Puisque je sors de l’eau

Nous parcourons une ville. Il me semble voir des immeubles de part et d’autre de la rue. Puis leur alignement s’interrompt : la rue est devenue un pont. Le paysage s’ouvre d’un coup : l’eau d’un fleuve remue doucement, encombrée de bancs de sable et d’une végétation emmêlée, un peu comme la Loire. Nous n’avons pas besoin de nous pencher au-dessus du parapet pour observer le courant, car le pont est exactement au niveau de l’eau. C’est un passage à gué plutôt qu’un pont. Je quitte la chaussée (la ligne droite et sèche) : j’entre dans le paysage. Restant derrière, J.-E. me suit. Il ne craint pas cette expérience, il ne la désapprouve pas non plus ; seulement, il n’est pas tenté. Je sais que le fleuve n’est pas profond, car quelqu’un (que je n’identifie pas) nous a précédé : puisqu’un homme est passé par là, je peux le faire aussi. Je marche dans l’eau. J’ai les pieds nus, mais j’ai gardé mes vêtements. Je progresse sur le banc de sable sans voir où je prends appui et, quelquefois, je m’enfonce : le sol est instable. Je mouille mon short. Je pense furtivement au contenu de mes poches (le téléphone qui va prendre l’eau), puis je me dis « tant pis » et je m’immerge complètement. La joie de la baignade, et c’est tout. Je crains de me blesser en marchant sur une pierre ou un coquillage tranchants, comme l’été dernier, alors j’évite d’aller trop loin. J’ai pris mon plaisir, voilà, c’est assez : je sors de l’eau.

Une ellipse. La scène suivante se passe dans un jardin. Des gens sont installés dans des chaises longues. La plupart, je ne les connais pas. Ce sont des femmes. Je ne reconnais qu’une personne : c’est un homme. Je sais que c’est lui qui m’a précédé dans cette promenade et cette baignade. C’est lui que j’ai imité. Il s’agit d’un garçon que je trouve très désirable dans la vie éveillée. Je suppose qu’il me voit, mais je n’en suis pas sûr. Puisque je sors de l’eau, je suis tout mouillé. Il faut que je sèche et que je fasse sécher mes vêtements. Je me déshabille. Je garde mon caleçon (qui est plutôt un boxer, bien ajusté). Je constate qu’il est déjà presque sec. L’image : une couleur censément unie, mais marbrée par des zones foncées, encore humides, dessinant une alternance assez jolie avec les zones claires, déjà sèches. Je cherche un endroit pour étendre mes autres vêtements. Je repère le support idéal, un genre d’étendoir. Comme par hasard, il est placé juste à côté du garçon qui me plaît. Je m’approche donc pour m’occuper de mon linge. Je me dis que c’est une aubaine : l’occasion de passer tout près de lui, quasiment nu. L’occasion de lui montrer mon corps. Il verra comment je suis fichu, et si je lui plais. Je suppose qu’il est dans la même tenue que moi, c’est-à-dire presque nu (ce serait logique, car il a dû sortir du fleuve aussi mouillé que moi) mais, étrangement, l’image de son corps ne me préoccupe pas. Je pense seulement au mien. Je pense à l’image de mon corps dans son regard. J’y pense sans inquiétude : il me regarde, ou peut-être pas. Je suis là, c’est tout. Je propose.

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2 commentaires

  1. Que ça doit être agréable de penser à l’image de son propre regard dans le regard de l’autre… sans inquiétude.

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