À Marina di Campo, premier truc que je fais en descendant du bus : j’avise la fontaine. Je me passe la tête sous l’eau et je dis à J.-E. : « Puisque j’ai des cheveux, ça me permet de stocker de l’eau dedans pour rester au frais ». J’écrivais, hier, que j’aimais cette chaleur, mais je l’aime déjà moins : elle n’est pas tombée pendant la nuit et continue à sévir aujourd’hui. D’habitude, ma tête a le temps de refroidir quand je dors ; là, elle commence à être en surchauffe. Ça tape un peu derrière mon front. Ce n’est pas encore douloureux, mais je me méfie. Je dis à J.-E. : « Si je sens que ça tape trop fort dans mon ciboulot, je te le dis de suite et on ne monte pas jusque là-haut : on s’arrêtera avant que je devienne chiant, promis ». Parce qu’il m’arrive d’être pénible, oui. Là, quand je dis ça, on est au café (je ne sais pas si c’est vérifié scientifiquement, mais j’ai cette croyance que le café est bon pour ce que j’ai) et J.-E. me répond : « Je pourrais te marcher sur le pied, parce que si tu as mal au pied tu ne penseras plus à ta tête ». Ah, c’est pas bête ! Mais, si j’ai mal au pied, on ne grimpera pas ce sentier, non plus. Ça n’arrangera pas notre affaire.
La plage de Marina di Campo : les gens goûtent le soleil sur leur peau, ils s’ébattent dans l’eau (un papa prévient ses petites filles du danger du pesce gambe, le poisson qui mange les jambes : mais en fait, le pesce gambe c’est lui). Vous avez déjà vu, dans la vie normale, des mômes de seize ans qui jouent aux cartes ? Sur une plage, c’est possible. On fait sur une plage la même chose que quand j’étais enfant, et la même chose que quand les vieux d’aujourd’hui étaient enfants avant moi : on est nus ou presque, on goûte les joies simples du corps au soleil, d’avoir une famille ou des amis, de mater les autres corps plus beaux que le sien.
Nous, on décide d’aller un peu plus loin : en direction du Monte Poro, que nous allons gravir (si ma tête va mieux). Un chemin bordé d’oliviers, une bifurcation. Une autre plage, plus sauvage. « Oh ! » On n’hésite pas, on y va.
Il arrive à ce moment ce qui ne devait surtout pas arriver. L’eau est délicieuse, mais les cailloux au sol sont incrustés de coquillages minuscules et tranchants. D’abord, en nageant, c’est la morsure du sel que je sens sur la plante de mon pied. Ensuite, c’est cette ligne parfaite, cinq centimètres rectilignes tracés de rouge : pour le dire franchement, je me dis à ce moment « C’est beau ». Et juste après : « C’est le creux de la plante, celui qui ne touche pas au sol quand on marche » — mais moi j’ai les pieds plats, alors ça ne compte pas : tout mon pied touche par terre quand je marche, y compris cet endroit où la peau est tendre et désormais balafrée.
J.-E. me dit : « Voilà, maintenant tu as mal au pied, tu ne penses plus à ta tête ». Pour l’ascension du Monte Poro, c’est râpé. Mais je suis confiant : demain (disons : après-demain), j’aurai oublié. Qu’est-ce que c’est, au fond, cette blessure ? Rien du tout : une goutte de sang dans la mer Tyrrhénienne.
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