« Elle est bien, ton histoire, j’y retrouve tous les détails dont tu m’as parlé, les actions qui s’enchaînent, c’est logique, ça tient la route. Mais ça ne me suffit pas (je suis pénible). Je me demande, maintenant, pourquoi il fait ça, ton personnage. Et à quoi il pense. Ce qu’il ressent quand il se trouve ici, quand il agit comme ça. Qu’est-ce que tu crois, toi ? À ton avis ? Il éprouve quoi, le personnage ?
— Ben, chais pas.
— Alors, on n’a qu’à dire que c’est toi, le personnage. Imagine. Tu te trouves exactement dans cet endroit, et tu fais ce qu’il est en train de faire : ça a quel effet sur toi ? Mets-toi dans la tête du personnage. »
C’est ce que j’ai cherché à comprendre aujourd’hui : ce qui se passe dans les têtes — alors que, les fois d’avant, je m’intéressais surtout au décor : quel genre de patelin c’est, Saint-Michel-en-l’Herm, et à quoi ressemblent les environs.
Pour la dernière séance avec les quatrième, on termine leurs textes, on peaufine la psychologie. À quoi penses-tu, quand tu t’aperçois que ta meilleure copine n’est toujours pas ressortie de la cabine d’essayage trois heures après y être entrée ? Comment vous sentez-vous, quand le hasard vous confronte à nouveau à votre lâcheté, en vous rappelant la noyade d’un camarade survenue trois ans plus tôt ? Qu’est-ce qui te motive, toi, à apprivoiser un rat dans ce bureau de poste désert, à lui parler, à lui trouver un nom, puis à le manger ? Que te dis-tu, toi, quand tu découvres que les maisons de ton village, vues du ciel, ont la forme des lettres de ton prénom ? Que se passe-t-il, en vous, quand vous vous inquiétez pour votre copain qui vient juste d’être kidnappé à la sortie de son match de foot ? Et enfin (et surtout ?), quel genre d’émotions t’habitent quand tu trucides froidement tous tes meilleurs amis un par un ? « Mettez-vous dans la tête du personnage », leur ai-je dit.

Le matin, avant que l’atelier d’écriture ne commence, je me suis ravitaillé à la supérette, parce que mon frigo était vide (j’ai emménagé hier). Juste en face, ce panneau de bois décoré par les enfants (si ça se trouve, ces enfants ayant grandi sont devenus les collégiens que j’ai vus aujourd’hui : j’aurais dû le leur demander). Vous passez derrière, et vous glissez votre tête dans le trou afin de la placer, précisément, dans celle du personnage.