Dimanche 28 août 2005

Nous sommes rentrés de Goudelancourt hier. Une fois les valises rangées, la première chose que j’ai faite, ç’a été d’envoyer ces deux Riri à B*. Je ne suis pas très content de moi, car je n’ai pas réussi à être drôle. J’ai été trop grave. Tant pis. Au moins, j’ai fait ce que j’avais prévu de faire, et c’est important. Pour « noyer le poisson », comme je le dis, et faire oublier le ton du premier, je lui ai envoyé ce deuxième Riri, pas très drôle non plus. Bon. C’était un « jour sans », tant pis. Aujourd’hui, à midi, je n’ai toujours pas reçu de réponse. Mais je ne m’inquiète pas : peut-être n’a-t-il pas consulté ses mails ?

La « chouette chemise bleue » dont il est question dans Riri, c’est un cadeau de papy. Tous les ans, quand on vient à Goudelancourt, on a un petit cadeau qu’il nous rapporte de Tunisie (il part toujours à Djerba en juin). Malheureusement, il lui arrive de mal choisir : plus jeunes, nous avons souvent eu des t-shirts « Tunisie » que nous n’avons jamais portés, parce qu’ils étaient trop petits (et pas à notre goût). Cette fois, je suis content, car il m’a offert une « chouette chemise bleue » qui me plaît beaucoup et qui n’est pas trop petite, loin de là (au contraire, je flotte un peu).

Un jour, papy m’avait offert une chaînette que j’ai portée assez longtemps à mon poignet, puis que j’ai cessé de porter il y a un an peut-être, parce que je m’en lassais. Le matin, juste avant de partir à Goudelancourt, j’ai pensé que ce serait une bonne idée de la retrouver, pour lui faire plaisir (et en effet, il l’a remarquée) : je l’ai cherchée partout, j’ai fini par la trouver. Je l’ai à mon poignet en ce moment, je vais peut-être la garder un peu, je l’aime bien.

Finalement, bien que je ne fusse pas enchanté d’y aller, j’ai pris plaisir aux trois jours passés là-bas. Je me suis surpris à éprouver ce sentiment que je n’éprouve que très rarement : le sentiment d’être bien, de n’avoir plus aucun souci, de prendre du bon temps. Une sorte de plénitude proche du bonheur bête. C’était très agréable, ma foi. J’avais oublié comme on rigole bien avec papy, toujours là pour raconter des bêtises et nous faire marrer. Des calembours, souvent. Des blagues que j’entends depuis toujours, des expressions que je lui connais depuis que je suis tout petit. Et ça fait du bien de voir que, dans cette maison, rien n’a changé. Tout est à sa place, la même place depuis l’année dernière, et l’année d’avant, et toutes les précédentes. Des dessins que Juline et moi avons faits sont restés accrochés au mur. Les photos aussi. Et puis, j’avais négligé à quel point notre visite pouvait lui faire plaisir. Même s’il ne l’exprime pas, cela se voit.

Je change de sujet pour revenir à mes préoccupations b* (oui, encore). Je ne pense plus à lui de la même manière. Certes, mes pensées sont toujours de l’ordre du sentiment amoureux, mais elles sont positives. Après analyse (et vous savez comme j’aime m’analyser), je trouve que mon sentiment pour B* n’est pas sain : il n’est pas très clair, il ne peut déboucher sur rien de constructif. Surtout, pas sur une relation d’égal à égal. C’est une sorte de fascination incontrôlée, je place B* sur un piédestal si haut que je le rends inaccessible à moi-même. Je l’admire pour toutes ses qualités, y compris pour celles qui ne méritent pas de susciter l’admiration. Je le trouve beau comme personne. Cette fascination est telle que, même s’il ressentait quelque chose pour moi, nous ne pourrions pas construire quelque chose de sain. Parce que je n’arriverais pas à croire que ça m’arrive (« B* m’aime ! ») et j’aurais toujours l’impression de lui être redevable, comme s’il m’accordait son amour par faveur. Voilà : ça, c’était avant. J’ai évolué. Un peu seulement, mais tout de même. Peu à peu, je comprends que B* n’est pas un demi-dieu, une sorte d’être surnaturel incarnant la Beauté sur terre. Il n’est qu’un garçon parmi d’autres (ça me fait mal de l’écrire, mais c’est la cruelle vérité), un garçon comme les autres. Et s’il était amoureux de moi, son amour ne serait pas un don plus rare et précieux que l’amour éprouvé par une autre personne : lui aussi, comme tout le monde, peut tomber amoureux, alors pourquoi pas de moi ? D’autre part, je réalise progressivement que, moi aussi, je suis un garçon comme les autres. Je suis donc, tout autant que les autres (et même : tout autant que B*) apte à être aimé. Il est vrai que, du point de vue physique, j’ai peine à me trouver désirable, mais je me rends compte que je peux être séduisant aussi, parfois, concernant d’autres aspects de ma personne. Et que j’ai droit à l’amour, autant que les autres. Autant que lui, donc.

