Si vous saviez écrire, je ne vous aurais pas fait cette observation

Le soldat Joseph Soubeirol est en garnison à Anvers (département des Deux-Nèthes). Son père doit lui envoyer vingt-quatre francs, on ne sait pas pourquoi. Anvers, c’est très loin de Montauban. J’ignore comment on envoie de l’argent par la poste en 1808, mais le négociant Mayniel-Lestiol, lui, connaît ces choses-là. Il se rend au bureau de poste (le bordereau fait foi) pour y déposer vingt-trois francs et soixante-huit centimes (il a déduit ses frais) à l’attention de Joseph Soubeirol. Il lui écrit, de la part du père, pour lui expliquer comment toucher ses sous auprès du directeur de la poste d’Anvers : « Par précaution, vous aurez soin de prendre un chef de votre compagnie pour que le susdit directeur soit assuré que c’est à vous même qu’il fait ce payement. Si vous saviez écrire, je ne vous aurais pas fait cette observation. »

Trois mois plus tard, Joseph Soubeirol n’a pas répondu. Dans la correspondance de Mayniel-Lestiol, je lis la copie de cette lettre qu’il lui envoie le 13 mai : « Votre père ni moi n’avons reçu aucune de vos lettres depuis le 30 décembre dernier, écrite d’Anvers. Il faut que vous ayez oublié d’écrire, que vous soyez parti, que vous ayez été malade ou que vous le soyez encore… Il a couru ici le bruit, par la voie de quelque soldat, que vous aviez eu à Anvers la petite vérole. Comme dans votre enfance vous n’avez pas eu cette maladie, votre père et moi croyons bien que vous… (illisible) Vous devez être encore à l’hôpital d’Anvers, convalescent de cette maladie. Comment qu’il en soit, votre père, mère et sœurs vous prient d’écrire pour les tranquilliser sur votre existence de la petite vérole, et si vous avez bien ces 24 francs. Tous vos parents se portent bien et (illisible) que notre bon Empereur vous fasse donner le congé absolu par rapport au grand besoin qu’ils auraient de vous pour travailler. »

Je suis ému, inquiet. Je parcours avec fébrilité les pages suivantes du registre. Mais ces deux lettres étaient des exceptions : le reste de la correspondance est froidement commercial. C’est le journal des expéditions de marchandises effectuées par Mayniel-Lestiol aux quatre coins du département – et je ne parle plus des Deux-Nèthes, mais du Lot, dont Montauban était encore une sous-préfecture.

Je ne connais pas la suite. Le soldat a-t-il touché ses vingt-trois francs soixante-huit ? A-t-il succombé à la petite vérole, ou aux campagnes militaires ? La maladie le menace, elle est redoutable. Et notre bon empereur l’est aussi, car « nous sommes en guerre », ne l’oublions pas.

Si vous avez des nouvelles de Joseph Soubeirol, surtout, n’attendez pas. Rassurez-moi.

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