Vendredi 2 décembre 2005

J’ai de nouveau profité de la compagnie charmante de Camille J. ce matin, pour deux stations de RER. Nous prenons le même train tous les jours, et c’est seulement cette semaine que nous nous en sommes aperçus.

En fait, je me rends compte que je néglige mes amis du lycée. À part Camille ou Flore, grâce à des rencontres fortuites, je ne vois plus personne. Je ne demande même pas de nouvelles. Depuis combien de temps n’ai-je pas parlé à S*, qui est pourtant si importante pour moi ? Remarquez qu’elle fait comme moi : elle est encore plus absorbée que moi par son travail, alors elle me néglige aussi !

J’ai eu un SMS d’Adeline la semaine dernière, après deux mois sans nouvelles. J’y ai répondu, mais je n’ai pas pris la peine de l’appeler. Pourtant, j’ai très envie de lui parler, de savoir ce qu’elle devient, de lui dire ce que je deviens.

Ce matin, au cinéma avec Morgane et Coline : on a vu Le temps qui reste et je n’ai vraiment pas été déçu. En sortant de la salle, il ne me restait de ce film qu’une impression, un sentiment : de la tristesse et une grande sérénité à la fois. Puis, progressivement, toutes les scènes du film sont revenues, et leur enchaînement. Je n’en ai oublié aucune. Je me les rejoue dans ma tête et, à nouveau, elles exercent toute leur force. J’essaie de remonter le film autrement, mais c’est impossible : tout est à sa place. Il ne manque rien, il n’y a rien de trop. C’est beau.

J’aime ce personnage, en nuances. Ce n’est pas un saint, c’est un type normal qui a des réactions parfois discutables, qui est tellement humain. On peut tout lire sur le visage de Melvil Poupaud. J’étais au bord des larmes plusieurs fois, mais je n’ai pas pleuré. Ce n’est pas un film où l’on pleure : il est triste, mais c’est une émotion plus complexe et plus subtile.

Sur le trajet du retour, j’étais empli de ces sentiments. Sans repenser aux scènes du film : c’étaient directement les émotions du film qui me revenaient. L’envie de voir la vie autrement, de relativiser les choses qui m’occupent, de me poser les bonnes questions. Un petit coup de blues. Mais pas une tristesse accablante : une tristesse sereine.

Dans la série « Restons vigilants face à l’homophobie ordinaire, qui est la plus vile car elle est rampante et sournoise » ou (ce qui revient souvent au même) : « Halte à la tyrannique hypocrisie de l’hétérocentrisme » : j’ai lu cette critique du Temps qui reste dans le magazine télé. Bon. Ils n’ont pas aimé, c’est leur droit. Mais je trouve cette critique scandaleuse pour d’autres raisons. Je passe sous silence cette ânerie consistant à déplorer que la fin est « prévisible », puisque le personnage apprend, dès la première scène du film, qu’il va mourir dans trois mois : ce n’est donc pas franchement un film à suspense. Le vrai problème de cet article, vous l’aurez compris, c’est ceci : « Un film qui peut choquer ceux qui ne sont pas habitués à cette plongée dans l’intimité homosexuelle. » Cela ne veut rien dire. Je m’insurge ! Certes, dans ce film, il y a plusieurs scènes de sexe, mais pas plus que dans des tas d’autres films. Alors, pourquoi cet avertissement ? À cause de la scène du club gay sadomaso ? J’avoue que cette image peut être considérée comme choquante (ce n’est pas mon avis, mais bon, pourquoi pas). Mais non : ce n’est pas cette scène que l’article mentionne. Il ne dit pas : « Un film qui peut choquer ceux qui ne sont pas habitués à une sexualité hard. » Ce qui est choquant à leurs yeux, c’est : « l’intimité homosexuelle ».

Un autre moment du film montre une scène d’amour à trois. Cela pourrait incommoder les plus puritains… Mais non ! De cela, nulle mention. Il n’est pas choquant de montrer ce couple faire l’amour avec un parfait inconnu, pour que celui-ci fasse un enfant à la femme. La seule chose choquante dans ce film, c’est : « l’intimité homosexuelle ». C’est donc bien le seul caractère « homosexuel » de cette « intimité » qui dérange.

Les spectateurs ne seraient donc pas assez « habitués » à voir cette intimité… Et alors ? Pourquoi faudrait-il y être déjà habitué pour accepter de le voir à l’écran ? Les réalisateurs de films hétéros se demandent-ils si les spectateurs homos sont suffisamment familiers de la sexualité hétéro pour aimer leurs films ?

Et si on me répond que cet avertissement s’adresse aux enfants… Je dirais que ce film n’est pas pour les enfants, de toute façon : rien, dans son sujet, ne pourrait laisser croire à des parents que ce film intéresserait des enfants. Et puis, quand bien même : une scène d’amour entre hommes ne devrait pas être plus choquante qu’une scène entre un homme et une femme. Une scène explicite, qu’elle soit homo ou hétéro, impressionnera de la même manière un enfant… qui (je l’espère) est encore assez innocent pour n’être pas entièrement abruti par l’hétérocentrisme qui veut lui faire croire que certaines choses sont normales, et d’autres non.

Et puis, est-ce si important de savoir que le personnage est homosexuel ? Je ne crois pas trahir le réalisateur en disant que son homosexualité n’est que l’une des compostantes de sa personnalité : faut-il consacrer à cet aspect (important, mais pas essentiel) la moitié d’un article si bref ?

J’ai lu dans Métro une interview de Melvil Poupaud. Elle était introduite ainsi : « Héros du Temps qui reste, Melvil Poupaud s’est donné à fond pour ce rôle, celui d’un homo atteint d’un cancer généralisé et condamné à mort. » Serait-il venu à l’idée du journaliste d’écrire : « Un hétéro atteint d’un cancer généralisé » ? Dans l’interview, Melvil Poupaud a l’intelligence de préciser que « l’homosexualité et la défonce ont partie intégrante du personnage, mais ne le définissent pas entièrement. » Malgré ça, le journaliste axe tout l’article sur l’homosexualité.


Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no7 (intitulé Vincent, Alexandre, Édouard et les autres, 29 novembre 2005 – 18 mars 2006), j’ai dix-sept et dix-huit ans.

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