Je disais donc : je pense désormais à B* dans le contexte d’une relation plus vraie, plus égale. Je me suis plu à m’imaginer avec lui, dans des situations romantiques très « cliché ». Par exemple, quand j’étais à Goudelancourt, j’ai songé qu’un endroit comme celui-ci, si coupé du monde (j’ai tendance à dire : si mort), qui semble chiant à mourir dans certaines conditions, pourrait devenir un lieu idéal pour passer un moment à deux. Je me suis imaginé seul avec lui, à la campagne, nous livrant à toutes les activités les plus mièvres : se promener dans les champs, s’étendre dans l’herbe, cueillir des noisettes (oui, des noisettes), ne rien faire au soleil, être deux. Avec lui, ou avec un autre. Ces rêves m’ont parus très sains. Accessibles. Équilibrés.

À propos de rêve. J’écris celui de cette nuit. Je suis chez moi. Il y a plein de monde, notamment C* et sa famille, Juline et maman, et des copains (je ne sais plus lesquels)… et Florian. À un moment, tout le monde s’en va. Je crois être seul. Puis je m’aperçois que quelqu’un est resté dans le jardin. Je reconnais Florian, assis par terre, les bras entourant ses genoux, l’air triste et songeur. Il reste longtemps prostré dans cette position. Je finis par venir vers lui. Je me propose pour l’aider, pour l’écouter. Je ne sais plus ce qu’il me dit alors, mais nous passons un long moment à discuter. Petit à petit, les autres personnes reviennent. Florian a retrouvé le sourire. Je suis content de l’avoir revu et d’avoir partagé cette intimité avec lui. Je me dis que, ça y est, enfin, nous sommes devenus proches, je pourrai établir un vrai lien avec lui.

Il est étrange que Florian soit un personnage aussi récurrent dans mes rêves. Certes, il a occupé une grande place dans mon esprit, mais pendant une courte période (même s’il m’arrive encore de me dire que j’aimerais le revoir, mais c’est une envie fugitive, elle n’est pas fondée), et je n’ai presque jamais eu de rapport personnel avec lui. Il ne me connaît quasiment pas. Mais si l’est si important pour moi, c’est parce qu’il incarnait cette figure de l’homosexuel assumé et épanoui. C’était la seule chose que je retenais de lui. Je sais combien cette image était réductrice. C’est probablement ce rôle qu’il continue de jouer dans mes rêves. Et il continuera de le jouer, sans doute, tant que je n’aurai pas connu d’autre homosexuel (il reste le seul que j’aie approché !) J’espère de tout cœur que j’en connaîtrai dans mon entourage proche, lors de cette nouvelle année scolaire qui s’amorce vendredi…

plus tard

J’avais promis de ne plus faire de collages intempestifs dans ce journal, mais celui-ci mérite quand même d’exister. J’ai fait du rangement dans ma chambre et j’ai trouvé ça. C’est écrit de la main de papy : ce sont les noms et les dates de naissance de ses parents et de ceux de mamy. Il me les avait donnés quand j’étais plus petit, à une époque où j’avais vaguement entrepris un arbre généalogique. Avec ces deux post-it, il y en avait un troisième, écrit par Juline : « 3 janvier 1924 / 17 juillet 1926 », ce sont les dates de naissance respectives de papy et de mamy.

À Goudelancourt, j’ai lu Le petit bleu de la côte ouest. Je lis rarement des polars, et il me semble que celui-ci est un très bon. J’ai envie de renouveler l’expérience : on a des tas de Série Noire à la maison, et notamment d’autres de Manchette.


Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no6 (intitulé Mieux dans mes baskets, mieux dans ma vie, 3 août – 25 novembre 2005), j’ai dix-sept ans.

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