C’était une montagne

Quand les amis sont arrivés, tout est devenu plus léger, plus facile. Avant ça (une demi-heure plus tôt, et tous les jours qui ont précédé), la perspective de cette soirée était une montagne. Elle m’excitait et m’effrayait : insurmontable. J’avais peur d’être responsable de quelque chose. Et puis, G. m’a rassuré : « Ce sera aussi au feeling, hein. » On est adultes, on est raisonnables. Surtout : on a envie de se voir. Alors, quoi ? Mais cette actualité pesante, poisseuse, qui me colle à la peau, qui s’insinue partout. La difficulté d’entreprendre les choses les plus simples. Et le matin même : cette attaque dégueulasse, inattendue, dans mon quartier même. Je suis resté planqué chez moi (c’est l’heure de faire mes courses, mais tant pis). Lorsque je sors enfin, je vois les dix ambulances garées devant la mairie, prêtes à nous accueillir au cas où, comme en 2015. J’ai des frissons. Je dis à G. : « Bienvenue à Paris. » On se perd un peu, on fait un détour inutile — mais presque plaisant. Lui avec sa valise, moi avec le sac qui contient les recueils Il manque le corps. Il manque plus que jamais, le corps. Puis : beaucoup moins, d’un coup, lorsqu’ils arrivent. Les amis. On fait ça un peu clandestinement : une poignée de fidèles. Obligé de me priver de la présence des autres (on se rattrapera) afin de n’être pas trop nombreux. Quelques messages gentils reçus dans la journée, pour s’excuser de n’être pas là (mais ces messages, c’est votre façon d’être là). Avec les présents, on a parlé, on a bu des coups, c’était bien. Celles et ceux qui ne se connaissaient pas, désormais, se connaissent. J’aime que mes livres servent à cela : être autre chose que des livres. Des occasions de se voir. Je n’ai pas l’habitude de fêter mes anniversaires : j’envoie une invitation quand mon livre sort. D’autres se marient et envoient des faire-part. Ils font se rencontrer leurs amis, les présentant brièvement l’un à l’autre. Puis les amis court-circuitent l’entremetteur : ils sympathisent. J’aime observer ça.

Une fois, j’ai fêté mon anniversaire. La semaine d’avant, ma médecin avait dit le mot : « dépression ». J’avais pris rendez-vous chez la psy pour la semaine suivante, en lui disant : « Ce n’est pas urgent, je peux attendre quelques jours. » Subitement, j’avais eu l’idée de faire sauter les cloisons inutiles : rassembler dans la même pièce, le même soir, des gens que j’aimais et qui ne se connaissaient pas. Cette perspective était une montagne : terrifiante et magnifique. C’était il y a six ans, c’était la première fois que j’invitais ma sœur en même temps que mes anciens camarades de l’école Estienne, et puis R. qui était de passage à Paris. Quand tout le monde est parti, dans la chambre avec J.-E., j’ai sangloté. Impossible de m’en empêcher. J’étais ébahi par la facilité avec laquelle les gens s’étaient parlés. Ils s’étaient bien entendus. Brusquement, tout m’avait paru si simple. Ç’avait été beau. Vendredi aussi, c’était beau. J’aurais aimé que ce soit plus simple.

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1 commentaire

  1. La montagne n’était pas infranchissable… malgré les appréhensions et la fragilité de L’ascensionniste. 😉😉😉

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