurité », ça crée des liens (le bouche-à-bouche était sur des mannequins, par contre). J’étais avec un petit gros baraqué, genre à qui il faut pas chercher des emmerdes, mais l’air sympa en même temps. Et puis, le moniteur de la Croix-Rouge était très bien. C’est une initiation très basique, mais c’est déjà ça d’utile.
Présentation des métiers de l’armée. La nana a discuté avec celle qui veut entrer dans l’armée, pour partager ses expériences. Finalement, ils sont sympathiques ces militaires… Je n’aime pas leur uniforme, mais eux-mêmes sont des gens assez normaux.
On nous a remis nos diplômes. Je vais sûrement l’encadrer…
Puis, il a fallu attendre une demi-heure le bus qui nous amène à la gare des Chantiers. Là, enfin, un peu de contact s’est établi. Dans le bus aussi. J’ai échangé quelques phrases avec un mec. J’ai fait le trajet avec trois, quatre types. Le mec regrettait de ne pas avoir pris le numéro de téléphone de quelques « gazelles » (le mot est de lui), mais « une de perdue, dix de retrouvées ». Après quelques considérations sur la grande utilité de cette journée, notre bus est arrivé à destination. J’imagine qu’ils ont pris le train. Moi, j’attends mon bus. Je me suis acheté le Psikopat au kiosque de la gare, pour patienter. C’est l’armée qui me paie mon magazine, en fait : sur les huit euros de l’indemnité de transport, je n’ai dépensé que deux euros quatre-vingts pour le bus.
Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no4 (À la découverte de la vie normale, 13 avril – 6 juin 2005), j’ai dix-sept ans.